« Union européenne : choisir entre une immigration organisée ou une désintégration programmée », par Alexandre Malafaye et le groupe Europe de Synopia

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Alors que l’Aquarius vient à peine de s’amarrer à un quai espagnol, et que le Lifeline va accoster à Malte, l’ordre du jour du prochain conseil européen sera nécessairement centré sur la crise migratoire. Déchirés entre bons sentiments, impératif moral et pression des opinions publiques, les débats entre les États européens auront du mal à ne pas tomber dans l’affect, et in fine, dans son instrumentalisation.

A la veille de ce rendez-vous ô combien crucial, il est nécessaire de clarifier cette situation confuse et exacerbée par une actualité qui favorise l’expression des émotions, bonnes ou mauvaises. Qui plus est, nous passons notre temps à subir la pression migratoire et donc à tenter d’y faire face, au lieu de penser et mettre en œuvre une politique.

La première difficulté consiste à distinguer les migrants éligibles au droit d’asile et les migrants économiques. Cette distinction a souvent été évoquée par les partis politiques sans pour autant faire l’objet d’une réflexion poussée. Les réfugiés politiques ont droit, aux termes de la convention de Genève, aux protections des Etats signataires, et aux garanties qui s’attachent au statut de réfugié politique.

Mais comment distinguer entre deux pauvres hères dérivant sur un radeau de fortune, lequel est plus digne de notre commisération et de notre soutien ? Celui qui risque de mourir pour ses opinions politiques, son orientation sexuelle, ou sa religion ? Ou celui qui risque de mourir « banalement » de faim ?

A l’évidence, aucun des deux n’a entrepris de gaité de cœur ce périple onéreux et souvent mortel. Aucun de ces malheureux, pourtant animés par un l’espoir d’une vie meilleure, n’aborde les côtes européennes en s’écriant comme Rastignac : « A nous deux, Paris ! ». Cependant, les bons sentiments ne font pas une bonne politique de long terme. Si le distinguo que nous opérons entre les réfugiés politiques (susceptibles de bénéficier de l’asile), et les réfugiés économiques (qu’il conviendrait de renvoyer) est difficilement tenable, une clarification des statuts reste indispensable pour pouvoir traiter les demandes de ceux qui, de toute manière, se trouvent déjà sur le sol européen.

Seule une stratégie européenne globale et de long terme permettra de nous sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Celle-ci doit être différente en fonction du statut du migrant. Car en 2050, c’est une certitude, il y aura deux milliards d’Africains, et les Européens ne seront toujours que 500 millions. Même séparés par un désert et une mer, les deux continents sont voisins, et le seront davantage à mesure que les transports seront plus performants et moins chers.

La première chose à faire à l’échelle européenne est de revoir le processus d’attribution et le contrôle des aides au développement allouées aux pays d’Afrique.Si elles sont bel et bien dédiées au développement économique, elles devraient être également dirigées vers la construction et le fonctionnement de centres d’accueil dans les pays de départ, afin que les demandes d’asile puissent être étudiées sur place et que des solutions alternatives, avec les ONG, soient trouvées pour les personnes non éligibles au départ. Cette tâche pourrait être confiée à l’European Asylum Support Office, basé à Malte. Avec 150 permanents et un budget annuel de 70 millions d’euros, elle mobilise des centaines d’opérateurs, interprètes, logisticiens, administratifs, etc. et pourrait devenir une véritable Agence européenne de l’immigration. Ainsi, elle assumerait la prise en charge les centres d’accueil et de sélection, aussi bien sur le territoire européen que dans les pays de départs.

Parallèlement, le contrôle des frontières européennes doit être organisé et piloté au niveau européen.Puisque Schengen crée un espace de libre circulation, les dirigeants de cet espace doivent pouvoir à tout moment connaitre qui réside sur ce territoire, qui en sort, qui y entre et à quel titre. La création d’une « police des frontières » est une prérogative essentielle à la souveraineté des États. Cette tâche doit être assumée par l’agence européenne Frontex, devenue en 2016 l’Agence européenne des gardes-frontières et des garde-côtes, basée à Varsovie. Si elle compte 1 500 agents opérationnels, ce qui est négligeable au regard de l’enjeu, elle ne dispose d’aucun moyen maritime autres que ceux des marines des États. La comparaison des moyens européens àavec ceux des Etats-Unis montre que nous sommes loin du compte : les Coast Guard américains emploient 40 000 opérationnels qui mettent en œuvre 250 navires et pas moins de 200 aéronefs. L’Europe doit se donner les moyens de ses ambitions, et cela devra passer par une augmentation significative du budget européen et des effectifs alloués.

Récemment, la chancelière Angela Merkel a appelé de ses vœux la création d’une police européenne des frontières autonome. Espérons que cette proposition soit sérieusement étudiée lors du prochain conseil européen.

Enfin, et parce que nous ne pouvons plus revenir en arrière, l’Europe doit penser l’accueil et l’intégration des migrants qui sont déjà sur notre territoire, et ceux qui aspirent à y entrer. Chaque Etat européen doit, en fonction de ses besoins et de ses liens avec les pays de départ, proposer des dealsmigratoires, sous la forme de contrats triangulaires entre le migrant, une entreprise ou une administration du pays d’accueil, et le pays d’origine. Ces contrats, qui n’ouvriraient pas le droit au regroupement familial, auraient une durée limitée (d’un à cinq ans) et permettraient de donner au migrant une formation et un emploi, afin qu’il retourne dans son pays d’origine avec un savoir-faire. Le pays d’accueil et le pays d’origine devront préalablement s’entendre sur leurs besoins respectifs pour mieux orienter l’offre de formation et d’emploi.

Ces deals migratoires présenteraient une réelle opportunité pour l’ensemble des parties prenantes, car il s’agit bien de contribuer au développement des pays d’origine en formant leurs ressortissants concernés, tout en satisfaisant un besoin de main d’œuvre dans le pays d’accueil. Les États européens garderont d’autant mieux la main sur les flux s’ils savent exprimer correctement et à l’avance leurs besoins.   

Même si les dealsmigratoires doivent être établis par chacun des États membres, il incombera toujours à l’Union européenne de répartir les réfugiés entre eux. La méthode des quotas obligatoires a révélé ses limites et provoqué beaucoup trop de crispations. La Commission gagnerait à proposer une nouvelle méthode de répartition, cette fois basée sur un mode incitatif (aides, contreparties, etc.).

Quoi qu’il en soit, un consensus devra émerger sur la question migratoire. Auquel cas, le risque est grand de voir disparaitre, pour de bon, l’espace Schengen. Avec le risque d’effet domino qui en découle.

Alexandre Malafaye et les membres du groupe de Europe de Synopia

 

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