FIGAROVOX/TRIBUNE – Il n’existe aujourd’hui que la tradition d’un début entre les deux finalistes de la présidentielle. Pour Jacky Isabello et Alexandre Malafaye, le succès des primaires invite à revoir la formule.
Le Collectif «Trois débats sinon rien» a saisi le CSA afin qu’il insuffle de nouvelles règles pour l’organisation de débats télévisés dans le cadre de la prochaine élection présidentielle:
- 3 débats avant le premier tour, avec l’ensemble des candidats
- 3 débats entre les deux tours, avec les deux finalistes.
Aujourd’hui, il n’y a qu’un débat, entre les deux tours. La coutume, car c’est bien de cela qu’il s’agit, a été instaurée par l’ORTF en… 1974, et l’exercice s’apparente davantage à un combat de boxe avec recherche de Ko qu’à un débat de fond. Après le succès des «demi-finales» télévisées des deux primaires, ce n’est plus satisfaisant.
Deux raisons, au moins, plaident en faveur d’une telle modernisation: un besoin et un vide juridique.
Le besoin est caractérisé par l’intérêt manifeste des Français pour cet exercice, et même si ces débats sont techniques voire studieux, les chiffrent sont là:
- En 2017, à l’heure à laquelle nous écrivons les deux premiers débats de la primaire de la gauche ont déjà réuni près de 5 millions de téléspectateurs avec des pointes à près de 6 millions.
- En 2016, les audiences télévisées des quatre débats de la primaire de la droite et du centre ont été considérables, cumulant plus de 22 millions de téléspectateurs, hors audiences radios.
- Déjà en 2011, le débat télévisé entre François Hollande et Martine Aubry avait rassemblé 5,9 millions de Français.
Il y a donc un plébiscite des Français pour ce type d’émission. C’est inattendu. A l’heure de la révolution numérique, on avait prédit qu’internet et les réseaux sociaux allaient être les fossoyeurs des médias historiques que sont la télévision et la radio. Or, avec ces débats, nous assistons à une sorte de résurrection des médias traditionnels, à tout le moins pour ce genre d’exercice politique.
Il y a aussi un vide juridique car à ce jour, la tradition de cet unique débat n’a aucun caractère obligatoire. Ainsi, en 2002, le candidat Jacques Chirac avait refusé de débattre avec le second finaliste Jean Marie Le Pen. C’est d’autant plus regrettable que les audiences de ces débats du deuxième tour mobilisent des audiences exceptionnelles (18 millions en 2012, et jusqu’à 30 millions en mai 1981).
Il est temps de moderniser ce dispositif avec la tenue de six débats et de l’encadrer.
En pratique, le temps consacré à 3 débats avant le premier tour (trois fois deux heures), avec l’ensemble des candidats, donnera à chacun un temps de parole suffisant pour s’exprimer et débattre, de façon équitable. En 2017, le nombre de candidats probables justifie qu’il y ait trois débats avant le premier tour. En 2012, il y a eu dix candidats au premier tour de l’élection présidentielle. Avec trois fois deux heures et dix candidats, chacun disposera de 36 minutes.
Pour le second tour, s’agissant de l’élection du chef de l’État, pour cinq ans, le chiffre de 3 débats se justifie par la diversité des sujets à traiter et la nécessité de les approfondir en confrontant les candidats, idée contre idée, programme contre programme. L’ultime crochet du gauche sous la forme de «petites phrases» construites dans la coulisse de la cellule riposte des candidats ne grandit pas la démocratie ; qu’elles interrogent sur le monopole du cœur d’un candidat, sur l’appartenance au passé ou au passif, ou qu’elle mette en forme deux mots répétés jusqu’à satiété pour en faire une anaphore la cantonne à sa petitesse, sa bassesse. La France vaut mieux qu’une simple formule.
En termes de gouvernance, l’instauration de ces débats aboutirait à proposer une information plus objective et complète des citoyens électeurs. Au vu de ce qui circule sur internet et les réseaux sociaux, ce ne serait pas inutile. Ce point que les intellectuels qualifient de concept «post-vérité» abonde en ce sens. Cela aiderait aussi à dépasser le stade de la démocratie d’émotion et permettrait aux Français de mieux saisir les aptitudes réelles de celles et ceux qui aspirent à diriger la France. In fine, une telle innovation servirait à combattre le fléau de l’abstention.
Dans une autre mesure, ces débats favoriseraient une certaine optimisation de la gestion de nos deniers publics.
Aujourd’hui, l’information électorale des citoyens résulte de la profession de foi, des meetings et des clips de campagne des candidats, le tout étant repris de manière fort diverse par l’ensemble des médias. Un débat contradictoire audiovisuel permet de mieux révéler les différences entre candidats. Or, dans une élection, le vote se fonde sur les différences et non pas sur les similitudes.
S’agissant des deniers publics, les dépenses de campagne des candidats sont plafonnées et remboursés pour près de 50 % (si le candidat obtient plus de 5% des suffrages). Parmi ces dépenses, il y a celles des nombreux meetings qui coûtent très cher à organiser. Dans ces conditions, et dès lors que nos impôts servent à rembourser ces frais, autant les consacrer à organiser des débats contradictoires audiovisuels
On le voit bien, une telle modernisation du débat public offre de nombreux avantages démocratiques et répond aux attentes des Français. Les demi-finales, studieuses pédagogiques et très intéressantes, offertes aux téléspectateurs sous la forme des débats télévisés de la primaire de la droite et du centre, puis de la belle alliance populaire ont enclenché un phénomène dont on imagine mal qu’il pourrait s’arrêter là. Qui pourrait croire, après le 29 janvier, que le seul débat d’entre deux tours sera le dernier moment de rencontre entre les candidats? Le CSA peut contribuer à ouvrir le débat.
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