Le futur n’est pas l’avenir. D’après le Robert, « le futur est ce qui appartient à l’avenir ». Nous adorons tous nous projeter dans le futur, anticiper, nous y préparer : où allons-nous ? que ferons-nous ? comment l’activité va-t-elle évoluer ? dans quel secteur .… L’homme est un être de projet et d’anticipation. L’homme est l’être qui attend et prépare son futur. Mais le futur n’est pas l’avenir ! Autant le futur est prévisible, autant l’avenir, représente ce qui arrive mais à la façon d’un surgissement ou d’une nouveauté inattendue. C’est la catastrophe qui vient déjouer tous nos plans. C’est aussi le grain de sable qui enraie la machine. On anticipe tous les risques possibles et prévisibles (futur) pour une centrale nucléaire et c’est pourtant Fukushima (avenir). On prévoit tous les types de risques sanitaires pour le futur, sauf la catastrophe sanitaire que nous traversons. Ainsi, le risque désigne une situation où les possibilités futures sont connues et probabilisables.
Par opposition, l’incertitude désigne une situation où l’on ignore tout cela. Et force est de constater qu’en plein Covid-19, nous sommes bien en proie à ce phénomène d’incertitude. L’intérêt de la planification. Le sujet de la réponse à l’incertitude, c’est que celle-ci ne se gère pas comme un risque, que ce soit en termes de prise de décision, de gestion des opérations ou de communication. Si le risque s’anticipe par sa probabilité d’apparition et son ampleur, il peut (évidemment) plus facilement se planifier. La gestion des risques est d’ailleurs le « sport national » en entreprises tellement il rassure les dirigeants. Chaque risque fait l’objet d’un plan d’actions gradué. Une fois le risque matérialisé, il suffit d’appuyer sur le bouton et on déroule le plan qui aura été travaillé au préalable. Continuité d’activité, réponse à un incident d’exploitation…
Si on sait anticiper le risque, la décision est simple et l’action normalement appropriée. La gouvernance reste simple, en générale centralisée déconnectant les circuits de décision habituels pour permettre une mise en œuvre la plus rapide possible. Quant à la communication, elle est directive, descendante et par nature rassurante puisqu’il est possible d’évoquer l’ensemble des étapes par avance. La fin est connue comme les seuils de franchissement des chapitres du plan d’action. Dans le cas du Covid-19, le passage du stade 2 au stade 3 relève de cette logique et n’a d’ailleurs pas soulevé d’inquiétude démesurée dans la population. L’armée excelle aussi dans sa capacité à planifier, d’une part pour organiser dans le temps long ses investissements, d’autre part pour préparer les opérations militaires et de défense en fonction des menaces ou des risques recensés.
On peut ajouter que, notamment pour ce qui concerne la planification des opérations (voir la plus célèbre d’entre elles, Overlord), il est très rare que les choses se passent comme elles avaient été planifiées. Mais le simple fait d’avoir planifié et donc d’avoir réfléchi avant, permet aux états-majors d’être en mesure de faire évoluer très vite les mouvements au regard de ce qui se passe effectivement sur le terrain. Gérer l’incertitude – Les quatre clés. Il en va différemment lorsque le danger ou la menace sera de nature nouvelle, voire imprévisible. L’incertitude relève en effet d’une tout autre logique. Celle de l’expérimentation.
Expérimenter c’est éprouver, pratiquer des expériences, tester, trouver des analogies. En définitive, c’est accepter de ne pas savoir. Gérer en situation d’incertitude, c’est avancer à l’aveuglette en découvrant chaque minute des événements nouveaux et non envisagés. Ce serait comme une armée qui progresserait en terrain inconnu, et qui verrait un jour des arbres descendant du ciel, un autre jour des vents soufflant à la fois du Nord et du Sud, et un troisième la pente qui à la fois monte et descend. Coller une réponse « toute prête », un plan d’action « sur étagère » et c’est la crise assurée. Dans cette situation que certains appellent « l’inconnu inconnu », puisqu’on ne sait même pas ce que l’on ne sait pas, il faut adopter une autre attitude que les attitudes conventionnelles lesquelles consistent à se référer aux situations connues pour extrapoler les solutions.
1. Multiplier les capteurs
Le premier impératif est de multiplier les capteurs, pour mieux connaître ce qui se passe, aussi étranges que puissent être ces informations. Les capteurs existent, ce sont chacun des membres de la communauté humaine qui fait face à cette crise. L’enjeu pour celui qui est décisionnaire est de sortir de la « bunkerisation organisationnelle » que génère la situation de crise, pour être attentif et poreux aux signaux faibles, aux informations remontant par des biais singuliers.
2. Favoriser les initiatives de terrain et les tester localement
La deuxième mesure de bon sens est de largement favoriser les initiatives des acteurs de terrain. Il est en effet possible que, par intuition, par la réunion fortuite d’un certain nombre de conditions, ou par simple hasard, une découverte majeure soit réalisée à Cahors ou à Redon. Pour profiter complètement de ces avancées locales ou fortuites, il faut monter rapidement un réseau de diffusion de ces pratiques sur un mode horizontal et non pas pyramidal, afin que les innovations partielles ensemencent d’autres initiatives, prises par ailleurs, qu’elles enrichiraient ou infléchiraient.
3. Créer une war room
Il faut que le niveau central se dote d’une war room, d’une capacité de capitalisation des informations factuelles, et des initiatives locales. Cette capitalisation sera le réservoir de données qui permettra d’avancer infiniment plus vite dans la connaissance du terrain, et dans les solutions appropriées pour vaincre les différentes difficultés. En effet, en mettant sur ce réservoir de données des outils assez rustiques d’intelligence artificielle – ou même, plus simplement quelques experts aguerris – on peut rapidement distinguer les traits structurels du phénomène, en supprimant le « bruit » qui entoure cette masse d’information. Accepter de prendre des risques en mettant en œuvre est un corollaire de l’incertitude. Il faut essayer, tester, tâtonner. L’univers des start-up est très aguerri à ce type de pratique. Par nécessité de tester les conditions de succès d’une innovation, elles sont obligées d’essayer toutes les combinaisons possibles, à la manière d’un « mastermind », jusqu’à ce que le terrain, les premiers clients leur donnent raison. Attention cependant au risque dans un souci de parfaite maîtrise d’attendre la fin des analyses pour décider !
4. Contrôler la communication
Enfin, il faut être authentique dans sa communication. Authentique ne veut pas dire que l’on dit tout. Simplement, ce que l’on dit est conforme à la réalité. Dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit est la base du contrat de confiance en période d’incertitude. L’humilité prime. Cela n’empêche pas de bien dire les choses ou de cultiver une formulation à son avantage. Mais cela exclut toute posture de communication qui serait déconnectée de la réalité vécue et qui asséneraient de fausses vérités. C’est aussi au sein de la war room que devra s’élaborer cette communication. La phase de sortie du confinement sera tous les jours mise à l’épreuve de l’incertitude. La désignation récente d’un responsable pour cette phase capitale montre, s’il en était besoin, que la war room doit déjà se mettre en place, à ses ordres pour être prête au jour J.
Général Bertrand Ract Madoux, Amiral François Dupont, Benjamin Grange, Xavier d’Audregnies, membres de Synopia