Symptômes
L’UE semble être victime du même virus qui touche plusieurs centaines de milliers depersonnes dans le monde : le COVID-19. Elle en montre du moins tous les symptômes.Les marchés économiques et les États toussent : les bourses s’affolent, les liquiditéss’échappent, le modèle capitaliste s’enrhume, les démocraties se confinent. La toux gagne aussi les institutions européennes et leurs représentants dont la voix ne porte plus : ils sont aphones.
La fièvre monte du côté des États membres de l’UE qui adoptent des comportements égoïstes, à mille lieux de « l’esprit de solidarité » inscrit dans les traités européens : les frontières intérieures se ferment les unes après les autres, sans concertation ni décision commune, au moment même où la Turquie décide d’ouvrir la sienne et de laisser pénétrer des milliers de réfugiés sur le territoire Grec, faisant fi de l’accord passé en 2016 avec l’UE.
Cette fièvre généralisée provoque panique et désorganisation : des États européens subtilisent du matériel médical destiné à leurs voisins ; l’afflux migratoire en Grèce est passé sous silence qu’ils se débrouillent !) ; l’Italie n’a d’autre choix, face au manque de solidarité européenne, que de se tourner vers la Chine pour obtenir l’aide dont elle a besoin.
L’état de santé de l’Union européenne se détériore rapidement. Elle est en insuffisance respiratoire, à bout de souffle, étouffée par ses symptômes qui ne semblent pas prêts de se résorber. C’est désormais officiel : son pronostic vital est engagé.
Diagnostic
Si ces symptômes ressemblent à ceux du COVID-19, un diagnostic plus précis nous pousse à identifier le mal chronique dont souffre l’Union européenne et que la crise sanitaire actuelle n’a fait que confirmer : l’absence flagrante de solidarité.
En effet, ce n’est pas la première fois (et peut-être pas la dernière non plus), que ces symptômes apparaissent : la construction européenne, si elle constitue une entreprise de solidarisation des États, a connu de nombreux épisodes ou crises qui ont, soit résulté dans une avancée en matière de solidarité européenne (la crise économique de 2008 par exemple), soit dans un recul et un repli sur des positions égoïstes, non solidaires (comme dans le cas de la crise migratoire depuis 2015).
Mais cette-fois ci, la crise du COVID-19 (celle de trop ?) a envoyé l’Union européenne directement en réanimation : les symptômes étaient trop forts, l’absence de solidarité trop visible. Contrairement à l’illusion qui a longtemps accompagné la construction européenne, la crise actuelle révèle une douloureuse vérité : l’UE n’est pas immunisée face aux menaces, elle n’est donc pas immortelle.
Si elle n’a pas été capable d’adresser une réponse commune et de mettre en place des actions coordonnées, ce n’est pas faute d’une compétence « santé », mais bien parce qu’elle est devenue structurellement incapable d’anticiper une situation de crise et les actions nécessaires pour y faire face. En d’autres termes, elle ne remplit pas sa mission première, celle qui lui conférait sa légitimité : assurer la protection et la sécurité des Européens.
Si l’UE ne protège pas, alors à quoi sert-elle ? C’est la question que se poseront de nombreux Européens à l’issue de cette crise, et à laquelle il faudra rapidement trouver une réponse si l’on souhaite réanimer le projet européen.
Traitement
Quelle que soit l’issue de la crise sanitaire, le chemin de la guérison sera long, pour l’UE bien sûr, mais aussi pour les États. Dans un premier temps, et les institutions européennes semblent l’avoir compris, les efforts doivent se concentrer sur l’objectif de faire baisser la fièvre. En suspendant ses règles d’or budgétaires pour faire face aux conséquences économiques de la crise, l’UE a démontré sa faculté d’adaptation, elle serait donc moins « butée » qu’elle n’y parait.
Mais pour donner un sens au concept de solidarité européenne et démontrer sa valeur ajoutée, l’UE devra être en mesure à l’avenir de sanctionner les manquements des États à leurs devoirs de solidarité. Le comportement égoïste de certains pays ne peut être toléré. Pour que le système européen redevienne légitime et fasse la preuve de son efficacité, chacun (État, citoyen, entreprise) doit pouvoir faire l’expérience de la solidarité européenne et des conséquences de son absence.
Le deuxième temps de la guérison, une fois le gros de la crise passé, sera donc nécessairement celui de la reddition des comptes et celui des sanctions. Car nous oublions souvent que l’appartenance à l’Union européenne n’implique pas uniquement de nouveaux droits. Elle implique aussi des devoirs.
Mais la reddition des comptes ne devra pas uniquement concerner les attitudes des États pendant la crise. Ceux-ci, tout comme les institutions européennes, devront être en mesure d’expliquer pourquoi personne, ni au niveau national, ni au niveau européen, n’a été en mesure de prévoir un tel scénario ? Pourquoi les préconisations du rapport de Michel Barnier (que tous semblent découvrir pour la première fois alors qu’il a été remis aux institutions européennes en 2006), n’ont-elles pas été appliquées ou du moins plus longuement débattues ?
Ces questions interrogent le modèle politique, économique et social des États européens, ainsi que l’orthodoxie économique européenne, qui ont conduit à prioriser certains risques au détriment d’autres, ayant notamment pour conséquence un affaiblissement général et progressif des systèmes nationaux de santé et de solidarité sociale.
Ce deuxième temps de la guérison est central puisqu’il impliquera une sorte d’introspection, une évaluation de la construction européenne, de ses écueils, de ses succès, et surtout de ses finalités. Ce que la crise sanitaire aura révélé, c’est l’incapacité de l’Europe à prévenir les risques transnationaux, et le besoin désormais vital de renforcer son autonomie dans des secteurs d’intérêt stratégique.
Ce n’est qu’après ce temps de l’évaluation qu’un projet européen renouvelé peut voir le jour, tirant les leçons de la crise actuelle et des crises passées. En l’état actuel, ce nouveau projet pourrait prendre trois directions différentes : l’Europe-marché ; l’Europe-fédérale (hautement improbable), l’Europe-souveraine, condition de l’Europe-puissance. C’est cette troisième voie qu’il faut espérer et encourager.
L’appartenance à l’Union européenne doit permettre aux Européens d’être souverains, c’est-à-dire de maitriser leurs conditions d’existence, d’être en capacité de prendre des décisions et d’agir afin de défendre et protéger leurs préférences politiques, économiques, sociales, mais aussi culturelles et identitaires. C’est ce que recherche chaque État européen et qui constitue la promesse initiale de laconstruction européenne : donner à l’Europe les moyens de sa souveraineté, donc de son autonomie, dans un contexte de dépolitisation accrue du marché et des acteurs économiques, de crise du multilatéralisme et de remise en cause de l’équilibre géopolitique tel que nous le connaissons, de multiplication des défis et des risques transnationaux contre lesquels les États ne peuvent, seuls, se prémunir (comme l’a démontré la crise sanitaire).
Mais ce que la crise du COVID-19 aura également révélé, c’est que la souveraineté etl’autonomie individuelle (de chaque État membre) dépendent de la souveraineté collective ou européenne (de tous les États membres). L’unique moyen pour les États de maitriser efficacement leurs conditions d’existence réside ainsi dans le renforcement de la solidarité européenne.
Espérons qu’une fois la fièvre retombée, les États européens perçoivent et acceptent cette réalité. Sinon, nombreux sont ceux qui sauront tirer avantage de notre aveuglement.
Joséphine Staron
Doctorante en philosophie (Sorbonne Université)
Administratrice de Synopia