Certains ont parfois vu du Giscard en lui. D’autres saluaient plus récemment un panache tout gaullien, dans son ultime acte régalien et disruptif de dissolution de l’Assemblée nationale. Et si, en redonnant le pouvoir au peuple, Emmanuel Macron n’avait finalement endossé qu’un rôle de composition, celui de Démiurge.
Subitement ce dimanche, le président était sans voix, déjà presque effacé. Lui dont l’omniprésence dans la campagne a contribué à pulvériser les candidats de feue la majorité présidentielle, se contentait d’une simple déclaration écrite, pour appeler à un « large rassemblement démocrate et républicain face au Rassemblement National ». Quelques heures plus tôt, une étrange séquence avait montré un Emmanuel Macron, déambulant paisiblement sous le soleil du Touquet, en blouson d’aviateur, casquette sur la tête et lunettes de soleil ! Relire l’Ecclésiaste 10 :16-18 « Malheur à toi, pays dont le roi est un enfant … »
Et si ce décalage, cet isolement n’étaient que l’autre nom de la solitude. Ce dimanche, Emmanuel Macron apparaissait bien seul. Dimanche prochain, il sera encore seul, désespérément seul pour analyser, évaluer, tenter d’endiguer et enfin, pour gérer les conséquences de « l’expérimentation hasardeuse » qu’il a décidé d’imposer à la France. Ce scrutin marque l’épilogue d’un parcours en tout point solitaire, depuis sa fulgurante élection de 2017 jusqu’à cette décision imposée à un entourage consulté du bout des lèvres, en tordant la lettre de la Constitution lorsqu’il s’agit du Premier Ministre ou des présidents des deux assemblées. Emmanuel Macron seul pour quelques jours encore à la barre d’un paquebot dont chacun pressent que, quelle que soit la décision ultime des Français, il tanguera en eaux troubles.
Les citoyens, les analystes, les psychologues aussi, pourront s’interroger à l’infini sur cette tocade qui l’a conduit à jouer l’avenir de la France, au choix aux dés ou bien à la roulette russe. Ce coup de poker imposé à un peuple sidéré et angoissé marque un nouveau tournant pour une présidence qui présente en réalité peu de points communs sur l’essentiel avec celles des premier et troisième président de la Vème République.
Au commencement était le plus jeune président de la Vème République …
Entre Emmanuel Macron et Valéry Giscard d’Estaing, l’analogie semblait s’imposer. Une jeunesse insolente, une intelligence fulgurante, un positionnement libéral, centriste, réformiste et résolument européen, une envie de dépasser les clivages autour de ces « deux Français sur trois » théorisés par l’auteur de « Démocratie française ». Le « Et en même temps » serait en quelque sorte une « société libérale avancée » version XXIème siècle …
Comparaison n’est pourtant pas raison et les points de ressemblance s’arrêtent à la pratique du pouvoir. Giscard possédait une connaissance intime de la France, pour avoir été député du Puy de Dôme, élu pour la première fois en 1956, maire de Chamalières de 1967 en 1974. Il savait qu’un pays ne se brutalise pas pour qui prétend l’aimer. Il voulait convaincre. Il était le candidat d’un parti politique, les Républicains indépendants, socle partisan et outil de conquête du pouvoir. En 1968, fort de cette intuition fine des attentes de ses compatriotes, il avait pu porter un jugement libre sur les événements de mai « la jeunesse a besoin de considération ».
Giscard ne jouait pas avec les institutions, se refusant de dissoudre l’Assemblée nationale après son élection de 1974, se privant peut-être d’une majorité réellement à sa main, de nature à changer le cours de son septennat. Il se montrait en cela fidèle à sa conception des institutions, cette vision qui l’avait conduit à exprimer des réserves envers le référendum de 1969, contribuant ainsi au départ du général de Gaulle.
Redonner la parole au peuple, l’ombre du général …
Et si en redonnant magistralement la parole au peuple, Emmanuel Macron s’inscrivait finalement plutôt dans la tradition gaullienne, celle de la clarification suprême à travers la demande solennelle d’une forme de re légitimation ? Et si avec la dissolution et plus généralement par la verticalité de sa pratique du pouvoir, le chef de l’Etat empruntait au fondateur de la Vème République ? Et si la forte mobilisation enregistrée dans les urnes lors du premier tour confortait la pertinence de la démarche ?
Là encore, la comparaison se heurte à la réalité de la donne politique du quinquennat Macron. Le général de Gaulle n’envisageait pas de rester au pouvoir s’il perdait un référendum, aux contours pourtant ambigus, sur la régionalisation et la réforme du Sénat. Emmanuel Macron exclut catégoriquement de ne pas achever son mandat s’il était désavoué dans les urnes, peut-être conscient que mettre cet argument dans la balance contribuerait encore davantage à affaiblir son camp, tant le désaveu à l’encontre de sa personne est important. En dissolvant l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a également auto-dissous le reste de popularité ou de considération dont il jouissait encore. Les réactions de ses ministres et de ses alliés sont à cet égard significatives. L’heure est à la prise de distance.
Le contexte politique enfin est radicalement différent. En démissionnant aux lendemains d’un référendum perdu, le général de Gaulle ne prenait pas le risque de livrer la France à des mouvements extrémistes et populistes. En dissolvant aux lendemains d’un échec électoral, avec l’organisation de législatives dans des délais très courts, Emmanuel Macron prend à l’inverse sciemment ce risque. A considérer les résultats du premier tour, un autre péril menace la France : celui d’une assemblée sans majorité et d’un pays ingouvernable. Sa responsabilité est immense, pour la France bien sûr, mais en termes de conséquences sur le plan international, alors même qu’une guerre se déroule en Ukraine, au cœur même de l’Europe.
Et s’il se rêvait en Démiurge …
S’il n’emprunte finalement pas l’essentiel aux prédécesseurs avec lesquels on a pu à tort le comparer, c’est peut-être parce qu’Emmanuel Macron parcourt ses quinquennats comme autant d’épopées solitaires, en se rêvant davantage démiurge que chef de l’Etat. Il ne convainc pas, il impose. Il n’explique pas, il brusque.
Le président endosse un rôle, se vit comme une sorte de magicien de la politique, mû par une forme d’ivresse et de volonté éperdue de façonner la République selon son unique volonté. Le dépassement des clivages, fondement du macronisme, relève d’une forme de transcendance. Il a ceci de tragique qu’il fait fi depuis l’origine de loi d’airin de toute démocratie : l’alternance.
La constitution d’un grand bloc central, ce camp de la raison et de la responsabilité aurait pu faire l’objet d’un accord de gouvernement entre formations politiques autour d’un projet partagé. Pour avoir préféré le schéma des débauchages individuels à grande échelle, le prestidigitateur a rendu impossible l’alternance telle qu’elle existait jusqu’en 2017, une alternance tranquille entre partis de gouvernement. Destinée à lui assurer une réélection facile face à la candidate du Rassemblement National, cette stratégie a atteint facilement ce premier objectif.
Mais cette réélection était une victoire à la Pyrrhus, dissimulant le désamour des Français envers leur président. Elle marquait surtout les prémisses d’une nouvelle bipolarisation, radicale cette fois, que le premier tour des législatives a confirmé et qui se traduira par un nouveau rapport de forces à l’Assemblée nationale. Le vent de l’alternance semble à nouveau souffler, non plus entre une droite libérale et une gauche social-démocrate mais entre une extrême-droite populiste et une gauche qui fait la part belle à sa frange radicale.
Le premier tour des législatives donne un Rassemblement National aux portes du pouvoir. Face à ce risque face auquel il voulait un rempart, face à celui aussi d’un pays demain ingouvernable, le chef de l’Etat est désireux une fois encore de renverser la table, et tel un joueur à la table de poker, de « se refaire ». Il mise désormais sur la constitution d’une nouvelle majorité, un bloc républicain à l’issue des élections législatives, des votes au cas par cas, en fonction des sujets. Ni de Gaulle ni Giscard, Démiurge au pied du mur inventerait alors un nouveau fonctionnement des institutions, une nouvelle République qui emprunterait beaucoup à la logique de la IVème. Alors que les Français retrouvent ce goût de la politique que donne la conscience d’un enjeu fort, son pari est infiniment risqué. Il est toujours risqué de prétendre avoir raison seul contre tous.
Geneviève Goëtzinger
Présidente de l’agence imaGGe
Administratrice de Synopia