Le 2 décembre, le Président Valéry Giscard d’Estaing nous a quitté. Mais son héritage, trop souvent sous-estimé, lui survivra encore longtemps. Et pour ça, nous devons être reconnaissants. Si son mandat de Président n’a duré que sept ans, son action au service de notre pays et de notre Europe n’a jamais cessé. Progressiste, démocrate, européen : voilà les trois mots qui caractérisent le mieux l’homme d’État qu’était, jusqu’à sa mort, le Président Giscard d’Estaing.
Progressiste d’abord. À 48 ans, lorsqu’il accède aux plus hautes fonctions de l’État, Valéry Giscard d’Estaing n’a pas un programme pour la France. Mais une vision, un projet auquel il dédiera son mandat. Ce projet, c’est la modernisation et la libéralisation de notre pays en prenant acte des évolutions de la société, des mœurs et des attentes des Français. À contre-courant de la classe politique de l’époque, encore très conservatrice, son projet est pourtant en adéquation avec son temps. Il ne lâchera rien à ses opposants, même ceux de son propre camp, et défendra coûte que coûte ses réformes historiques : le passage de la majorité de 21 à 18 ans, la légalisation de l’avortement, la réforme de l’audiovisuel, du collège unique, du Conseil constitutionnel, du divorce par consentement mutuel. Autant de réformes qui nous paraissent évidentes aujourd’hui, tandis qu’elles étaient révolutionnaires hier.
Démocrate ensuite. S’il y a bien une chose que révèlent tous les articles retraçant la vie de l’ancien Président depuis l’annonce de son décès, c’est que Valéry Giscard d’Estaing était un grand démocrate. Déjà parce qu’il a mis en place des contre-pouvoirs qui, comme l’ensemble de ses réformes, nous paraissent aujourd’hui aller de soi. Pourtant, il aura fallu du courage et de la ténacité pour faire accepter l’élargissement aux députés et sénateurs du droit de saisine du Conseil constitutionnel ; le suffrage universel direct pour l’élection des députés au Parlement européen ; ou encore la fin du monopole de l’État sur la télévision et la radio françaises avec la suppression de l’ORTF. Au-delà des réformes, c’est la méthode de travail de Valéry Giscard d’Estaing qui fait de lui un grand démocrate : il témoigne d’un souci constant de travailler ensemble, avec d’autres acteurs, de les inclure dans les processus de décision, comme le travail qu’il mène avec le Chancelier allemand Helmut Schmidt autour de la monnaie unique. Il ne décrète pas le changement, il le discute, il le négocie et recherche l’adhésion.
Européen enfin. Son engagement pour l’Europe ne l’a jamais abandonné et a continué jusqu’à sa mort. Valéry Giscard d’Estaing fait partie de la catégorie très sélective de ceux qu’on appelle les grands européens. Qu’il s’agisse de la réforme du Parlement européen, de la création du Conseil européen, ou des avancées autour de la monnaie unique, son mandat présidentiel est marqué par un volontarisme politique sans égal. Il est l’un des rares chefs d’État à avoir pris des risques, de vrais risques, pour faire progresser l’intégration européenne, même après la fin de son mandat. Lorsqu’il prend la Présidence de la Convention sur l’avenir de l’Europe chargée de rédiger une Constitution, il a conscience des difficultés qui l’attendent. Et elles seront de taille. Mais l’échec du référendum de 2005 ne remet pas en cause son engagement. Loin de là. Depuis plus de 10 ans, Valéry Giscard d’Estaing militait avec ferveur pour une nouvelle Europe, capable de répondre enfin aux attentes de ses citoyens. Dans son essai Europa il propose la création d’un noyau dur composé de douze États, volontaires pour aller plus loin l’intégration de leurs économies et de leurs systèmes fiscaux. Il propose notamment la création d’un Congrès des Peuples de cette nouvelle Europa composé de députés européens et nationaux afin d’intégrer, non pas seulement les États, mais aussi les peuples qu’il n’a jamais oubliés dans sa conception de l’art de gouverner.
Le souci du progrès, de la démocratie et de l’Europe ne l’ont jamais quitté. Sur le site internet dédié au projet Europa, l’ancien Président écrit la chose suivante : Avec Helmut Schmidt, si nous avions trente ans de moins, nous nous passionnerions pour le faire, parcourant ainsi d’un bout à l’autre la trajectoire qui aura mené l’Europe de la guerre à l’unité et à la prospérité, mais le temps passe, et le flambeau de cette chance repose désormais sur une génération plus jeune et plus innovante. C’est à elle que nous confions le soin de réaliser Europa !
Alors merci Monsieur le Président. Merci d’avoir dédiée votre vie entière à ces valeurs que nous partageons. Merci de faire confiance à notre génération et aux suivantes pour achever l’œuvre que vous nous n’avez malheureusement pas eu le temps de terminer. Gageons que votre disparition aura au moins un effet positif : celui de remettre au cœur du débat public vos idées et vos convictions pour une Europe plus efficace, plus juste, plus solidaire et votre façon de gouverner plus inclusive.
Joséphine Staron
Vice-Présidente de Synopia