Note n°25 – Décryptage des élections européennes 2024, par Joséphine Staron

L’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République au soir de l’élection européenne a conduit à reléguer au second plan les analyses et les débats les résultats de ces élections à l’échelle de l’UE. Si la situation politique de la France est aussi préoccupante qu’exceptionnelle, il est néanmoins essentiel de…

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L’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République au soir de l’élection européenne a conduit à reléguer au second plan les analyses et les débats les résultats de ces élections à l’échelle de l’UE. Si la situation politique de la France est aussi préoccupante qu’exceptionnelle, il est néanmoins essentiel de revenir sur ces élections et leurs conséquences plus globales. 

  1. L’enjeu de la participation

Premier constat : le taux de participation est en très légère hausse par rapport à 2019, soit 51,01 % au lieu de 50,66 %. La participation aux européennes poursuit ainsi une augmentation constante puisqu’elle était de 42,61 % en 2014. C’est un premier point positif, d’autant que la participation était considérée comme l’un des enjeux majeurs de ce scrutin, beaucoup se disant inquiets quant à la mobilisation des Européens. 

Toutefois, nous observons des différences significatives entre les États membres. Si la Belgique et le Luxembourg dépassent les 80 % de participation (ce qui s’explique par le caractère obligatoire du vote dans ces deux pays), d’autres ne passent pas la barre des 30 % comme la Lituanie (28,35 %) et la Croatie (21,34 %). La République Tchèque, la Slovaquie, le Portugal, la Lettonie, l’Estonie et la Bulgarie se situent entre 30 et 40 % de participation. Ce sont Malte (73 %), l’Allemagne (64,78 %) et la Hongrie (59,26 %) qui ont le plus votées (en dehors de la Belgique et du Luxembourg), suivies de Chypre, du Danemark, de l’Autriche, de la Roumanie, de la France, de la Suède, de l’Espagne, de l’Irlande, de l’Italie, des Pays-Bas, de la Grèce, de la Slovénie, de la Finlande et de la Pologne. Tous ces pays affichent un taux de participation entre 58 % (Chypre) et 40 % (Pologne). 

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  • Des équilibres politiques relativement inchangés au Parlement européen 

L’autre enjeu de ces élections est bien sur la recomposition du Parlement européen. Pour bien comprendre les résultats et leurs impacts, revenons un instant sur l’organisation du Parlement. Celui-ci était composé de 705 eurodéputés lors des mandatures précédentes. Il est passé à 720 pour la mandature actuelle (2024-2029) en raison du départ du Royaume-Uni. Chaque État membre envoie ainsi un contingent d’eurodéputés (le nombre étant défini en fonction du poids démographique du pays) répartis en plusieurs groupes politiques[1].

Les deux principales formations sont le Parti Populaire Européen (PPE), un parti de centre-droit, et les Socialistes et Démocrates (S&D), un parti de centre gauche. Depuis 2019, une nouvelle formation a émergé : Renew Europe, un parti du centre d’inspiration libérale, à l’image de Renaissance en France ou du Parti libéral démocrate allemand. À gauche, il existe deux autres groupes : les Verts et le groupe de la Gauche (GUE/NGL). À droite, il existe également deux autres formations politiques : le Groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) dont font partie, entre autres, le PIS polonais et Fratelli d’Italia, le parti de Georgia Meloni ; et le groupe Identité et Démocratie (ID), composé notamment du RN français et du FPÖ autrichien. Enfin, un contingent significatif d’eurodéputés ne font partie d’aucune formation et siègent dans le groupe des non-inscrits (NI), comme le Fidesz de Viktor Orban, le Président hongrois, ou l’AFD allemand depuis son exclusion d’ID en mai dernier. 

À la suite des élections européennes de 2024, les équilibres politiques au Parlement européen n’ont pas été bouleversés. Il suffit de regarder les deux graphiques ci-dessous pour s’en rendre compte. 

2019-2024

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2024-2029

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  • Renew Europe et les Verts en chute libre

Toutefois, si le PPE sort à nouveau gagnant de cette élection (+ 8 sièges), et que le S&D se maintient (- 4 sièges), les libéraux de Renew et les Verts sont les grands perdants, avec respectivement 23 et 18 sièges en moins. Alors que ces deux groupes politiques avaient créé la surprise en 2019 (+ 19 sièges pour les Verts par rapport à 2014), ils sortent aujourd’hui affaiblis. Cette baisse significative est notamment dûe, pour Renew, au faible score de la liste Renaissance en France (- 10 sièges), ainsi que son équivalent en Espagne (- 8 sièges). Concernant les Verts, là aussi la baisse du parti écologiste français explique leur recul au Parlement européen (- 7 sièges), ainsi que le parti écologiste allemand (- 9 sièges). 

Le recul des écologistes en Europe est particulièrement intéressant à analyser puisqu’il reflète un changement de perception concernant le Pacte Vert européen sur lequel toute l’action de la Commission européenne sur la précédente mandature s’est fondée. En effet, en 2019, la campagne des européennes est largement axée sur l’enjeu du réchauffement climatique et l’ambition européenne d’une neutralité carbone à horizon 2050. 

Dès son entrée en fonction, la Commission propose un plan de réformes progressives et ambitieuses pour atteindre cet objectif. Cependant, en mars 2020, la crise sanitaire freine les avancées du Pacte Vert. L’Union européenne se concentre alors sur deux éléments : la stratégie vaccinale et le financement de la relance économique à travers le plan NextGenerationEU, le programme le plus ambitieux depuis la création de l’UE, financé pour la première fois de son histoire en partie par un emprunt commun contracté au nom des 27 États membres. S’il concerne de nombreux pans de l’économie, ce programme conserve des objectifs liés à la transition écologique européenne et conditionne l’octroi de fonds au respect de certaines règles environnementales et énergétiques précises. 

Puis, en février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie vient à nouveau contrarier les ambitions environnementales de l’UE. Les Européens prennent conscience, davantage encore qu’avec la crise sanitaire, des dépendances qu’ils ont entretenues consciemment pendant des décennies dans des secteurs aussi stratégiques que l’énergie, pour n’en citer qu’un. Ainsi, la fin des partenariats avec la Russie (sanctions ; mise à l’arrêt du gazoduc Nord Stream ; fin des importations d’hydrocarbure, etc.) marque une période de crise énergétique et économique en Europe. L’inflation et l’explosion des coûts de l’énergie obligent la Commission à revoir sa copie : le nucléaire, sous la pression de la France notamment, est alors introduit dans la liste des énergies vertes. Les autorités prennent ainsi conscience que la transition vers les énergies renouvelables ne pourra être effective dans un temps relativement court sans le recours au nucléaire. 

Enfin, à l’automne 2023, la crise des agriculteurs qui s’étend à toute l’Europe, vient une nouvelle fois contrecarrer les ambitions de la Commission et des eurodéputés Verts : le projet de réduction des pesticides est bloqué, entre autres, et de nombreux chefs d’État et de gouvernement en appellent à une pause réglementaire en matière environnementale. 
Dès lors, même si 93 % des Européens estiment que le changement climatique constitue un problème grave[2], seuls 16 % indiquent que cette problématique pèsera le plus dans leur vote aux élections européennes[3]. Ainsi, les Verts n’arrivent en tête qu’aux Pays-Bas, où ils font partie d’une coalition plus large qui inclue le parti travailliste. 

Lors de la prochaine mandature, le Pacte Vert sera encore au centre des débats, mais il est trop tôt pour savoir si celui-ci sera approfondi dans sa version actuelle, ajusté aux nécessités nouvelles (réindustrialisation, inflation, coût de l’énergie), ou mis en pause. Pour le moment, le budget du Pacte Vert s’élève à 700 milliards d’euros. De nombreux spécialistes estiment qu’il manque environ 400 milliards par an pour atteindre les objectifs fixés, notamment celui de la neutralité carbone à horizon 2050. L’enjeu du financement sera donc crucial. 

  • Un essor contenu des droites radicales en Europe 

Enfin, les résultats des élections européennes ont confirmé la tendance de ces vingt dernières années : les droites radicales progressent partout en Europe. Si nous n’avons pas assisté au raz-de-marée promis par certains, leur score sont néanmoins significatifs. Ainsi, ECR passe de 69 à 73 eurodéputés, quand ID gagne 10 sièges. Les non-inscrits se renforcent également, notamment par le score record de l’AFD qui totalise 15 eurodéputés contre 9 dans la mandature précédente. Toutefois, le Fidesz de Viktor Orban perd un siège et envoie davantage de députés au PPE qu’en 2019. 

En France, le Rassemblement national envoie ainsi 30 eurodéputés au groupe ID, et Reconquête en envoie 5 chez ECR, soit 35 au total. Frateli d’Italia mené par Georgia Meloni envoie, pour sa part, 24 eurodéputés chez ECR (contre 10 lors de la précédente mandature). La Lega de Matteo Salvini, ancien ministre italien, perd 14 sièges chez ID et n’envoie donc plus que 8 eurodéputés. Mais ID se voit renforcé par 6 eurodéputés du FPÖ autrichien (+ 3 sièges par rapport à 2019). 

Les rapports de force au sein d’ECR sont clairement à l’avantage de la Première ministre italienne, avec 4 eurodéputés de plus que le PIS polonais qui était leader du groupe dans la mandature précédente (- 5 sièges en 2024). C’est donc désormais Georgia Meloni qui détient les clés de la droite du Parlement européen. Le Président hongrois appelle d’ailleurs de ses vœux un rapprochement entre elle et Marine Le Pen[4]. Si cette dernière rejoignait le groupe ECR, celui-ci serait ainsi composé de 103 députés, ce qui en ferait la troisième force politique du Parlement européen, derrière le PPE et le groupe S&D. Cependant, cette hypothèse reste peu crédible pour au moins deux raisons. La première, c’est qu’avec 30 eurodéputés, le RN détiendrait le leadership au détriment de Frateli d’Italia, et il est difficile d’imaginer la Première ministre italienne accepter cette concession. La seconde est relative à l’Ukraine : pour le PIS polonais, comme pour Georgia Meloni, les positions du RN concernant l’Ukraine, jusque-là sont difficilement conciliables avec les leurs puisqu’ils sont de fervents défenseurs de la cause ukrainienne. 

Une autre hypothèse serait que l’AFD soit réintégré par ID. Avec 15 eurodéputés supplémentaires, ID disposerait donc de 73 sièges, à égalité avec ECR. Enfin, dernière inconnue : le choix de Viktor Orban. Les 10 eurodéputés du Fidesz rejoindront-ils ECR, ce qui en ferait la troisième force politique du Parlement ? Là encore, il s’agit d’un scénario peu probable puisque les positions pro-russes de la Hongrie devraient empêcher ce rapprochement. 

L’essor des droites radicales en Europe est donc bien réel, mais en raison de la composition du Parlement européen et de leur répartition dans trois groupes distincts (ECR, ID, Non-inscrits), leur pouvoir et leur capacité d’action devraient rester sensiblement équivalentes à la mandature précédente. 

Par ailleurs, depuis de nombreuses années, le Parlement européen a mis en place un « cordon sanitaire » qui entrave l’influence du groupe ID (mais qui peut inclure tout de même ECR). Dès lors, l’influence des 30 eurodéputés du RN français, dans cette configuration actuelle du Parlement, devrait rester très limitée. 

  • L’influence française risque de reculer

Dernier enseignement des élections européennes : la France devrait voir son influence reculer au sein de l’UE dans les mois et années qui viennent. Avec 10 députés en moins chez Renew et 2 en moins au PPE (première force politique), l’influence de la France au sein du Parlement est largement compromise : il y a en effet peu de chance que nous obtenions la présidence d’une Commission parlementaire majeure. 

En ce qui concerne le choix des « top jobs », c’est-à-dire du Président de la Commission, du Président du Conseil européen[5] et du Haut-Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité[6], là encore, la France devrait avoir un poids très limité étant donné l’instabilité politique dans laquelle elle se trouve. En 2019, Emmanuel Macron était parvenu à imposer Ursula von der Leyen à la tête de la Commission, grâce à une coalition entre le PPE, Renew et S&D. Aujourd’hui, cette dernière reste la candidate légitime et la favorite pour le poste, mais elle est très contestée au sein même de son parti européen (PPE) et de sa famille politique d’origine en Allemagne (CDU/CSU) – qui conserve une influence majeure au sein du PPE et qui est sortie renforcée des dernières élections. 

Toutefois, il n’existe à l’heure actuelle aucune alternative crédible pour remplacer Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne, ce qui pourrait jouer en sa faveur. Pour être réélue, elle devra obtenir 361 voix. Plusieurs options sont alors possibles : elle pourrait s’appuyer sur une coalition PPE/Renew/S&D comme en 2019 ; elle pourrait aussi compter sur les 53 eurodéputés écologistes si elle continue à promouvoir le Pacte Vert (mais dans ce cas, il est certain qu’elle perdra des voix du côté du PPE) ; elle pourrait encore se rapprocher d’ECR, ou a minima, des 24 eurodéputés de Georgia Meloni (au risque toutefois de perdre des voix du côté des S&D, des Verts et de Renew, voire de certains membres du PPE). 

Le choix des « top jobs » devrait avoir lieu d’ici la mi-juillet. En revanche, la nouvelle Commission ne devrait entrer en fonction qu’à l’automne, une fois que tous les portefeuilles des Commissaires auront été arrêtés, et que les postes auront été attribués. En 2019, la France avait réussi à obtenir l’un des plus gros portefeuilles avec la nomination de Thierry Breton au Marché intérieur. Cette fois-ci, il sera plus difficile pour la France de faire valoir sa légitimité pour obtenir un tel portefeuille. 

Joséphine Staron
Directrice des études et des relations internationales de Synopia


[1] Pour constituer un groupe politique il faut au moins 23 députés issus d’au moins 7 États membres.

[2] Eurobaromètre Juillet 2023.

[3] Enquête de la Fondapol, Les Européens abandonnés au populisme, juin 2024.

[4] https://www.lepoint.fr/politique/europeennes-2024-victor-orban-estime-que-le-scrutin-decidera-de-la-guerre-ou-de-la-paix-29-05-2024-2561516_20.php

[5] Actuellement, le Président du Conseil est Charles Michel. Le socialiste portugais, Antonio Costa, est pressenti pour lui succéder.

[6] Actuellement, ce poste est détenu par Joseph Borrell. Le nom de la Première Ministre estonienne, Kaja Kallas, circule pour sa succession. Mais son résultat aux dernières élections est quelque peu décevant puisqu’elle est arrivée 3ème et que son groupe politique, Renew, est loin d’être en position de force. 

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