Depuis sa première élection à la présidence de la République en 2017, Emmanuel Macron ne cesse de le proclamer : en matière de relations avec les pays africains, la France a radicalement modifié son logiciel, ses attitudes et son discours. Le message se veut à la fois disruptif et rassurant : la France adapte désormais sa politique aux aspirations des nouvelles générations du continent, légitimement soucieuses d’une relation égalitaire fondée sur une logique partenariale et empreinte de considération, désireuses de construire un nouvel ordre international plus respectueux. Dans les faits, le changement de paradigme se révèle un véritable parcours du combattant.
Dans les mots, tout avait en réalité bien commencé, avec une formule choc lancée en novembre 2017 devant les étudiants de l’université de Ouagadougou : « il n’y a plus de politique africaine de la France ». Rapidement, de premiers actes suivent : amorce de réforme du franc CFA en 2019 : restitution d’œuvres d’art au Bénin ; réorientation des relations entre la France et le continent, vers le monde anglophone et lusophone. Le jeune président se targue d’être né après les indépendances. Il dénonce la colonisation comme « un crime contre l’humanité ». Il ressent intuitivement un basculement et s’efforce d’y répondre, avec les mots et les codes de sa génération. A Montpellier, en octobre 2021, il lance un nouveau signal, rompant avec les traditionnels sommets de chefs d’Etat. Au risque de heurter ses homologues, il s’adresse directement à leurs sociétés civiles, cette jeunesse africaine qui ne le ménage guère et qui attend davantage de la France que les signaux timides qui lui sont adressés.
Tout avait donc bien commencé. En ce début de second quinquennat, il lui faut pourtant vingt fois sur le métier remettre l’ouvrage. Le président voulait imposer son rythme. Il se retrouve brutalement sur la défensive, contraint de gérer l’image d’une France congédiée manu militari du Mali puis du Burkina Faso. Au Burkina Faso, où Emmanuel Macron avait lancé son chantier de refondation, le président Kaboré a été entretemps renversé par le lieutenant-colonel Damiba, lui-même poussé vers la sortie quelques mois plus tard par le capitaine Traoré. Lors de la chute de Damiba, des intérêts français sont attaqués et des drapeaux russes fleurissent dans les rue de la capitale burkinabè.
La politique des petits pas impulsée par l’Elysée apparait une réponse bien tiède face à la radicalité d’opposants décidés à bouter hors du continent tout ce qui ressemble de près ou de loin à une quelconque présence hexagonale. Emmanuel Macron assiste aux ravages sur les opinions publiques d’une propagande de présidents putschistes, qui dissimulent leurs propres échecs sécuritaires derrière un bouc émissaire tout trouvé. Il subit le discours fleuve du colonel Maïga, Premier ministre par intérim du Mali, qui dénonce en novembre dernier, du haut de la tribune des Nations Unies, l’existence d’une pseudo « junte française », prétendument à l’origine des attaques djihadistes dans son pays. La France encaisse mais ne bronche pas. Sur le terrain, les militaires de Barkhane sont remplacés par les mercenaires de Wagner.
La Russie avance ses pions et l’Afrique se trouve propulsée au cœur de nouveaux affrontements géopolitiques. Vladimir Poutine entend en faire un espace d’influence majeur. Le chef du Kremlin évoque, dans un discours en octobre dernier, « des élites occidentales restées colonialistes ». Il marque des points lorsqu’il se pose en champion des valeurs traditionnelles face à un Occident supposé dépravé. Il engrange avec satisfaction le non-alignement d’une majorité des Etats du continent lors des différents votes aux Nations Unies sur l’agression de l’Ukraine. Sur les réseaux sociaux, des influenceurs distillent tweet après tweet un récit haineux à l’encontre de Paris et des dirigeants des pays amis, Côte d’Ivoire, Niger, Sénégal, Guinée Bissau, dont les présidents sont affublés des délicats sobriquets de « laquais » ou de « vassaux ». Ces activistes ont pour nom Nathalie Yamb, Kemi Seba ou encore Franklin Nyamsi. Paris les suspecte d’être directement financés par le Kremlin. Epaulés par des fermes à trolls et des usines à bots, à grand renfort d’infox et de discours simplistes, ils font des ravages dans certaines franges des opinions publiques du continent.
Confronté à ces coup de boutoirs, Emmanuel Macron peine à trouver la parade. Le récit russe se nourrit aussi de faux pas de l’Elysée, ce sentiment de deux poids deux mesures, par exemple pour condamner un coup d’Etat, selon qu’il se passe au Mali ou au Tchad. Il s’ancre dans des ressentiments liés au passé colonial bien sûr, mais aussi dans un présent marqué par une politique de visas plus restrictive, des droits universitaires souvent prohibitifs pour les étudiants africains. Le chef de l’Etat tente une nouvelle riposte. Lors d’une conférence de presse fin février, il sort de cet attentisme mortifère qui étonnait certains de ses partenaires africains, à l’exemple d’Alassane Ouattara qui s’en serait ouvert à lui lors de son dernier déplacement officiel en France.
Emmanuel Macron s’efforce de reprendre la main, sans renverser la table, en s’inscrivant en réalité dans une forme de continuité. Le discours de l’Elysée fait écho pour l’essentiel à celui de Ouagadougou. Conscient de se situer dans un « moment de transition », le président français fait preuve de lucidité lorsqu’il reconnait que ses mots prononcés en 2017 – « il n’y a plus de politique africaine de la France » – « ne sont pas suffisants, même s’ils sont toujours d’actualité ». Il pose le diagnostic : « Nous sommes au milieu du gué, avec une politique qui a décidé de changer, sans avoir convaincu sur les contours du changement ». Il revendique une posture « d’humilité », en réponse à tous ceux qui dénoncent un comportement structurellement arrogant de la France. Il insiste sur la dimension partenariale de la relation, quel que soit le domaine d’action, sur le plan militaire mais aussi sur le terrain économique, où le président en appelle à passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire. Sur la question mémorielle, toujours très sensible, il annonce un texte de loi sur la restitution des œuvres d’art.
Le président se fait pédagogue lorsqu’il évoque les résultats de Barkane : « ce n’était pas le rôle de nos soldats d’apporter seuls une solution politique ». Il tente de parler vrai, reconnaissant de manière décomplexée l’existence d’intérêts : « nous avons des intérêts à défendre ; on ne va pas faire le bien commun ; nous avons des défis communs » ; lorsqu’il analyse, sous forme de mea culpa, les ressorts du rejet de la France : « on a laissé s’installer l’idée que le France était responsable de tout » ; ou enfin lorsqu’il pose des mots sur Wagner : « mercenaires criminels, assurance vie de régimes défaillants ou putschistes ».
Après avoir réaffirmé le principe du changement, le but du discours est désormais de convaincre de sa réalité. Pourtant, à l’épreuve des faits, Emmanuel Macron trébuche une nouvelle fois sur le principe de réalité. Attendu sur un point de crispation majeur – le maintien des bases militaires françaises sur le continent – le président choisit une ligne médiane : « une présence moins visible et plus lisible ». S’il avait pris la décision audacieuse de fermeture des bases (hors Djibouti), il aurait marqué un point auprès de larges secteurs des opinions publiques africaines. Convaincu que l’influence française repose en réalité très largement sur la présence de ces bases, le président préfère évoquer « un nouveau partenariat militaire », fondé sur de la formation, de l’accompagnement, de l’équipement. Il promet que la montée en puissance des troupes des pays d’accueil s’accompagnera d’une diminution du nombre des soldats français présents. Présentée comme une rupture, cette approche s’inscrit dans la logique d’un dispositif de formation déjà mis en place par la France depuis le début des années 2000, les ENVR (Ecoles Nationales à Vocation Régionale), qui accueillent des élites militaires sur une base à la fois panafricaine et de spécialisations. Rien de vraiment nouveau sous le soleil africain !
Quelques jours plus tard, le président passe aux travaux pratiques. Une tournée le conduit dans quatre pays d’Afrique centrale, parmi lesquels le Gabon et la République du Congo. Curieuse concomitance et étonnante maladresse de choisir un déplacement dans deux Etats piliers de « feu la Françafrique » deux jours après son discours de refondation. Bien qu’il s’en défende à juste titre, l’étape de Libreville est interprétée comme un coup de pouce au président candidat, à six mois de la présidentielle. Emmanuel Macron fait fi d’ignorer qu’au Gabon, comme au Congo, le pouvoir dynastique est suspecté de bénéficier de la bienveillance de Paris. L’étape de la République Démocratique du Congo n’est guère plus concluante. Lors d’un échange aigre-doux avec Félix Tshisekedi, Emmanuel Macron semble donner des leçons à son homologue. Pris en défaut sur l’humilité, le parler vrai d’Emmanuel Macron se trouve également mis à mal par son refus de condamner clairement l’appui du Rwanda au M23, ce groupe armé qui sème la terreur dans l’est de la RDC. Le président français se trouve brusquement confronté à une contradiction, sommé de se prononcer sur un conflit qui ne concerne pas la France, alors que celle-ci est régulièrement vilipendée pour sa tentation d’ingérence.
Emmanuel Macron n’ignore pas ce paradoxe et tant d’autres dans cette relation qu’il définit « comme un lien unique et existentiel ». Il s’évertue à y introduire de la rationalité, convaincu que si la France est bousculée, sa voix peut encore porter. Il entend remplacer la passion par du pragmatisme, face à des adversaires qui misent sur la fibre émotionnelle. L’enjeu reste ces opinions publiques avec lesquelles la France partage une histoire, une langue, des diasporas, autant de passerelles naturelles. Envers elles, la réponse se cherche encore. Dans une relation, il n’est décidément jamais facile d’être au milieu du gué.
Geneviève Goëtzinger,
Présidente de l’agence imaGGe
Membre de Synopia