Par Renaud Girard, chroniqueur international du Figaro et vice-président de Synopia qui dans cet article, fait référence à plusieurs propositions de notre think tank (rapport Refaire l’Europe, esquisse d’une politique).
Avec sa Commission, son Conseil, son Parlement, l’Union européenne (UE) présente un enchevêtrement d’institutions trop complexe pour susciter l’adhésion des citoyens de ses 28 Etats membres. Retenons le principal : la Commission détient le monopole de l’initiative des « directives » (les lois européennes) ; lesquelles doivent être adoptées à la fois par le Conseil et par le Parlement. Après que, dans la deuxième moitié de la décennie des années 1990, Chirac et Kohl eurent, de manière aberrante, laissé filer l’Union européenne vers l’élargissement, sans avoir pris la précaution préalable de réformer des institutions qui avaient été conçues pour faire fonctionner un club de six pays, ces dernières ont été progressivement atteintes de paralysie.
Est-ce à dire qu’il faudrait supprimer cette structure supranationale ? Non, il faut simplement la réformer, comme on ajoute de la puissance à une machine à qui on demande des tâches supplémentaires. Car ne nous y trompons pas : l’UE nous est d’une immense utilité, à nous Français. En raison de synergies évidentes, il y a sept grands domaines où une gestion européenne des problèmes est plus pertinente qu’un traitement national : la maîtrise des flux migratoires ; la recherche, l’innovation et les brevets (face aux deux grands pôles que sont l’Amérique et la Chine) ; la politique énergétique et son corollaire le respect de l’environnement ; une agriculture saine, de qualité, à taille humaine, jardinant nos paysages pour l’agrément de tous ; le maintien d’un marché intérieur, dont on supprime les entraves entre pays membres, mais qu’on protège par rapport à l’extérieur (problème du dumping asiatique) ; une politique étrangère et de coopération qui ait du poids face à Washington, Pékin et Moscou ; une politique budgétaire et fiscale harmonisée, qui favorise la création d’entreprises dans l’espace européen, et donc l’emploi.
Depuis la création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier), l’ancêtre de l’UE, l’idéal européen a changé ; il est devenu plus vaste. En 1952, il s’agissait de fournir de l’électricité et de l’acier à un territoire qui avait été dévasté par la guerre. En 2014, l’objectif que nous assignons à l’UE est de léguer à nos enfants un espace vivable, qui leur offre les meilleures possibilités au monde d’éducation, de recherche, d’emploi et d’accomplissement personnel. Le succès du programme universitaire Erasmus montre à quel point les jeunes générations se sont approprié l’espace européen.
La réforme des institutions ? Elle n’est pas aussi impossible qu’on le dit. Il suffirait, pour la réussir, de retrouver un véritable axe franco-allemand, c’est-à-dire une relation où Paris ne serait pas un délinquant violant toutes ses promesses depuis vingt ans et Berlin un gendarme vertueux mais détestant son métier. Cet axe, qu’on a connu efficace avec les couples Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl, Sarkozy-Merkel, se devrait d’imposer le retour à une Commission restreinte, avec un président et seulement sept commissaires, chargés des domaines énumérés plus haut. Une Commission dont les membres retrouvent la collégialité (à huit, c’est possible ; à 28, impossible) et la seule motivation de parfaire la construction de l’Union.
Pourquoi ce Parlement, qui se trimballe de manière ubuesque entre Bruxelles et Strasbourg, n’est-il ressenti par les citoyens européens que comme un club de discussion de grand luxe, où l’on recase tous les politiciens ayant échoué chez eux ? Son problème est qu’il n’est pas un véritable parlement : il ne représente pas une nation ; aucun exécutif ne peut être véritablement responsable devant lui. Historiquement, l’Allemagne, à cause de sa fibre fédéraliste, a tout fait pour renforcer l’importance du Parlement européen. Elle est aujourd’hui moins allante. C’est le moment de ramener cette institution, dont les motions de politique étrangère sont inutiles, à un strict rôle de législateur bruxellois, sur des questions bien limitées.
Reste le plus important, c’est-à-dire l’euro-zone. Elle est l’avenir de la construction européenne. Les Anglais n’y sont pas, car, considérant l’UE comme une simple zone de libre-échange, ils n’y ont jamais accepté le moindre abandon de souveraineté. En partiraient-ils demain, que ça ne changerait pas grand-chose. Il faut un président de l’Euro-groupe permanent, élu pour trois ans, qui passe son temps à rapprocher les politiques budgétaires et fiscales de ses 18 membres. Pourquoi son secrétariat ne s’installerait-il pas à Strasbourg, dans les locaux qu’aurait vidés le Parlement ? Pourquoi l’hémicycle de Strasbourg n’accueillerait-il pas, à rythmes réguliers, de petites délégations issues des commissions des finances des 18 parlements nationaux ?