Le général Henri Bentégeat, membre de Synopia, a publié un ouvrage intitulé « Chef d’état en guerre » le 10 janvier 2019, aux éditions Perrin.
Résumé :
Dès sa nomination le 15 novembre 1917, le Tigre sait qu’il faut aller vite et s’imposer sans délai. La situation militaire, l’épuisement et le doute qui accablent les Français appellent une direction énergique et une prise en main de l’appareil de l’Etat. Il lui faut donc, estime-t-il, neutraliser le président de la République, contrôler le Parlement, maîtriser la presse, asseoir son autorité sur les chefs militaires, convaincre les Alliés et éliminer l’opposition à la guerre. Avec Raymond Poincaré, les choses se font simplement. « Clemenceau me déteste, écrit ce dernier, mais avec ses énormes défauts d’orgueil et de jalousie, de rancune et de haine, il a une qualité dont Caillaux est dépourvu : il a, au plus haut degré, la fibre nationale et il est patriote comme les Jacobins de 1793. » De son côté, Clemenceau, qui partage largement ses vues et ses idées, le tient toujours en piètre estime, jugeant que « le caractère, surtout lui fait défaut ». Poincaré l’a nommé parce qu’il a la poigne nécessaire pour gagner la guerre, envoyer « les traîtres devant la justice, tenir le Parlement, éliminer les généraux incapables et briser les grèves des ouvriers de l’armement ». D’entrée de jeu, Clemenceau limite les réunions présidées par le chef de l’Etat et fait entrer ses proches au Comité de guerre, officiellement en charge de la conduite du conflit. Il se chargera lui-même d’informer le président de la République : « Je viendrai souvent causer avec vous. »
De fait, il rencontre fréquemment Poincaré dans des conversations à bâtons rompus qui n’ont rien d’un compte rendu précis et complet. Il critique volontiers devant lui les chefs militaires, minimise l’action de ses ministres, lui demande de signer des lettres qu’il a fait préparer, mais ne l’informe pas des correspondances directes qu’il a avec les Alliés. Aussi Poincaré se plaint-il d’être mis sur la touche, mais il admire l’énergie de son président du Conseil et lui concède la réalité du pouvoir. Son gouvernement est une machine de combat. Tous les ministres sont du parti radical et le Tigre a placé ses fidèles aux postes clés : Louis-Lucien Klotz aux Finances, Pichon aux Affaires étrangères, Jules Pams à l’Intérieur et Louis Nail à la Justice. Quelques-uns, reconduits pour leur compétence, sont des proches de Poincaré, Georges Leygues à la Marine, Albert Lebrun au Blocus, Louis Loucheur à l’Armement. Mais il interdit à ce dernier de traiter directement avec le quartier général. Il leur fixe deux règles : discrétion et rapidité. Le téléphone est préféré aux notes écrites, les décisions doivent être prises en moins de soixante-douze heures, les Conseils des ministres, de quotidiens deviennent hebdomadaires. Tout passe par Mandel, assisté par Jules Jeanneney pour la coordination civilo-militaire. Au Parlement, son discours d’investiture, le 20 novembre 1917, est simple et très général : « Nous nous présentons devant vous avec l’unique pensée de faire la guerre. » Caillaux et Malvy, ses adversaires « pacifistes », s’abstiennent et les deux tiers des socialistes votent contre lui, mais son investiture est confirmée à une large majorité.
Le Tigre élude les questions sur les projets de paix, le programme du président Wilson. Dans l’immédiat, la seule chose qui compte, martèle-t-il, est de gagner la guerre.
Extrait de « Chefs d’Etat en guerre » du général Henri Bentégeat, publié aux éditions Perrin.