L’analyse du groupe de travail Défense de Synopia
Entré en vigueur le 1er décembre 2009, le traité de Lisbonne affiche de grandes ambitions en matière de sécurité et de défense. Annonçant clairement l’objectif d’une défense européenne, le traité permet d’élargir le champ d’action de l’UE aux actions conjointes en matière de désarmement, aux missions de conseil et d’assistance en matière militaire, aux missions de prévention des conflits et de maintien de la paix et aux opérations de stabilisation post-conflit, à la lutte contre le terrorisme. L’Union européenne a acquis ce jour-là les attributs d’un acteur global de gestion de crise, grâce au renforcement de ses moyens d’action et la création de structures décisionnelles permanentes.
Cependant, ce n’est que cinq années plus tard, en décembre 2013, qu’un Conseil européen fut dédié à la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Celui-ci a permis de ramener les questions de défense au centre de l’agenda européen et a donné une nouvelle impulsion à la construction d’une politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC).
Depuis, l’évolution du contexte international et la multiplication des crises en Afrique, au Moyen-Orient, aux portes de notre continent qui menacent directement ou indirectement la sécurité de citoyens européens justifient peut-être plus qu’avant une approche européenne des problématiques de défense et une solidarité des pays membres pour défendre valeurs et intérêts communs.
Les 25 et 26 juin prochains un nouveau Conseil européen consacré aux questions de défense se tiendra dans un contexte européen très dense : crise financière, déficits budgétaires, problématique des migrants, etc… Les sujets ne manqueront pas pour éviter les problématiques de défense. Si la révision de la stratégie européenne de sécurité est déjà acquise, nos chefs d’États et de gouvernements devront être vigilant pour au moins poursuivre la dynamique et les actions lancées en décembre 2013.
L’environnement stratégique et institutionnel s’est profondément transformé depuis l’adoption de la Stratégie européenne de sécurité (SES) publié en décembre 2003.
Le document de stratégie européenne de sécurité de 2003 débutait ainsi: « L’Europe n’a jamais été aussi prospère, aussi sûre, ni aussi libre. » Il encourageait notamment le développement d’un multilatéralisme efficace, que l’Europe incarnait et mettait en œuvre avec succès. Nos valeurs démocratiques, notre respect assumé du droit international ou de la charte fondamentale de l’ONU constituaient autant d’éléments d’un modèle original qui pouvait séduire certains partenaires dans notre voisinage ou dans le monde.
Ce document fondateur, revu en 2008, a montré sa pertinence et son intérêt. Mais il ne suffit plus aujourd’hui. Le monde a singulièrement évolué en 12 ans. Certaines tendances se sont affirmées, de nouveaux défis sont apparus qu’on ne peut simplement traiter dans un cadre réglementaire, avec la volonté sincère de prendre en compte les aspirations des autres entités politiques. L’annexion illégale de la Crimée par la Russie, les affrontements dans le Donbass piétinent l’ordre européen fondé sur le dialogue et la paix dont nous rêvions encore il y a peu. Les guerres civiles en Libye, Syrie ou Irak suscitent le développement de mouvements totalitaires qui nous considèrent comme des ennemis irréconciliables. Ils veulent nous ôter toute forme d’influence dans ces pays ou dans les régions proches en s’appuyant sur des modes d’action asymétriques, comme le terrorisme. Loin d’être contenue, l’instabilité se propage au nord de l’Afrique subsaharienne. Bref, c’est notre voisinage qui est en feu et plus tôt nous ferons face avec courage à ces défis, moins le prix à payer sera élevé.
Face à de telles menaces, l’Union Européenne ne peut faire moins qu’agir pour contribuer à la sécurité de ses citoyens, à la stabilité du continent et à celle de son environnement proche. Il en va de sa crédibilité comme entité politique auprès de l’ensemble des Européens. Il ne s’agit pas de renoncer aux vertus du multilatéralisme, aux règles de droit ou à nos valeurs démocratiques, mais d’ajouter autre chose. Il est temps que l’Union européenne devienne acteur de son destin et dispose des outils adéquats pour ce faire. Elle doit être capable d’anticiper et de réagir le cas échéant aux crises en agissant sur les rapports de force locaux. La coordination des politiques étrangères peut être améliorée dans ce sens. L’effort de défense doit bien sûr être articulé dans le cadre de la solidarité transatlantique qui a été essentielle pour l’Europe depuis 1945. Mais cette relation privilégiée avec les États-Unis ne doit pas nous empêcher de repenser les procédures de mobilisation de moyens de défense propres au sein de l’Union. Elles seules offriront aux responsables politiques des moyens d’action originaux et significatifs pour peser véritablement et modifier la situation locale selon nos choix politiques. Et à terme, c’est la constitution d’une Europe industrielle de la défense qui est posée, seule garantie d’une réelle capacité d’action indépendante.
Invitée par le Conseil européen de décembre 2013 à évaluer les conséquences des changements intervenus sur la scène internationale, et à rendre compte des défis qui attendent l’Union européenne la Haute Représentante a depuis proposé d’élaborer une « stratégie de politique étrangère ».
Cette nouvelle stratégie devra être visionnaire, opérationnelle et réaliste. Elle devra identifier et décrire les intérêts de l’UE, les objectifs à atteindre, les menaces et les défis existants et à venir, ainsi que les instruments et moyens de l’UE permettant d’y répondre, sur la base de l’approche globale de l’UE. Dans ce cadre, il conviendra de mettre l’accent sur le rôle central de la PSDC, inséparable d’une politique étrangère européenne crédible.
En s’appuyant sur l’expertise européenne acquise depuis plus de dix ans dans la contribution à la résolution des crises, il appartiendra aux États membres de définir leur niveau d’ambition et de l’assortir des ressources adéquates, notamment dans le domaine militaire.
Suite du conseil de décembre 2013 et mise en place d’un cadre favorable à la coopération entre états membres et le développement de l’industrie de défense européenne.
La Commission a joué pleinement son rôle dans la mise en œuvre des conclusions du Conseil européen de décembre 2013. Le 24 juin 2014, celle-ci a adopté une feuille de route – « Une nouvelle donne pour la défense européenne » – qui met l’accent sur l’application des textes existants et la recherche de synergies entre les activités conduites par les différentes directions générales de la Commission.
Dans le domaine des opérations comme dans celui des capacités, la Commission européenne a un rôle essentiel à jouer ; d’abord pour fournir le cadre le plus favorable à la coopération entre États membres ; ensuite pour soutenir l’industrie de défense européenne. Ce sont deux sujets qui méritent à la fois l’attention et l’arbitrage de nos chefs d’État et de gouvernement. Les enjeux dépassent le domaine de la défense. En effet, l’industrie de défense européenne est une source de croissance et d’emplois – 600 000 emplois directs et 2 millions d’emplois indirects – et d’innovation dans le domaine des hautes technologies.
Aujourd’hui, les perspectives de coopération sont mises à mal par la baisse des budgets de défense de la plupart des États-membres, en particulier dans leur composante « investissements ». La mise en place d’incitatifs fiscaux peut être un levier pour le développement de projets capacitaires communs.
Sans sous-estimer les difficultés et les résistances, il est temps de jeter les bases, dans un cadre européen, d’une véritable politique industrielle en faveur du secteur de la défense. Aujourd’hui le cadre réglementaire pour régir les marchés de Défense n’est pas adapté. Il est paradoxalement plus facile pour un état membre de recourir à l’achat de matériels auprès des américains, dans le cadre des contrats FMS[1], que d’envisager une acquisition au sein de l’Union européenne. Les incitatifs et les possibilités d’exemption de taxes correspondent au modèle des grands programmes de coopération, lancés très en amont, tels que l’A400M ou le Tigre, mais ne couvrent pas des coopérations opérationnelles plus ciblées et plus ponctuelles comme par exemple l’achat du même type de matériel – drone tactique, véhicules blindés, etc… – pour agir ensemble sur le terrain.
Ainsi, sans remettre en cause la possibilité de s’approvisionner, en cas de besoin opérationnel, auprès de l’allié américain, il serait utile que les directives européennes (notamment la directive MPDS[2]) puissent favoriser la coopération européenne. Il s’agirait d’incitatifs puissants pour les États membres avec la perspective d’économies budgétaires.
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L’Europe est moins prospère et moins sûre qu’il y a cinq ans lors de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, mais elle peut et doit toujours rester libre des influences étrangères comme de ses choix. Ainsi doit-elle comprendre ce qui se passe autour d’elle et se donner les moyens d’agir pour arrêter certaines dynamiques. Ce sera un des enjeux du prochain conseil européen du mois de juin : comprendre le monde qui l’entoure et favoriser la coopération des pays membres pour renforcer la sécurité et la protection de nos concitoyens, de nos valeurs et de nos institutions.
[1] Foreign Military Sales
[2] Marchés publics de défense et de sécurité