« Réforme des retraites : un projet à contretemps ? », par Alexandre Malafaye

Retrouvez l’article d’Alexandre Malafaye, publié le 31 janvier 2023 dans L’Opinion.

Comme à chaque réforme ou tentative de réforme, ce nouveau projet pour nos retraites échauffe les esprits, divise les Français et mobilise le camp – les camps – des opposants. 

Comment s’en offusquer ? Même si son ambition affichée vise à sauver pour un temps l’équilibre financier du système par répartition et s’il améliore certaines situations individuelles, il est difficilement défendable de présenter un départ plus tardif à la retraite comme un progrès social. 

De la même façon, l’argument d’injustice peut s’entendre dans la mesure ou certaines tranches d’âge n’auront pas d’autre choix que de travailler 44 ans, en particulier les actifs les moins diplômés et les plus exposés aux activités dite « pénibles ». Une nouvelle forme de lutte des classes, cols bleus contre cols blancs, ces derniers bénéficiant d’avantages certains en termes de conditions de travail, comme celui non négligeable du télétravail. 

Les artisans, les boulangers, les commerçants, les maraîchers, les cafetiers, les restaurateurs et toute l’immense communauté des patrons de petites entreprises pourraient eux aussi s’indigner avec raison, car leurs horaires pulvérisent bien souvent les 35 heures, la pénibilité bien réelle de leur travail n’est la plupart du temps pas reconnue et leur âge de départ à la retraite franchit bien souvent les frontières tracées pour les salariés du privé et les fonctionnaires. Là encore, des sujets d’injustice réels ou ressentis que la réforme envisagée ne corrige pas à ce stade.

Mais ces « régressions » ne constituent pas une surprise et il convient tout d’abord de tordre le coup à un canard. Celui du procès en illégitimité de cette réforme.

S’il est vrai qu’Emmanuel Macron n’a recueilli qu’une vingtaine de pourcent au premier tour de la présidentielle (en comptabilisant les votes blancs et les abstentions), il a bel et bien été élu au second tour avec une confortable majorité. Bien sûr, beaucoup d’opposants à sa réforme font valoir qu’ils ont voté « Macron » par dépit, pour faire barrage à « Marine ». Mais ils ont voté, en toute connaissance de cause. Le futur président réélu n’avait rien caché de ses intentions. Qu’on le veuille ou non, voter pour lui, c’était voter pour son programme. Autrement dit, vous n’avez pas voulu de Marine Le Pen, et bien vous avez Emmanuel Macron et sa réforme des retraites. La loi électorale est peut-être dure, mais c’est la loi… 

Cela dit, en France, il est tout aussi légitime et admis de combattre, ou chercher à améliorer, ce projet et son contenu par toutes les formes de droits prévues par la loi. Ainsi, les grèves et autres pressions de la rue (puisque les syndicats ne semblent pas avoir été entendus), les débats dans les médias et bien sûr, le travail législatif à venir dans une Assemblée nationale devenue baroque.

Si nous pouvons tous espérer qu’un résultat utile, juste et équilibré sorte du Parlement, nous devrons continuer à questionner l’opportunité de mener à bien une réforme qui prévoit « en même temps » d’accélérer le passage à 43 années de cotisations et de reporter à 64 ans l’âge légal de départ, cumul qui a braqué les organisations syndicales réformistes et qui percute un marché du travail déjà peu favorable aux séniors. Pour eux, un index ne suffira pas et il faudra trouver d’autres moyens pour inverser la tendance actuelle et leur permettre de passer du monde du travail à celui de la retraite sans passer par la case chômage de longue durée et fin de droits.

Était-ce donc le bon moment ? Y avait-il urgence ? Après quatre mois de grèves de la SNCF (début 2018), un an de crise des gilets jaunes (2018 et 2019), deux années Covid et déjà un an à subir les effets économiques et sociaux désastreux de la guerre en Ukraine (et ce n’est pas fini !), pour beaucoup de nos compatriotes éreintés par ces épreuves, la peur et les incertitudes du lendemain, cette question se pose de façon légitime. 

Il reste bien sûr à espérer que nos gouvernants ne font preuve d’aucun cynisme en profitant de cette période de grande fatigue des Français pour miser sur leur possible résignation et imposer cette réforme.

Mais surtout, c’est un autre point de temporalité qui devrait être interrogé, celui de la pertinence : en définitive, cette réforme ne serait-elle pas menée à contretemps ?

La simultanéité des crises que nous subissons depuis le Covid a démontré que nous devions retrouver une réelle autonomie stratégique dans de nombreux domaines, en particulier sur le plan industriel. Même si les robots joueront un rôle de premier plan dans nos futures usines, les besoins de main d’œuvre, y compris pour accomplir des tâches « pénibles », ne disparaîtront pas avant longtemps.

De même, nous avons tous pris conscience de l’importance des « collaborateurs de deuxième ligne », que ce soient les soignants, les agriculteurs, les caissières de supermarché, les livreurs, les déménageurs, tout ceux qui, dans nos rues, assurent l’entretien et la propreté, et ceux, encore plus nombreux, qui œuvrent sur les grands chantiers d’aujourd’hui et de demain, notamment pour transformer nos villes et nos campagnes, électrifier le pays, démultiplier les infrastructures d’énergies renouvelables, construire les futures centrales nucléaires, etc. Ils exercent tous des métiers difficiles, rémunérés sans excès et connaissent des carrières sans grandes perspectives d’évolutions.

Il serait donc judicieux de se demander si le report de l’âge légal et l’allongement de la durée de cotisation constituent des facteurs d’attractivité pour ces métiers pourtant essentiels. 

Bien sûr, si la réponse passe par des exonérations de toutes sortes, avec possibilité de partir plus tôt que l’âge légal en raison d’une pénibilité (enfin) reconnue, très bien. Mais alors pourquoi allonger la durée de cotisation et braquer toute une partie de la population ? Et pouvons-nous considérer comme un progrès social de devoir attendre le verdict du médecin du travail attestant que l’on est suffisamment abimé par son travail pour avoir le droit de s’arrêter ?

Par ailleurs, demain, qui s’engagera dans ces métiers si nous ne donnons pas envie à nos compatriotes de les exercer aujourd’hui ? La seule solution résidera-t-elle dans l’immigration ? Voilà qui promet de beaux débats et alimentera bien des discussions sur les futures formes de dépendances…

Enfin, à tellement braquer les opposants, il ne faudra pas s’étonner de leur vote en 2027. Et c’est là, peut-être, que nous basculons en absurdie. Qui sait si dans quatre ans, ceux qui arriveront aux affaires, ne commenceront pas par abroger cette réforme ? Comme toujours, « il faut que tout change pour que rien ne change »…

A cela s’ajoute un autre enjeu, et pas des moindres, que la crise sanitaire a mis en lumière. Les Français (et pas seulement eux) ne veulent plus travailler comme ils le faisaient avant le Covid. Jusque-là, impossible de changer les règles, sauf à se placer soi-même hors du marché. Depuis, pour les cols blancs, si les entreprises veulent recruter, impossible de ne pas intégrer plusieurs jours de télétravail par semaine dans leurs offres. Les questions du sens au travail, comme celle du sens du travail, commencent à s’installer. Et il n’est pas impossible que d’ici quelques temps, ce questionnement « de cadre » fasse tache d’huile et touche pas à pas tous les métiers et toutes les populations. Surtout à l’heure de la révolution climatique et du grand enjeu du partage de la valeur (ou des richesses ?). Autant d’enjeux politiques majeurs qui interrogent nécessairement le travail en tant que projet de vie et sur les valeurs qu’il porte, les filières, les emplois et les conditions d’emploi et qui auraient dû mériter un débat bien plus vaste que celui du seul financement de nos retraites. Le Conseil National de la Refondation (CNR) aurait d’ailleurs pu s’emparer de ces sujets.

Mais au fond, pas d’inquiétude, d’ici à ce que les jeunes d’aujourd’hui soient les vieux de demain, nous connaîtrons encore cinq ou six réformes des retraites. Ceci ne doit pas inviter à l’inaction comme aurait pu le recommander le « petit père Queuille », bien sûr, mais devrait conduire à tenter, collectivement, de gouverner la France avec davantage de hauteur, de sens de la justice, de prise en compte du long terme et de raison.

Alexandre Malafaye
Président de Synopia

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