« Faire exister l’Europe, parce que le monde en a besoin », Note de Synopia n°1

Note de Synopia n°1 – octobre 2018 FAIRE EXISTER L’EUROPE, PARCE QUE LE MONDE EN A BESOIN Téléchargez la note en format pdf via ce lien. Les élections européennes qui se tiendront au printemps 2019 seront, selon toute vraisemblance, marquées à la fois par un grand désintérêt de l’électorat, et par un score important en…

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Note de Synopia n°1 – octobre 2018

FAIRE EXISTER L’EUROPE, PARCE QUE LE MONDE EN A BESOIN

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Les élections européennes qui se tiendront au printemps 2019 seront, selon toute vraisemblance, marquées à la fois par un grand désintérêt de l’électorat, et par un score important en faveur des partis contestant la construction européenne.

Les pro-Europe, qui se perçoivent eux-mêmes comme des progressistes face aux fossoyeurs de l’espérance des peuples, et les anti-Europe qui, de leur côté, se présentent comme les seuls défenseurs des intérêts des peuples, se livrent déjà une guerre sans merci. Au-delà des débats idéologiques et dogmatiques qui entourent ces nouvelles élections, c’est la question fondamentale du sens et de la finalité de l’Union européenne qu’il faut désormais posée :

  • Pourquoi les peuples ne croient-ils plus dans la construction européenne, naguère si consensuelle ?
  • L’Europe a-t-elle tenu la promesse initiale faite aux peuples européens, celle de leur apporter un niveau de protection supplémentaire à celui dispensé par les États-nations

Une nouvelle forme de gouvernance est acceptable par les populations uniquement lorsqu’elle leur apporte, face aux périls de l’heure, une meilleure protection. C’est d’ailleurs ainsi que se sont construits les États-Nations : à partir des seigneuries féodales, les paysans ont préféré, en des temps troublés, obtenir la protection d’un royaume puissant, plutôt que celle d’un petit duché. De même, la République, en opposition au système monarchique, est apparue plus apte à procurer au plus grand nombre un espoir de prospérité et de paix.

La Communauté Européenne a été plébiscitée, tant qu’elle présentait certains avantages incontestables (défense du pouvoir d’achat, du bien-être individuel, des libertés, etc.) Elle semblait également en mesure de défendre les Nations face aux agressions extérieures. Cependant, vers la fin du siècle dernier, le moteur s’est arrêté, et l’Europe n’a plus « délivré » les produits attendus.

Il faut donc repartir du point de départ, et se demander : l’Europe, pour quoi faire ?
Dans les années 50, la construction européenne semblait être le moyen d’éviter définitivement le retour de la guerre entre les peuples européens. Sur ce point essentiel, le pari s’est avéré gagnant. Cependant, les problèmes que rencontrent l’Europe aujourd’hui ne sont plus ceux du siècle dernier : face aux nouveaux défis, l’Europe peut-elle vraiment faire mieux que les États pris isolément ?

1. L’état des lieux : les vingt prochaines années seront décisives pour l’humanité

En ce début de XXIème siècle, l’humanité traverse probablement la période la plus dangereuse de son histoire. Les civilisations risquent de s’y engloutir définitivement, et la survie de l’espèce même est en jeu. Comparé aux bouleversements qui se dessinent, l’épisode des grandes invasions du haut moyen-âge semble un détail de l’histoire.

A vrai dire, l’histoire de l’humanité (si on la fait débuter au début du Néolithique) est très brève : elle commence à peine 10 000 ans avant notre ère, ce qui est très récent comparé à l’apparition du premier mammifère, il y a 225 millions d’années. Autant dire que si l’espèce homo sapiens disparait, son empreinte ne sera qu’une griffure sur l’écorce terrestre. La Terre s’en remettra.

Les dangers sont en effet immenses, urgents, de plusieurs natures et par ailleurs liés entre eux, ce qui complique la perception des phénomènes et la recherche d’une solution. Les principaux sont :

  • Le risque écologique : réchauffement et dérèglement climatiques, montée du niveau des océans, chute rapide de la biodiversité, raréfaction de l’eau potable, etc. D’après les estimations des scientifiques, des évolutions inéluctables et irréversibles devraient se produire dans les vingt prochaines années.
  • Le défi de la prolifération humaine et des migrations qui en découlent : il y a deux siècles, l’humanité représentait 1 milliard d’individus. Nous serons bientôt 8 milliards et 10 milliards en 2050. Il y aura 2 milliards d’Africains à cette date, sur un continent probablement devenu inhospitalier
  • Le risque nucléaire : à ce jour, il existe suffisamment de charges nucléaires pour détruire plusieurs fois la vie sur terre. Par chance, aucune n’est tombée aux mains d’un fou. Mais rien n’est impossible.
  • Le risque d’une nouvelle crise économique : l’absence de régulation de l’économie et de la finance mondiales ouvre le risque d’un « krach » gigantesque et incontrôlable de l’économie, dont la crise de 1929 ou les misères du Venezuela d’aujourd’hui donnent un faible aperçu.
  • Le risque numérique : l’absence de régulation du cyberespace fait craindre l’émergence d’un monde orwellien, les progrès fulgurants des algorithmes et de l’intelligence artificielle permettant désormais de connaitre, voire de contrôler, les actions des individus.
  • Le risque biologique : nous sommes à la veille d’avancées majeures dans le domaine des biotechnologies qui permettront de modifier considérablement les organismes vivants. Là aussi, l’absence de régulation laisse la porte ouverte aux pires dérives concernant les manipulations génétiques, y compris celles du génome humain.

2. L’exigence de solutions européennes pour bâtir le monde de demain.

L’humanité a toujours su, pour l’instant, s’adapter. L’une des plus brillantes civilisations, la civilisation européenne, a cherché – et réussi – à conjuguer réussite matérielle et épanouissement des individus. Au cours des derniers siècles, le développement industriel appuyé sur la recherche scientifique est allé de pair avec une affirmation progressive des valeurs des « droits de l’homme », les deux aspects étant si imbriqués l’un dans l’autre que l’on a pu croire qu’il s’agissait du même mouvement d’essor de la créativité humaine. C’est ce que l’Europe a appelé le « Progrès ». Les valeurs européennes s’appuient ainsi sur la recherche permanente de la conciliation entre l’intérêt général et l’émancipation de l’individu.

Cette vision de l’organisation de la société humaine est constitutive de la civilisation européenne. L’Europe en est même venue à penser que seule cette recette était la bonne, qu’elle était valable pour tous et en tous lieux, et que les « droits de l’homme », inventés par elle, avaient valeur universelle.

Pour autant, la vision européenne du monde n’est plus hégémonique comme elle pouvait l’être il y a un siècle, époque à laquelle l’Europe dominait le monde. Il y a encore cinquante ans, au sortir de la deuxième guerre mondiale, les idées européennes s’imposaient. C’est au nom des idéaux des démocraties européennes que les leaders du Tiers monde ont mené leurs luttes. Nasser, Gandhi, Lumumba, Bourguiba, Touré, Senghor, Ho Chi Minh, Mao, Soekarno, et les autres, brandirent le droit à la liberté, à l’égalité des hommes, à un gouvernement démocratiquement élu, pour refuser la soumission aux lointaines métropoles et proclamer, avec l’indépendance, la démocratie dont l’Europe fournit le modèle achevé.

Aujourd’hui, les grands ensembles humains qui jouent un rôle de plus en plus important dans la conduite du monde ne partagent pas, loin s’en faut, tous les postulats européens et ne fondent pas leurs choix collectifs sur les mêmes prémisses. Ces grands ensembles humains sont : la Chine (1,4 milliards) ; l’Inde (1,3 milliards) ; le monde musulman (environ 1 milliard) ; l’Amérique du Nord (500 millions) ; la Russie (150 millions) ; le Japon (130 millions). Demain, des pays tels que le Brésil et le Nigéria auront également leur mot à dire, et ce mot ne sera sûrement pas européen.

Pour ces groupes humains, l’égalité entre les hommes ne va pas de soi. Par exemple, la condition de la femme dans la plupart des pays du monde ne correspond pas à la vision européenne de l’égalité entre êtres humains. De même, le système de castes qui structure la société indienne nie de fait l’égalité entre les hommes. Pour leur part, les Chinois considèrent volontiers que la Chine est le pays des Han. Enfin, l’Islam (tel qu’il est pratiqué dans nombre de pays) opère un distinguo définitif entre les musulmans, les gens du Livre, et les autres.

Les libertés fondamentales de l’individu qui nous semblent un droit évident ne sont pas forcément une obligation partagée. Dans beaucoup de pays, le groupe passe bien avant l’individu (en Chine ou au Japon par exemple, ou encore en Afrique). La liberté de conscience, et notamment de choix de religion, est interdite en terre d’Islam (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la plupart des pays musulmans n’ont pas signé la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU).

Ailleurs qu’en Europe, il ne va pas de soi que l’élection anonyme soit le meilleur moyen de désigner les dirigeants. En Afrique, dans la majorité des pays musulmans, et de manière plus subtile en Chine et au Japon, les sociétés sont davantage organisées en « clans » familiaux, et les décisions collectives relèvent, non pas d’une décision de la majorité, mais d’un compromis entre représentants des « tribus » ou des « ethnies ».

L’accès à une justice indépendante et égale pour tous (même si cet accès relève plus d’un idéal que d’une réalité) est également une vision purement européenne, qui n’est guère partagée dans le monde. Il y a bien sûr les nombreuses dictatures qui gouvernent le monde et qui ignorent les notions européennes de justice et d’« état de droit ». Cependant, même dans des pays démocratiques, cet idéal n’est pas universellement partagé ou n’a pas la même traduction concrète. Ainsi, en Amérique du Nord, le procès est uniquement contradictoire et ne donne pas lieu à une instruction tierce « à charge et à décharge ». Dans ces conditions, il est évident que le plus puissant gagne statistiquement plus souvent.

Le respect de la vie humaine n’a pas la même valeur sous d’autres latitudes. Les massacres de masse, les mutilations génitales généralisées, la tolérance envers les crimes d’honneur, l’acceptation tacite de la commercialisation de la « junk food » ou de produits chimiques notoirement pathogènes, ou encore l’usage de la peine de mort, montrent que les notions européennes de sacralisation de la vie et de l’intégrité de l’individu ne sont pas universelles.

Enfin, le droit à une vie privée, telle que ce concept s’entend en Europe, n’a pas la même valeur dans d’autres ensembles humains. Par exemple, les sondages montrent que les Chinois trouvent plutôt rassurant que des algorithmes surveillent et organisent leur vie privée. Là où les Européens voient une violation du droit à l’intimité de l’individu, ils voient un meilleur service rendu, et un plus grand confort de vie.

On pourrait multiplier les exemples qui montreraient que les valeurs et les idéaux européens ne sont pas partagés par les autres cultures et qu’ils ne sont donc pas forcément ceux qui seront utilisés pour gérer les affaires du monde dans les décennies à venir.

Ils le seront d’autant moins que les Européens s’avanceront en ordre dispersé. Comme dans la légende des Horaces et des Curiaces, chacun des pays européens sera battu par les nouveaux grands ensembles de plusieurs centaines de millions d’hommes. Alors que groupés, ils pourraient faire prévaloir leur vision, ou à tout le moins sauvegarder l’usage de ces valeurs pour eux-mêmes.

L’enjeu de la construction européenne est donc simple : il consiste à ce que, dans la gestion des gigantesques problèmes que va devoir affronter l’humanité, les valeurs et les grilles de lecture européennes soient utilisées pour trouver les solutions, et que les intérêts de l’Europe soient pris en compte. Faute d’une voix unique, ce sont d’autres conceptions qui prévaudront pour gérer (ou ne pas gérer) les questions de climat, d’usage du numérique, de contrôle des armes nucléaires, de régulation économique, de contrôle des biotechnologies, ou de gestion des populations humaines. Et ce faisant – mais c’est presque accessoire au regard aux enjeux –, les intérêts des Européens passeront après ceux des autres puissances.

L’objectif de la construction européenne s’est déplacé. C’était en 1950 la recherche de la paix et de la prospérité internes au continent. C’est aujourd’hui la participation de l’Europe aux affaires du monde, et la survie des valeurs européennes comme cadre de solution aux problèmes fondamentaux communs à l’ensemble de l’humanité.

L’Europe n’est pas moins indispensable aujourd’hui qu’en 1950. Elle l’est autant et probablement davantage, mais c’est pour d’autres raisons.

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