« Communication d’Emmanuel Macron: ce qui peut créer la confiance, c’est d’avouer l’incertitude », par Jacky Isabello

Retrouvez l’article de Jacky Isabello, membre de Synopia, sur le site du Huffington Post !

Avant que le Président de la République s’exprime mardi 24 novembre, dressons un bilan de la situation car la parole du chef de l’État devra se faire performative, c’est-à-dire transformer les mots en actes pour des yeux et des oreilles par dizaines de millions derrière leur écran de télévision!  

Alors que nos concitoyens sont exaspérés par le confinement, dépressifs des conséquences économiques et sociales annoncées par les grands instituts de conjoncture, tentés par les paradis artificiels du complotisme facile, saturés de  règles essentielles qu’ils jugent absconses, versés dans l’aigreur vis-à-vis d’une haute administration lointaine et tatillonne, nous formulons le vœu qu’Emmanuel Macron se saisisse de la crise dans laquelle le pays est entré, qui est de nature politique avant tout, parce que les dirigeants français ont fait œuvre de maltraitances récurrentes vis-à-vis de leur meilleure alliée pour conduire les archipels multiples d’un pays dominé par les principes de l’économie de l’attention[1] : la communication. La révolte gronde de toutes parts. Le Président s’apprêtant à manœuvrer le navire titubant du déconfinement, nous rappelons en tant qu’experts de la communication qu’il devra laisser ses deux corps d’experts médicaux et de technocrates au vestiaire des certitudes pour communiquer habilement, brièvement, énergiquement et avec empathie pour tenter de faire Nation à nouveau.

Pire que les erreurs sanitaires, les erreurs de communication

Première erreur, la perte de confiance des Français: dans le jargon des communicants, la relation établie avec les populations, sans passer par le truchement des outils publicitaires, se nomme le “earn”; on gagne la confiance, rien ne l’achète. Or dès les premières minutes de ce très long match le pouvoir a fauté. Nous avions alerté! En rappelant les recommandations du département de Gestion des risques infectieux de l’OMS[2]: “avant tout renforcer la confiance. Lorsque surviennent des problèmes sanitaires, il est déterminant de communiquer en toute transparence sur les incertitudes”. Edgar Morin, le prince de la pensée complexe (Sociologie de la complexité), rappelle les effets délétères des crises [3]: “une crise, au-delà de la déstabilisation et de l’incertitude qu’elle apporte, se manifeste par la défaillance des régulations d’un système qui, pour maintenir sa stabilité, inhibe ou refoule les déviances”:  

Cause de la perte de confiance? Les masques, les tests, la posture guerrière des dirigeants, tester-tracer-isoler, et davantage encore l’incapacité à reconnaître certaines impuissances et les erreurs.

Deuxième erreur: infantiliser le peuple, injonctions contradictoires, perte de l’intelligence collective, chercher des boucs émissaires. Dans un travail récent, trois chercheurs de l’University of British Columbia au Canada ont récemment publié une étude comparative sur les stratégies de communication de crise dans neuf pays démocratiques et leur impact sur la gestion de la pandémie. Quelques règles efficaces communes à ces pays aux réponses différentes appliquaient les principes suivants: Croire en l’autonomie et non aux injonctions. Comment a-t-on expliqué la place attendue de la part du citoyen? Pourtant lors de la période de pénurie de masque nombreux furent ceux qui trouvèrent, cousirent, fournirent la précieuse protection. La grande distribution fut accusée d’avoir constitué des stocks dissimulés alors que le talent de cette forme de commerce est de savoir acheter et acheminer vite, pas cher et n’importe où. Faire appel à la société civile. Trop d’États ont uniquement fait appel aux responsables de la santé publique et aux politiciens pour transmettre leurs messages. Des pays comme le Sénégal ont plutôt fait appel à des leaders de la société civile pour encourager le respect des règles. Institutionnaliser les communications. La Corée du Sud et Taïwan avaient appris de leurs erreurs des précédentes pandémies. Ils ont réformé leurs systèmes de santé publique pour faire de la communication un pilier central de la réponse dès le départ. Le sort fait à l’application STOPCOVID, en premier lieu par le chef du gouvernement, n’appelle aucun commentaire. Selon Heidi Tworek, co-auteure de l’étude[4]  “aucune mesure ne fonctionne correctement si nous ne communiquons pas efficacement à l’ensemble de la population les raisons pour lesquelles elles sont importantes et si nous ne pouvons persuader les citoyens de s’y conformer, alors même que le “ras-le-bol” pandémique s’installe.” 

La communication au rang des “missions régaliennes” de l’État

Conscient d’avoir à plonger l’Amérique dans la Guerre alors qu’il promit durant sa campagne électorale qu’il serait le président de la Paix, Thomas Woodrow Wilson, 28e président des États-Unis, créa une célèbre commission composée de ceux qui devinrent les plus grands noms de la communication du 20esiècle[5]. Bien que surnommé par Teddy Roosevelt “Coiner of Weasel Words”[6]Wilson savait devoir rallier l’opinion publique américaine à ses intentions avant d’envoyer les “boys” dans les sanglantes tranchées de la “der des ders″[7]

En France la communication ne dispose de telles lettres de noblesse. Dans la république de nos brillants ingénieurs et technocrates, la “science communicationnelle” telle que définie comme clé de voûte de la cybernétique, elle-même base sémantique du très populaire thème de la gouvernance (grec: Kubernao) n’est pas encore admise dans le cercle des moyens crédibles et efficaces d’apaisement et de concorde des sociétés techniciennes[8]. Emmanuel Macron, loué durant sa campagne pour l’agilité de sa communication, suppute qu’une société du tout à l’image, déstabilisée par des réseaux sociaux fonctionnant sur la colère et l’émotion, doit replacer la communication au rang des “missions régaliennes” de l’État et non en faire l’appendice des politiques publiques. Saura-t-il user avec raffinement de la juste posologie qui procure aux dirigeants d’indispensables éléments de stabilisation des tristes passions françaises[9]?

[1] Yves Citton, l’Economie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ? (La Découverte, 2014)

[2] Organisation Mondiale de la Santé

[3] Sur la crise (Champs essais, Flammarion)

[4]  Professeure adjointe d’histoire internationale Université de la Colombie-Britannique

[5] Committee on Public Information (CPI) Ogilvy, Bernays

[6] Auteur de paroles ambiguës : réélu pour avoir tenu les Etats-Unis à l’écart de la Première Guerre mondiale. Il passa les quatre années suivantes à faire cette même guerre et à négocier sa paix.

[7] Expression populaire à propos de la première guerre mondiale

[8] Le Système technicien – Jacques Ellul, 1977, chez Calmann-Lévy,

[9] Révolution (XO, 2016) – Ethique, Baruch Spinoza (1661 et 1675)

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