L’élection de Donald Trump constitue un électrochoc pour l’Europe numérique. Alors que l’administration précédente agissait avec mesure pour asseoir sa suprématie technologique, le retour du locataire de la Maison-Blanche se caractérise par une brutalité inédite. Mainmise des GAFA sur les données, ingérence juridique, relations transatlantiques reconfigurées… L’Europe ne peut plus se permettre de rester dans l’attentisme. L’autonomie stratégique numérique n’est plus une option : elle est un impératif vital. L’illusion du partenariat transatlantique Depuis 2018, la prise de conscience des dépendances numériques s’est imposée en Europe. La captation des données, l’ingérence des lois extraterritoriales américaines, les enjeux de cybersécurité ont été progressivement dévoilés. Des initiatives louables ont été lancées : France 2030, certifications SecNumCloud et EUCS, développement de clouds de confiance, régulation de l’IA. Mais ces efforts sont restés confinés à une logique de coopération contrainte avec les mastodontes américains, sans redéfinir un modèle relationnel qui nous place en situation de soumission. Or, le cyberespace est devenu un terrain d’affrontement global. Derrière des alliances diplomatiques, des entreprises et états conduisent des campagnes hybrides d’ingérence. L’IA s’impose comme un nouvel outil de déstabilisation, faussant les perceptions des populations et sapant la confiance dans les institutions. La compétition numérique n’est plus seulement économique : elle est culturelle, stratégique et politique. Trump II : le choc de l’incertitude Le retour de Donald Trump change la donne. Le basculement des GAFA vers une «techno-droite» libertarienne et conservatrice, la remise en cause des alliances historiques, l’approche brutale des relations internationales : tout concourt à renforcer l’urgence d’une souveraineté numérique européenne. L’hypothèse d’un décret présidentiel américain mettant à disposition de Washington les données européennes n’est plus un fantasme. La mise sous séquestre de données d’entreprises hébergées chez les GAFA, juridiquement validée en droit américain, est une possibilité réelle. Les infrastructures numériques européennes sont exposées et notre capacité à protéger nos intérêts stratégiques est menacée. La vérité est crue : l’hébergement des données en France ou en Europe chez un acteur américain les place sous juridiction US. L’exploitation des capteurs de cybersécurité dans le cloud accentue cette dépendance. En l’absence de solutions européennes à la hauteur, nous sommes piégés. Il est temps de renverser cette situation. Un New Deal numérique européen Face à ces menaces, un changement de paradigme est indispensable. Quatre grandes initiatives pourraient être engagées : 1. Lancer une dynamique nationale « État/Représentation nationale/Entreprises » à effet d’entrainement européen pour coordonner et suivre au plus haut niveau des États l’ensemble des actions concrètes à mener sans plus tarder. Un véritable plan d’action 2025/2027 est à construire, ainsi qu’une dynamique large soumise à une gouvernance globale regroupant l’ensemble du numérique (cyber, data, cloud, IA, quantique…) et associant en premier lieu les entreprises « consommatrices » et pas simplement les grands groupes. La France a su le faire pour les JO 2024 ! Promouvoir à la fois les offres souveraines et de confiance, mais lancer un échange entre les acteurs « français » et les GAFA pour faire comprendre que la situation actuelle est intenable et sera « perdant-perdant « comme semble le montrer les récentes évolutions de la bourse américaine. Faire des affaires ne veut pas dire écraser ou prendre son client en otage…. La Revue Stratégique 2025 lancée par le Président de la République pourrait constituer le premier réceptacle pour ses premiers travaux. 2. Conduire des États généraux du numérique avec l’ensemble des partenaires pour définir le plan 2027/2032, inspiré des méthodologies utilisées pour les Livres blancs sur la Défense et la Sécurité nationale. La France dispose du SGDSN rodé à ce type d’exercice. 3. Élargir les travaux de France 2030 en allant au-delà des seuls projets techniques. Favoriser la montée en gamme de marchés « domestiques » accessibles aux offres issues de groupements d’entreprises européennes, faciliter l’accès à des marchés (gouvernement, OIV…) d’une taille importante. 4. Lancer une sensibilisation et concertations avec les associations de DSI d’entreprises de toutes tailles, les éditeurs et les entreprises de services numériques ESN. Grands groupes mais aussi et surtout ETI/PME qui ont besoin de davantage de conseils et des SI moins complexes, mieux adaptés dans un premier temps à des offres de services européennes. La France, catalyseur d’une Europe souveraine Il ne s’agit pas de rejeter en bloc les technologies américaines, mais d’exiger des relations équilibrées et respectueuses des intérêts européens. Comme le général de Gaulle en 1956 face à l’affaire de Suez, a su impluser la création de la dissuasion pour retrouver une autonomie stratégique, nous devons acter cette rupture non comme une fatalité, mais comme une opportunité historique. La France a déjà démontré sa capacité à mobiliser des coalitions et à structurer des filières stratégiques. Airbus dans l’aéronautique, la reconstruction de Notre-Dame, l’IA Summit, … Ces initiatives montrent que lorsqu’une vision claire est portée, l’Europe peut s’organiser et peser. La construction d’une autonomie numérique européenne est un chantier titanesque. Il exige un engagement résolu des politiques, des industriels et des consommateurs de solutions numériques. Il requiert une coalition d’états européens volontaires, un véritable marché domestique du numérique et des règles claires imposées aux fournisseurs extra-européens. L’autonomie en cybersécurité ne se limite pas à une question technique : c’est un enjeu politique, un impératif de souveraineté, de compétitivité et de stabilité sociale. Dans ce contexte, le Pôle d’excellence cyber est pleinement engagé à jouer un rôle clef dans la structuration de l’écosystème français et européen, centré sur le régalien européen et aligné avec les politiques du ministère des Armées, de l’ANSSI, des institutions européennes, et de partenaires européens. Sans attendre davantage, un groupe de travail sera lancé pour débattre de ce sujet avec nos membres. Là où il y a une volonté, il y a un chemin… VAE (2S) Arnaud Coustillière, Président du Pôle d’excellence cyber Membre de Synopia et de son groupe OSINT |