« Lettre ouverte aux députés : Make the Parliament great again ! » par Alexandre Malafaye

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Avant de parler de «renouveau démocratique», ne perdons pas de vue les chiffres clés de ces élections: les 24 % d’Emmanuel Macron au 1er tour de la présidentielle, puis ses 63 % au 2nd tour, mais face à Marine Le Pen (sans oublier les 12 % de votes blancs), et enfin, le record historique de l’abstention à l’occasion des législatives: 51 % au 1er tour.

À l’évidence, la décomposition de la vie politique de notre pays se poursuit, et il est très difficile de prédire la façon dont la France acceptera d’être gouvernée, et donc réformée. Avec d’un côté, un alliage politique gouvernemental inédit associé à une majorité record de 400 ou 450 députés, mais élue par 15 % des citoyens seulement, et de l’autre, des Français qui n’ont pas encore pris la mesure du tsunami politique qui vient de le traverser, tout est possible. Mais le pire serait de ne rien faire, ou de se contenter de demi-mesures inspirées par «l’esprit de synthèse».

Même si la légitimité foncière du nouvel exécutif repose sur du sable, Emmanuel Macron dispose d’une fenêtre de tir pour agir. Il a d’ailleurs pris soin d’aligner toutes les planètes pour assurer une verticalité maximum de son pouvoir. S’il s’y prend bien, il réussira plusieurs réformes clés qui semblent avoir, in fine, pour objectif de redonner du pouvoir aux Français, dans les écoles, dans les entreprises, et partout où l’intelligence collective associée à l’expérience du terrain peut faire mieux que la loi. C’est là que doit résider la vraie «révolution» d’Emmanuel Macron. Car l’hyper concentration des pouvoirs ne saurait constituer une fin. D’ailleurs, dans la durée, rien de bon ne se construira, ni ne pourra se construire, sans une réelle articulation des pouvoirs et des contre-pouvoirs, et sans confiance. Il serait trompeur, et même dangereux, de croire encore au mythe de l’homme providentiel. Il y a, en revanche, des périodes providentielles et nous venons d’en traverser une. Emmanuel Macron l’a anticipé, et en sort grand vainqueur. Bravo. Mais en l’état du dégagisme ambiant, s’il n’était pas passé par là au bon moment, qui serait installé aujourd’hui à l’Élysée? Au soir du 8 mai 2017, notre pays aurait très bien pu faire un grand saut dans l’inconnu.

Il n’y a plus de temps à perdre. Dès le 19 juin, Emmanuel Macron devra se comporter comme un joueur de poker, faire tapis, et prendre le risque de sacrifier son capital politique pour tenir ses engagements. Si à l’automne, une grande partie des réformes clés sont votées, alors là, oui, nous pourrons parler de renouveau démocratique.

C’est là que l’Assemblée nationale entre en jeu. En grande partie renouvelée, elle va devoir se réinventer, et surtout, éviter de se retrouver cantonnée au rôle de greffier du gouvernement. Dans notre pays, le pouvoir politique marche sur deux jambes, l’exécutif et le législatif. Si l’une des deux est faible, ou inexistante, le premier bon en avant d’En Marche! sera peut-être spectaculaire, mais le suivant ne nous mènera pas très loin. D’aucuns rétorqueront que l’Assemblée nationale n’a jamais fait montre d’une grande audace vis-à-vis du gouvernement. C’est exact, et l’on voit ou cela nous a menés… Le renouveau démocratique ne peut pas une nouvelle fois se solder par la capitulation des députés, sans quoi, après un si profond renouvellement, Emmanuel Macron signerait l’arrêt de mort de la V° République.

L’inexpérience ne saurait être une excuse, ou un prétexte, et les nouveaux députés vont donc avoir une double mission, qu’il conviendra de mener de front avec la même ardeur, l’une pour soutenir l’action du gouvernement, l’autre pour s’affirmer et imposer le rôle qui doit être le leur. Ils en ont le droit – il est constitutionnel – et le devoir face à l’espoir que les Français placent en eux. Leur responsabilité est immense, à la mesure des attentes d’un peuple trahi par ses dirigeants politiques. La chance de ces nouveaux députés réside dans leur proximité avec les réalités et les usages d’un quotidien «normal», qui est encore le leur, et dans l’utopie dont ils sont porteurs. Qu’ils en fassent bon usage, sans jamais céder à la facilité! Et qu’ils reprennent la main sur le projet de loi du Garde des Sceaux et sa loi de moralisation. Davantage élaboré sous le coup de la réaction aux affaires, ce projet n’a pas été assez mûri. S’ils n’y prennent pas garde, et s’ils n’en simulent pas les effets, ils vont progressivement basculer d’un statut d’élu de la Nation, à celui de «cadre moyen» de la République.

Que les dépenses des parlementaires soient mieux contrôlées et encadrées, rien de plus normal et souhaitable. Mais pourquoi ce virage à 180 degrés avec le recours aux notes de frais, comme dans une entreprise? Pourquoi imposer ce régime aux parlementaires, alors que le chef de l’État et les ministres ne sont pas concernés. Une fois de plus, cet insupportable deux poids deux mesures…

Sauf à considérer que les parlementaires ne sont pas, dans leur grande majorité, honnêtes et sérieux, il faut les responsabiliser à la mesure de leurs hautes fonctions, leur donner les moyens de réussir, contrôler ce qui doit l’être, sanctionner les abus sans pitié, et juger le travail de chacun à l’aune de ses résultats. Et non les brider. La suppression de la réserve parlementaire au prétexte qu’il y avait des dérives (dans quelle proportion?), relève de la même idéologie privative et régressive.

Messieurs et Mesdames les nouveaux députés, vous incarnez autant le renouveau que le Président de la République, alors défendez l’Assemblée nationale! Fabriquez des règles claires et encouragez les contrôles – externalisez-les au besoin -, définissez des sanctions sévères pour les fautifs, mais ne vous laissez pas déposséder de vos attributs, et ne vous laissez rien imposer au prétexte que le Gouvernement l’a décidé. Prenez le temps de la réflexion, profitez de votre jeunesse en politique, pesez, évaluez, auditez, consultez, regardez ce qui se pratique dans d’autres pays, examinez aussi de près la question des moyens dont vous disposez pour travailler (notamment pour choisir et rémunérer vos collaborateurs), négociez pied à pied le tout, et ensuite, votez. Mais pas avant. Comme disait Georges Clemenceau: «Il faut d’abord savoir ce que l’on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut ensuite l’énergie de le faire.»

Ce qui se joue, ce ne sont pas vos notes de frais, c’est l’avenir de la fonction parlementaire et du Parlement. Nous avons trop pâti de ces assemblées dociles lors des votes, hors sol, bruyantes devant les caméras, et incapables d’exercer pleinement leur fonction de contrôle du gouvernement. Il vous appartient d’affirmer le pouvoir de votre Assemblée, dans le respect de nos Institutions. Le renouveau démocratique, le vrai, celui attendu par les Français, celui qui dépasse le stade des illusions électorales, emprunte ce chemin et nulle autre. Une chose est sûre, le Président de la République a besoin que vous jouiez pleinement votre rôle et que l’Assemblée nationale, sous votre impulsion, retrouve son autorité. Make the Parliament great again!

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