Jusqu’à la crise sanitaire que nous venons de connaître, les entreprises expérimentaient le télétravail en mode mineur : une journée de travail à distance en général, voire deux journées pour les plus audacieuses d’entre elles. Il s’agissait bien souvent d’épargner au salarié un temps de transport nuisible à un bon équilibre de vie, en l’autorisant à travailler dans un environnement personnel préalablement validé (un espace réservé, une qualité suffisante de connexion à distance, et des enfants à l’école !). Ce télétravail mineur était plutôt l’apanage des cadres et cadres supérieurs.
La crise sanitaire et son obligation de confinement nous ont plongé dans une nouvelle forme de télétravail, une sorte de « family-travail ». Tous les collaborateurs, cadres et non-cadres, ont subi une situation inédite : devoir assurer leurs missions professionnelles dans un espace non dédié, partagé avec conjoints et enfants le cas échéant, tout en gérant alors l’éducation des enfants, la préparation des repas (qui n’étaient plus apportés par la restauration), et en partageant une connexion internet devenue vitale, pour tout le monde même si très inégale en débit. Ce family-travailconstitue encore aujourd’hui un équilibre instable, tel que décrit par les lois de la physique : un équilibre qui n’a pas vocation à durer, et doit être remplacé par un nouvel équilibre, à nouveau stable.
Même passablement amélioré, revenir à l’équilibre précédent ne sera satisfaisant ni pour les salariés ni pour leurs employeurs, qui doivent désormais composer avec la crainte d’une situation sanitaire non résolue, ou reproductible au gré de n’importe quel autre virus agressif.
Alors, c’est bien une nouvelle organisation de nos modes de travail que nous devons imaginer et mettre en œuvre. Ce nouvel équilibre stable, que j’appelle de mes vœux, c’est ce que d’un néologisme imparfait je nomme « l’open-travail ». De quoi s’agit-il ? C’est une autre voie, bien plus audacieuse et porteuse d’une nouvelle société française où une partie des inégalités et les aberrations d’un Etat centralisé pourraient être estompées. C’est une voie que les entreprises tertiaires mais aussi les collectivités locales peuvent emprunter.
L’open-travail, c’est le salarié qui choisit son lieu de vie personnel et l’entreprise qui s’adapte à ce choix. C’est un travail qui s’exerce de n’importe où et ce qui doit primer, c’est que chaque salarié dispose d’un lieu de vie agréable et d’un temps de transport négligeable. Ce qui doit primer, c’est le choix du salarié de son lieu de vie, de son mode de transport, et ce ne sont pas les contraintes imposées par la localisation géographique des sites de travail de son employeur. C’est la qualité de vie personnelle qui doit prévaloir, et qui conditionne l’efficacité et la performance professionnelles, et non l’inverse. Dans ce contexte, le travail à distance pourra devenir pour ceux qui le souhaitent la composante majeure de leur vie professionnelle, et le travail en présentiel la mineure.
Pour que le modèle de l’open-travail soit – aussi – gagnant pour l’entreprise, il reste beaucoup à inventer au service de la cohésion des équipes de l’appartenance à l’entreprise ; il restera aussi à définir un nouveau cadre pour préserver les moments conviviaux et informels. Les conventions, team building, sessions de formation et autres rituels d’intégration qui s’étaient progressivement virtualisés vont retrouver leur fonction première de moments de sociabilisation. Les lieux de travail habituels vont aussi devoir se réinventer, entre flexibilité, convivialité et accessibilité. De nouveaux espaces de travail (plus petits, hyperconnectés et suréquipés) vont apparaître, à l’échelle d’un département ou d’une région. Ils permettront au salarié de se rendre sur un lieu dédié au travail mais à proximité de son domicile. La mise à disposition par les entreprises d’équipements digitaux performants et d’un support efficace sera un facteur clé de succès.
Enfin, sachant qu’un salarié sera désormais nettement plus mobile qu’auparavant, les territoires désireux d’être attractifs devront apporter la garantie de la disponibilité permanente d’un accès internet haut débit et d’un cadre de vie de qualité (fiscalité locale, services publics, commerces, espaces verts…).
Ainsi, « l’open-travail », cette nouvelle organisation qui obligera chacun à redéfinir de nouveaux équilibres entre vie professionnelle et vie personnelle, pose les fondations d’un nouveau rapport entre l’entreprise et ses salariés.
Christophe Harrigan
Directeur Général de la Mutuelle Générale
Membre de Synopia