« La vague verte », titrent les journaux au lendemain des élections municipales du 28 juin 2020. Effectivement, les listes estampillées EELV l’emportent dans nombre de villes grandes et moyennes : Bordeaux, Lyon, Strasbourg … Même les autres vainqueurs ont cru bon de verdir leur discours, comme à Lille, à Marseille, à Nantes ou à Pau. Victoire de l’écologie, vous dis-je !
Cependant, il faut faire attention (si l’on ose dire) à ne pas prendre l’arbre pour la forêt.
En premier lieu, ces élections concernent des communes. Ainsi, ce n’est pas le maire de la ville de Paris qui a été élu, pas plus que le maire de la ville de Bordeaux, de Marseille ou de Lille. Ce sont les maires des communes qui portent ce nom qui ont été élus, et qui sont le centre des villes que, par facilité de langage, on appelle ainsi. Mais la ville de Bordeaux ne se résume pas à la commune de Bordeaux. Lormont, Cenon, Pessac, Mérignac, Talence, et d’autres communes font également partie de cette ville, et l’ensemble des habitants de ces communes limitrophes est supérieur à ceux de la commune de Bordeaux proprement dite (Il y a 250 000 habitants à Bordeaux, et 1 million dans l’agglomération bordelaise). Et, sur aucun plateau de télévision dimanche soir, on n’a appris quel était la nature et la composition du vote dans l’agglomération bordelaise, lilloise ou rennaise.
Il est probable que les habitants des villes-centres ont une propension naturelle à voter pour un programme écologiste. Quand on habite au bord du canal St Martin à Paris, aux Chartrons à Bordeaux, ou quais de Saône à Lyon, que l’on travaille à proximité de son domicile dans l’édition ou l’événementiel, et que l’on ne possède pas de voiture, on préfère assez logiquement un programme prévoyant de privilégier les déplacements à pied ou à bicyclette, d’interdire les voitures, et de développer les jardins et les squares.
Mais la plupart des habitants des agglomérations françaises ont un quotidien différent. Certains habitent dans une commune de lointaine banlieue, parce que c’est là qu’ils ont les moyens de se loger, et ils viennent tous les jours rejoindre leur bureau du centre-ville au prix d’un long trajet composite en voiture individuelle, transports urbain et marche à pied. D’autres, encore moins chanceux, habitent dans une commune pavillonnaire éloignée de la ville-centre, travaillent dans la zone industrielle d’une autre commune, et ils effectuent en voiture personnelle le trajet domicile-travail au gré des bouchons. Ceux-là ont probablement, comme tout le monde, le souci de l’avenir de la planète, mais leur quotidien ne leur permet pas de penser vélo et verdissement des espaces publics.
Les élections municipales créent donc une illusion d’optique. Les programmes des listes écologistes ne sont pas approuvés par les Français. Ce sont les bobos des centres-villes qui les plébiscitent et qui, au passage, concilient en un seul vote leur confort et leur conscience. Mais il est vrai que les journalistes et les commentateurs font partie de ce petit monde.
En vérité, au cours de cet épisode électoral, le tour le plus important pour ces habitants, ce n’est ni le premier, ni le second, c’est bien le troisième, au cours duquel les conseillers communautaires vont élire le président de la communauté d’agglomération et l’équipe qui vont tenir les rênes (et les cordons de la bourse) de l’instance qui décidera des principaux sujets de la vie quotidienne : voierie, transports urbains, écoles, urbanisme, etc. Cette instance se mettra en place, dans quelques semaines, au terme d’un processus imprévisible qui fera la part belle aux alliances partisanes, voire aux combinaisons d’appareil dignes des grandes heures de la IIIe République. Personne ne sait encore, dans la plupart des villes, quel sera l’exécutif des communautés d’agglomération. Et, bien sûr, quel en sera le programme. Aujourd’hui, seules les calculettes travaillent.
Le résultat de cet épisode électoral est désastreux pour la démocratie. Voilà une élection au cours de laquelle on est censé élire les équipes chargées d’administrer le quotidien de la population. Les résultats tombent. On les commente doctement à partir des segments de l’élection qui concernent seulement les nantis, bien insérés dans le monde de la production intellectuelle, et heureux occupants des zones les plus agréables du territoire. Ce faisant, on oublie la majeure partie de la population, qui disparait du champ de vision médiatico-politique. Et, enfin, on escamote le chapitre déterminant du processus électoral qui désigne les vrais décideurs, lequel échappe donc à tout contrôle démocratique.
Il ne faut peut-être pas, ensuite, déplorer le faible taux de participation. Et il ne faut peut-être pas, ensuite, déplorer la montée des extrémismes, et des mouvements de type « gilets jaunes ».
Xavier d’Audregnies, membre de Synopia