« Renouvellement de la classe politique : pour un dégagisme institutionnel », par Alexandre Malafaye et Fabrice Lorvo

Tribune publiée dans le Figaro Vox le 7 avril 2017.

Moderniser la vie politique de notre pays constitue une clé essentielle de la restauration du lien de confiance entre gouvernants et gouvernés. Ce qui passera par le rétablissement d’une véritable éthique politique. Les attentes des Français en la matière sont très importantes et ne devraient pas être autant négligées.

Le dégagisme, néologisme qui exprime le rejet de la classe politique actuelle, en est une des manifestations. Seule parade à ce sentiment largement répandu: systématiser le renouvellement des élites, de façon régulière, ce qui amorcera la revitalisation de notre démocratie.

Mais, faute de véritable volonté politique pour s’engager dans un tel processus, le chemin risque d’être long, trop long sans doute au regard de l’impatience des Français.

Et si, l’exemple venait d’en haut? Avec l’application d’un texte qui concerne le personnage le plus important de notre vie politique: le Président de la République.

Il résulte de l’application à la lettre de la Constitution qu’un Président de la République, dès lors qu’il quitte l’Élysée sort automatiquement et définitivement de la vie politique, car il n’est plus éligible.

Du point de vue juridique, cette mise à l’écart résulte du statut «d’ancien Président de la République» qui devient «de droit partie à vie du Conseil constitutionnel». Ce statut de membre de droit à vie, qui présente bien des vertus et des avantages, impose aussi des contraintes. Ledit statut est incompatible avec beaucoup de fonctions et notamment… avec l’exercice de tout mandat électoral . Seule la volonté d’écarter de façon définitive de la scène politique les anciens Présidents justifie cet étrange concept de membre «à vie», qui est biologique et non juridique..

D’un point de vue social, cette mise à l’écart très correctement rémunérée et défrayée se justifie par la nécessité de renouveler le personnel politique, pour éviter la professionnalisation et sans doute aussi pour protéger l’image de la fonction suprême, en évitant qu’un ancien Président ne vienne la ternir par l’exercice d’activités en décalage avec le statut prestigieux dont jouissent les anciens locataires de l’Élysée.

D’un point de vue politique, enfin, cette mise à l’écart est surtout un aiguillon indispensable pour celui qui accède à la magistrature suprême: «Agis maintenant, car bientôt, tu ne seras plus jamais aux affaires».

Synopia n’ignore pas que de nombreuses personnalités souhaitent supprimer ce statut de membre de droit à vie des anciens Présidents. Le Président Hollande avait tenté de le faire en tirant les conséquences d’un rapport qui avait conclu que ce statut introduisait «une forme de confusion entre fonctions juridictionnelles et fonctions politiques». Certains Présidents du Conseil constitutionnel (Monsieur Jean-Louis Debré et Monsieur Laurent Fabius) se sont publiquement exprimés en faveur de la suppression de ce statut. Cependant, pour modifier notre Constitution, il faut un vote favorable au 3/5 du Congrès, ou un référendum, et à ce jour, nul ne peut dire si un consensus naîtra.

Dès lors, et en attendant une hypothétique modification constitutionnelle – qui n’est pas nécessairement souhaitable au regard de l’impératif de renouvellement – Synopia considère que ce statut devrait s’appliquer. Ce qui aurait dû être fait dès la première opportunité, et aurait ainsi envoyé un signal vertueux en faveur du renouvellement de la classe politique.

Hélas! Des accommodations ont été trouvées pour que les incompatibilités relatives à ce statut ne s’appliquent pas. En clair, pour permettre aux anciens Présidents de poursuivre leurs carrières politiques…

En 1984 , le Conseil constitutionnel avait considéré que «la qualité de membre de droit du Conseil constitutionnel d’un ancien Président de la République ne saurait, en l’absence de disposition expresse en ce sens, priver celui-ci du droit normalement reconnu à tout citoyen, dans les conditions et sous les réserves prévues par la loi, d’être candidat à tout mandat électif». C’est ainsi grâce à cette pirouette contraire à l’esprit de notre texte fondamental que Valery Giscard d’Estaing a pu devenir conseiller général, conseiller régional, président de département, puis de région, puis de parti politique, et même député européen. Autant de places que d’autres n’ont pu occuper. Il n’a finalement décidé de rejoindre le cercle fermé des sages de la rue de Montpensier qu’en… 2002!

Par cet arrêt, le Conseil constitutionnel a créé, en dehors de tout texte, une position dite de «congé» qui autorise un «membre à vie» de décider qu’il ne siégera pas audit Conseil, pendant le délai qu’il déterminera!

Cette invention juridique dont ne bénéficient pourtant pas les membres élus du Conseil, contredit le concept biologique de membre à vie du Conseil. Selon ce concept, tant qu’il dispose d’un souffle de vie, l’ancien Président est membre de droit du Conseil constitutionnel, et aucune autorité ne peut mettre fin à ses fonctions sans porter atteinte à la Constitution. Cela signifie aussi, et surtout, que l’ancien Président ne peut choisir de démissionner, ni renoncer à sa qualité de membre de droit du Conseil constitutionnel. Comment pourrait-il mettre fin, même provisoirement, à ses fonctions, alors que la Constitution fait de lui, de droit, un «membre à vie». Le statut dépasse l’homme. Dura lex, sed lex .

Malgré la loi de 1995 , qui interdit expressément l’exercice de tout mandat électoral, c’est sur le fondement de cette création juridique ad arbitrium que l’ancien Président Nicolas Sarkozy comptait briguer un nouveau mandat en 2017. Pourtant, dans un article publié en octobre 2016, un professeur de droit public avait posé le sérieux problème institutionnel de cette candidature. Mais l’article est quasiment passé sous silence…

Ce statut de congé vient s’ajouter à la longue liste des accommodements, compromissions et autres petits arrangements dignes d’une républicaine bananière qui exaspèrent tant les Françaises et les Français. Certains, refusant toute forme de remise en cause, veulent voir dans cette colère une montée du populisme. Ne devrions-nous pas plutôt y déceler la marque d’une plus grande exigence des citoyens avec leurs élus, impatients de voir la démocratie revitalisée, et un changement d’époque?

Une stricte application de notre constitution, par ceux-là même qui prennent l’engagement sacré de la protéger, enverrait à n’en pas douter un signal positif que le peuple de France apprécierait à sa juste valeur.

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