La polémique qui a entouré l’annonce du versement d’un « bonus de bienvenue » au nouveau patron de Sanofi n’a pas contribué à rapprocher les Français et les entreprises. Nous ne pouvons que le déplorer.
À l’origine, il s’agissait pour Sanofi de compenser le manque à gagner de son nouveau directeur général qui, en quittant l’allemand Bayer allait perdre 4 millions d’euro de primes diverses et plus values sur des stocks options. Du point de vue contractuel, et au regard des pratiques internationales en matière de rémunération des grands patrons, rien d’anormal, dit-on. Mais en France, tout le monde n’est pas de cet avis et il n’a pas fallu attendre longtemps pour que naisse la controverse. Hélas ! chacun a défendu sa chapelle, sa clientèle, et, dans la confusion des débats, que le parti pris des journalistes n’a pas manqué de compliquer, les questions de fond n’ont pas été posées, sur les rémunérations des grands patrons dans un contexte global, et sur l’exemplarité. En l’occurrence, et pour paraphraser un fameux passage des Corinthiens, si l’esprit vivifie, les chiffres ont une nouvelle fois tué.
En démocratie, s’il est légitime de s’interroger sur le niveau de rémunération des dirigeants, quels qu’ils soient, de grâce, ce débat ne devrait pas se faire au détriment des intérêts économiques de la France, ni du dialogue social. Sachant qu’un minimum de bon sens, d’honnêteté intellectuelle ou de connaissance, aurait dû conduire les analystes politiques et syndicaux à distinguer avant tout commentaire trois catégories dont les rémunérations répondent et répondront à logiques différentes : les patrons des grandes entreprises publiques (EDF, SNCF), ceux qui dirigent des groupes privés (Sanofi, Total) et enfin, ceux qui sont à la fois dirigeants et actionnaires (LVMH, Dassault). L’amalgame ne profite qu’aux populistes trop heureux de tout mélanger pour entretenir leur fonds de commerce partisan.
Soyons clairs et lucides, si nous voulons que les entreprises françaises soient dirigées par les meilleurs, il faut offrir à ces derniers des rémunérations équivalentes à ce qu’ils gagneraient dans d’autres pays. Il est de la responsabilité de la classe politique de l’expliquer sereinement aux Français. Et, si nous pouvons espérer qu’un jour prochain, des règles encadreront les écarts de rémunération entre les plus hauts et les plus bas salaires au sein des entreprises, pour atteindre un niveau « moralement » acceptable (et pourquoi pas les écarts de richesse dans la société), chacun doit comprendre que, mondialisation oblige, de telles dispositions ne peuvent s’appliquer qu’à un large périmètre, au moins à l’échelle d’un continent. Le pays qui prendrait seul l’initiative se tirerait une balle dans le pied, ce qui, en période de compétition internationale accrue, serait suicidaire. Ainsi la taxe à 75 % imaginée par le candidat Hollande…
Du point de vue éthique, s’il faut blâmer les polémistes pour la dimension partiale et partielle de leurs vues, il convient sans doute de jeter la première pierre à Sanofi. Comment, dans le contexte actuel, les administrateurs et la direction de la communication ont-il pu imaginer que ce bonus de bienvenue allait passer comme une lettre à la poste ? Ont-ils pensé à la réaction des cent dix mille salariés du groupe ? N’y avait-il pas d’autres moyens que de jeter de l’huile sur les braises sociales et de provoquer un tollé médiatique ? Il y a là une forme de mépris des réalités qui ne peut manquer d’étonner.
De son côté, le nouveau directeur général aurait peut-être dû avoir en tête la maxime du poète latin Claudien avant d’accepter son bonus : « l’exemple du monarque est la loi sur la terre ». Quand on a la chance et l’honneur d’être choisi pour présider aux destinées d’un groupe considérable comme Sanofi, les questions d’argent ne sont-elles pas secondaires au regard du projet et des responsabilités ? C’est un drôle de signal qu’il a envoyé à l’ensemble des collaborateurs du groupe pharmaceutique : en interne, la question de sa rémunération sera perçue comme sa première priorité. Alors même que rien n’a commencé, cet épisode financier risque de laisser des traces et de créer des doutes sur les motivations réelles du « chef ».
Car la différence entre le numéro un et tous les autres, c’est sa place dans l’organisation, la hiérarchie, l’ordre : il est LE numéro un. À ce titre, le chef est garant, et même porteur, d’une vertu particulière, qu’il se doit de faire vivre et diffuser chaque jour et sans relâche. L’éthique.
Alexandre Malafaye
Président de Synopia