Cette tribune a fait l’objet d’une publication dans l’Opinion du 18 octobre 2023.
Ce qui s’est déroulé le 7 octobre 2023 en Israël avec le massacre planifié de plus de 1 400 personnes (dont 21 Français) et 199 otages ne ressemble en rien dans l’ampleur et la barbarie aux différentes formes de violences volontaires qu’a connues et subies l’État hébreu sur son sol depuis sa création. Il s’agit d’une véritable rupture avec la régularité tragique des précédents cycles d’attaques du Hamas, de représailles israéliennes et, le plus souvent, de médiation égyptienne. Comparaison n’est pas raison, mais en proportion, si la France avait vécu pareille attaque, nous déplorerions plus de 10 000 victimes civiles.
En réponse, face à ce changement d’échelle épouvantable, Israël a déclaré une « guerre » totale au Hamas dans le but d’éradiquer cette organisation terroriste et tous ses membres. Benjamin Netanyahu a d’ailleurs annoncé la couleur : « tout membre du Hamas est un homme mort ».
Cette réaction lourde de sens et de conséquences va probablement se traduire dans les jours qui viennent par une offensive terrestre dans la bande de Gaza.
Légitime si elle se déroule selon les règles du droit de la guerre, mais tellement détestable comme toutes les guerres, cette opération militaire d’envergure permet de rappeler qu’il ne faut pas confondre le Hamas avec le peuple palestinien ni, comme l’a souligné le Président de la République « la cause palestinienne et la justification du terrorisme ». De son côté, Mahmoud Abbas, le Président de l’État de Palestine, a pris une position claire en affirmant que « les politiques et les actions du Hamas ne représentent pas le peuple palestinien ». Des mots inimaginables il y a encore deux semaines et qui reflètent, peut-être, le paradoxe de cette situation paroxystique. Pour ceux qui croient en la paix et qui œuvrent en sa faveur, tout n’est peut-être pas perdu et rien n’est joué.
Parce que c’est une « guerre » et qu’il y aura un vainqueur et un vaincu, un avant et un après, la situation d’après ne peut ni ne doit se solder par un retour à la situation d’avant pour les populations. Lorsque les armes feront silence, la situation n’aura plus rien à voir avec celle que nous connaissions. Tout sera différent, des esprits aux rapports de force.
Parce que c’est une guerre et que la mort par les armes aura précipité tant de destins, il est utile de se servir des leçons tragiques de l’Histoire pour éviter que la guerre ne se réinvite à la table de la vie et ne se réinvente en folies. En la matière, notre Continent aura hélas mis du temps à les comprendre pour que cesse enfin, en 1945, la répétition du tragique.
Ajoutant l’humiliation à la défaite, la guerre franco-allemande de 1870 puis la « Grande Guerre » de 1914 – 1918 et son funeste Traité de Versailles ont ouvert la voie à la Deuxième Guerre mondiale. Trois guerres et des bilans humains effroyables, aujourd’hui inconcevables, mais qui ont fait évoluer les esprits et fait prendre la conscience du prix de la vie.
C’est ainsi qu’a été pensée pendant la guerre, la paix avec les Allemands une fois le régime nazi écrasé. Saluons ici la mémoire de Jean Monnet qui, dès 1943, lança l’idée d’une Europe unie. A contrario, la guerre en Irak de 2003 tout comme l’intervention française en Libye de 2011 nous fournissent très précisément les exemples de ce qu’il ne faut pas faire : gagner la guerre mais négliger de gagner la paix. Les erreurs et les fautes occidentales furent multiples, allant de la méconnaissance des réalités humaines et de terrain, en passant par l’absence de plan pour la reconstruction qui engendra pauvreté et insécurité nées ou par l’occupation longue. S’engager dans une opération militaire de haute intensité sans dès le départ associer généraux et architectes revient à détruire une maison avec ses habitants sans disposer d’un début de plan pour reconstruire et s’occuper des délogés une fois les murs abattus. Georges Clémenceau l’avait bien senti en affirmant dès le 11 novembre 1918 que « nous avons gagné la guerre, mais maintenant il va falloir gagner la paix, et ce sera peut-être plus difficile. »
C’est sans doute de cette façon que les Israéliens devraient réfléchir au coup d’après la guerre contre le Hamas. La sidération, la colère et l’envie de revanche, que nous pouvons tous comprendre et éprouver en tant qu’individus, ne sauraient être les seules motivations d’un État, aussi légitimes que soient ses raisons à agir. Reproduire les méthodes utilisées jusque-là avec les Palestiniens constitue très probablement une impasse. Joe Biden vient d’ailleurs de le déclarer : occuper à nouveau la bande de Gaza serait une « grave erreur ». Après le fiasco catastrophique de la guerre en Irak ou encore leur retrait dramatique d’Afghanistan après 20 ans d’occupation, les Américains savent de quoi ils parlent.
Jusqu’au 7 octobre 2023, entre Israéliens et Palestiniens, ce n’était pas une vraie guerre, même si ce point de vue doit être contestable selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre du conflit qui oppose depuis 1948 Israël aux pays et aux organisations propalestiniennes. L’attaque du Hamas et l’opération « Glaives de fer » changent la donne et c’est une paix juste et durable – fondée sur le droit et la justice auxquels sont attachés les israéliens comme ils l’ont démontré en apportant leur soutien à leur Cour suprême – que les protagonistes de cette guerre devront inventer et s’engager à appliquer. Pour faire que l’anéantissement du Hamas ne soit pas perçu comme une énième défaite pour les Palestiniens et leur espoir d’indépendance. Sans quoi, un jour prochain, un autre Hamas naîtra du sang répandu, des larmes versées, des cendres, de la colère et du fanatisme islamiste. Israël doit se remettre dans les pas de Shimon Perez et d’Ariel Sharon qui, tous deux, cherchaient une issue pacifique à cette trop longue confrontation avec les Palestiniens.
Le défi à relever est immense tant les antagonismes sont grands. Pour trouver un chemin vers la paix, il sera sans doute judicieux d’associer des acteurs de terrain tels que les ONG mais aussi ceux des mondes religieux qui, par leur connaissance des réalités, leur crédibilité et leur proximité avec les populations, pourront tous jouer un rôle utile, en particulier pour que la paix soit acceptée.
Ne nous y trompons pas, à l’heure de la faillite avérée de l’ordre politique mondial – le temps des illusions est révolu –, notre sécurité, ici en Europe, dépend aussi de cette paix au Proche-Orient.
Alexandre Malafaye
Président de Synopia