Le 22 novembre 2016 dans le Huffington Post
Même s’il était mieux représenté, le citoyen ressentirait quand même le besoin de participer davantage aux décisions publiques. L’information est de plus en plus disponible et suscite plus de réaction, de besoin de s’exprimer et de désir d’intervenir dans la décision.
La médiation citoyenne, qui part du besoin de résoudre des conflits de « vivre ensemble » en évitant de faire appel à la justice, répond précisément à cette attente et vient fluidifier la vie de la collectivité. Ainsi, d’après le site internet d’une mairie de la région parisienne, « La médiation citoyenne […] englobe l’ensemble des dispositifs mis en place pour placer le citoyen au cœur de son territoire : conseils de quartiers, réunions publiques, espaces web collaboratifs et participatifs, rencontres hors les murs, commissions paritaires élus-citoyens, comités de suivi, création de liens entre différents acteurs de la ville, etc. ». Depuis 2015, la ville de Toulouse expérimente les « conseils citoyens » de quartier, destinés à suivre l’exécution des contrats de ville. Les résultats sont encore modestes puisque dans le meilleur des cas, le conseil se contente de favoriser des initiatives locales (radio de quartier, création d’un lieu d’accueil, etc.).
Ces petits pas s’inscrivent dans une dynamique de médiation en plein essor, et il faut s’appuyer sur ces initiatives publiques – timides, mais réussies – pour aller vraiment plus loin et créer de véritables « assemblées citoyennes consultatives » (ACC), ou « Jurys citoyens ». Comprenant en majorité ou en totalité des citoyens tirés au sort, ces assemblées auraient pour mission de délibérer sur des sujets d’intérêt général, ou au niveau national, sur des sujets de société plus généraux, voire même de changements constitutionnels. Ces ACC pourraient être mobilisées à la demande du gouvernement, des collectivités ou des citoyens eux-mêmes (sur la base d’un recueil de signatures d’électeurs en nombre au moins égal à 10 % de la population du territoire concerné).
La grande nouveauté de cette proposition est l’introduction du tirage au sort comme mode de désignation des membres des ACC. Les avantages du tirage au sort sont multiples, et son utilisation remonte aux origines de la démocratie. Il permet de faire venir à la politique des personnes qui s’en tiennent plus ou moins éloignées, et favorise à la fois la diversité des expériences sociales et la pratique d’une démocratie plus vivante. Le tirage au sort renforce également l’égalité entre les citoyens, puisque chacun dispose d’une chance égale de participer à la vie publique.
En outre, les sociologues ont montré que des assemblées de personnes de différents horizons sont plus productives et plus innovantes que des assemblées formées de politiciens professionnels, qui partagent les mêmes références et les mêmes codes, voire les mêmes intérêts. Cela garantira une plus grande impartialité des débats.
Le tirage au sort souffre de critiques récurrentes, notamment celle portant sur la compétence et l’expertise des personnes tirées au sort. Mais il s’agit là d’un reproche que l’on peut également adresser au principe même de la démocratie: d’une part, l’électeur n’est pas nécessairement compétent – et pourtant, il vote –, et d’autre part, personne ne vérifie la compétence des élus sur les dossiers qu’ils ont à traiter. Le principe démocratique n’est pas frappé d’illégitimité pour autant.
Le système des ACC tirées au sort n’est pas entièrement nouveau et a déjà été testé. L’Irlande, en 2013, a mis en place la « Constitutional Convention« , une assemblée pour débattre d’une dizaine de points de révisions de la Constitution (sur 100 membres, 66 citoyens et 33 parlementaires ont été tirés au sort). Un référendum a ensuite été organisé le 22 mai 2015 sur deux des points débattus par l’assemblée.
Au niveau national comme au niveau local, il est possible de tirer au sort une partie de citoyens (volontaires ou non) et une partie d’élus (comme ce fut le cas en Irlande). Il est également envisageable de définir un collège de citoyens tirés au sort (par exemple, les élus locaux).
Pour que la démarche soit performante, les questions et sujets soumis à la délibération des ACC doivent répondre à certains critères, notamment la simplicité et la clarté de leur énoncé afin de permettre l’émergence de choix nets et facilement compréhensibles. En revanche, l’audition d’experts sera déterminante au cours des travaux.
Localement, les sujets concerneraient des questions importantes pour la commune, le département ou la région, et ne devraient pas souffrir du syndrome NIMBY (Not In My BackYard) qui biaiserait les conclusions. Exemple: le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes.
Nationalement, les sujets porteraient en priorité des sujets qui intéressent la société toute entière ou sur des propositions de révisions constitutionnelles. Exemples: la réforme du code du travail, la gestation pour autrui, l’euthanasie, le vote des étrangers, etc.
Le « verdict » des ACC, résultat de leurs délibérations, serait alors soumis à l’approbation de l’assemblée élue « compétente » sur le sujet.
Il conviendra aussi de fixer les règles de fonctionnement et les pouvoirs de ces assemblées, ainsi que de prévoir l’accompagnement nécessaire à un fonctionnement fécond (organisation des débats par des professionnels, avec des méthodes d’animation de réunion éprouvées, apports d’expertises, etc.).
Reste à « héberger » les ACC, et c’est là que le Conseil économique social et environnemental (CESE) entre en jeu. Voulu par le Général de Gaulle pour prendre le pouls de la France des corporations et des acteurs associatifs et syndicaux, la « troisième assemblée constitutionnelle » est aujourd’hui rattrapée par la perte de représentativité des organismes qui en constituent le socle. Il ne contribue plus que faiblement au dialogue démocratique entre gouvernants, « société civile organisée et qualifiée » et gouvernés ; son pouvoir d’influence est négligeable, même si les rapports qu’il produit sont souvent très fouillés. De fait, beaucoup évoquent sa suppression.
L’idée serait d’utiliser les infrastructures du CESE, ses moyens et ses compétences, pour organiser et « nourrir » les travaux des ACC, et ainsi donner un nouveau sens à son rôle de « conseil du Gouvernement et du Parlement ».
La recréation du lien démocratique passera par l’innovation, de nouvelles formes de dialogue et le redéploiement de moyens que le temps, et des compromis, ont rendu inopérants. Inutile de faire la révolution pour gouverner autrement. Mais encore fait-il le vouloir et avoir conscience de cette nécessité. Ce sera l’un des enjeux majeurs des scrutins de 2017.
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