Interview réalisée par Pierre Steinmetz, publiée dans Libération le 19 juillet 2017.
Le droit de réserve oblige-t-il un fonctionnaire à se taire ? C’est une des questions que soulève la démission du chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers. Fabrice Lorvo, avocat au barreau de Paris et spécialiste du droit de la communication, apporte des éléments de réponses.
La démission de Pierre de Villiers soulève la question du devoir de réserve pour les fonctionnaires. De quoi s’agit-il exactement ?
Les fonctionnaires sont soumis à deux restrictions. En tant qu’individu, le fonctionnaire s’expose à des sanctions pénales en cas d’abus de la liberté d’expression (diffamation ou injure). En tant que fonctionnaire – pendant comme en dehors de son service –, il est soumis au principe de neutralité dont découlent l’obligation de discrétion professionnelle et le devoir de réserve. Ces principes varient notamment en fonction du statut fonctionnaire, de la nature de ses fonctions, de son rang hiérarchique, des circonstances de temps et de lieux, du sujet abordé et de la manière dont il est traité. En cas de non-respect de ce principe, il s’expose donc à des sanctions disciplinaires. Donner une définition plus précise est complexe car il n’existe pas de règle générale. Les tribunaux jugent les affaires au cas par cas. Le droit de réserve, c’est de l’horlogerie. Il a été construit par la jurisprudence.
En tant que militaire, Pierre de Villiers a-t-il enfreint son droit de réserve ?
Le militaire est un fonctionnaire et il doit respecter le devoir de réserve. A ce stade, la question ne se pose pas en ces termes, puisque Pierre de Villiers a décidé de démissionner. On peut cependant observer qu’il n’a pas adressé d’insultes à «Jupiter» assis sur son trône. S’il avait émis un commentaire en visant spécifiquement quelqu’un, on aurait pu considérer cela comme une atteinte au droit de réserve et à la neutralité dont doit faire preuve un fonctionnaire mais, ici, ce n’est pas le cas. De plus, il n’a pas révélé quelque chose de secret, il s’est simplement exprimé sur le budget qui lui sera attribué. Or son rang le lui permet, ce n’est pas un simple soldat qui va s’étaler dans la presse. On parle quand même du chef d’état-major des armées. Ce qui interroge, ce n’est pas tant la question de la violation du droit de réserve mais plutôt le message envoyé par Emmanuel Macron aux fonctionnaires.
C’est-à-dire ?
Le président semble dire : «Pensez ce que vous voulez mais gardez-le pour vous.» C’est peut-être une vision un peu restrictive du droit de réserve. La démarche qui consiste à dire «lorsqu’on travaille avec moi, soit on fait ce que je dis et on ne se plaint pas soit on démissionne» est dangereuse. Elle favorise l’illusion de la tour d’ivoire. D’autant plus que la critique du général de Villiers sur la réduction de 850 millions d’euros prévus dans le budget des armées 2017 avait été formulée lors d’une audition à huis clos devant les députés de la commission défense de l’Assemblée nationale. Ne doit-on pas témoigner sincèrement devant les représentants de la Nation ? Cela va totalement à l’encontre du mouvement qui tend à encourager l’expression d’opinions divergentes sur les sujets d’intérêt général. Est-ce que la sécurité de la France et le budget donné aux armées sont des sujets d’intérêt général ?