Parole du chef, communication du président … A première vue, la distinction peut apparaitre paradoxale, voire même un peu factice. Le président de la République n’est-il pas le chef suprême, chef de l’Etat, chef des armées, celui auquel tout remonte, qui tranche in fine de tout et dont le peuple attend tout ? Dans un régime aussi vertical et monarchique dans l’esprit que la Vème République, sa parole s’inscrit dans la définition en trois volets que le philosophe Paul Thibaut donne de la parole du chef : « elle arrête la discussion, elle fixe la réalité, elle libère les esprits ».
En période de crise, le réflexe légitimiste est instantanément renforcé, réponse dans l’immédiateté à un réflexe de peur. Qu’il s’agisse de lutte contre le terrorisme, de crise financière majeure ou bien de sécurité sanitaire comme en ce moment, le chef doit répondre par une parole puissante, avec une forme de hauteur qui génère confiance et consensus. Le général de Villiers aime ainsi définir le chef comme « un absorbeur d’inquiétude et un diffuseur de confiance », lui fixant comme premier rôle de susciter l’adhésion et comme principal levier de dire la vérité.
Mais la différence entre le champ militaire et la sphère politique est flagrante. Dans l’armée, le respect de la parole du chef s’inscrit dansl’attachement à un système de valeurs, de règles partagées. Dans le champ politique, le pouvoir n’est pas d’essence hiérarchique mais s’exerce par délégation. L’adhésion n’est jamais acquise ; elle est pourtant la condition de l’acceptabilité des décisions lorsque celles-ci apparaissent exorbitantes du droit commun. Elle a tendance à s’étioler au fur et à mesure que les effets de la sidération s’estompent et que le débat partisan reprend ses droits.
La communication s’impose alors comme l’outil naturel d’accompagnement et d’explication de la décision. Depuis le début de la pandémie, le chef de l’Etat a la parole fréquente et s’est exercé à différents registres de communication, avec un succès variable. Il a dans un premier temps opté pour une posture martiale, accompagnée de formules guerrières et d’envolées lyriques ; la théâtralisation de la parole présidentielle n’a pas eu l’efficacité escomptée en termes de confiance, celle-ci s’étiolant pour finalement dégringoler au fil des enquêtes d’opinion.
Cette contreperformance peut en réalité s’expliquer par le non-respect, dans cette première phase de la communication présidentielle, des règles de la parole du chef. La communication du chef de l’Etat a ainsi été fragilisée par un manque de transparence provoquant le doute sur l’origine réelle de certains choix, notamment en matière d’utilisation de masques ou de tests ; elle a été affaiblie par une propension à s’abriter derrière les experts scientifiques, semblant sinon leur déléguer la prise de décision, du moins se défausser sur eux ; des injonctions contradictoires ont nui à la clarté du message ; elle a enfin souffert d’un manque d’empathie envers des citoyens qui ont pu se sentir plus infantilisés que responsabilisés dans la mise en œuvre des décisions qui leur étaient imposées.
Conscient des risques, le chef de l’Etat opte désormais pour une posture radicalement différente, plus concrète, plus sobre, plus véridique aussi, empreinte de bienveillance et enfin plus efficace. Emmanuel Macron joue la carte de la transparence, assume la prise de décision et réaffirme le primat du politique car la responsabilité en la matière ne se délègue pas plus qu’elle ne se divise. Dans ses ressorts les plus profonds, sa communication renoue avec la matrice de la parole du chef. Presque trois années après ce 14 juillet qui aura marqué sa rupture avec le général de Villiers, il adopte paradoxalement cette règle des 4 C théorisée par l’ancien chef d’Etat major des armées. Emmanuel Macron « conçoit, convainc, conduit l’action et la contrôle ».
Geneviève Goëtzinger
Membre de Synopia
Présidente de l’agence en stratégie de communication imaGGe
Ancienne directrice générale de RFI et de Monte Carlo Doualiya