Les grands pays développés ont des attitudes variables vis-à-vis de l’immigration. Certains sont frileux et ferment leurs frontières, d’autres sont plus hospitaliers.
Il est cependant une catégorie d’immigrants que tous les pays s’arrachent : il s’agit du jeune diplômé dans une spécialité utile (informatique, biologie, physique, pharmacie, etc.). On suppose en effet que ce jeune adulte sera rapidement utile à l’économie et créera de la richesse et de l’emploi. Quel pays ne souhaiterait avoir un Steve Jobs ou un Bill Gates sur son sol ? De plus, le pays d’accueil n’a pas eu à faire les frais de son éducation et de sa formation. Le « produit » est donc excellent, et recherché.
Le phénomène va prendre une importance encore accrue sous l’effet de deux évolutions parallèles. D’une part, les jeunes se raréfient dans un grand nombre de pays développés ; aujourd’hui déjà, l’Allemagne, mais aussi l’Italie, l’Espagne, la Russie ne renouvellent plus leurs générations ; demain (2020) ce sera le tour de la Chine, et après demain (2030) de l’Inde. D’autre part, le renouvellement accéléré des techniques fait que l’obsolescence des connaissances débute très tôt dans la carrière, et que, malgré la formation continue, les spécialistes des techniques de pointe sont bien souvent à leur meilleur niveau dans la première partie de leur vie professionnelle.
Le jeune diplômé sera donc de plus en plus une ressource stratégique et rare, qui deviendra inéluctablement recherchée et donc chère. Les conséquences de cette réalité nouvelle et prévisible sont nombreuses et concernent plusieurs acteurs très différents. En voici quelques unes.
Si l’on considère que la barrière de la langue n’est pas un obstacle impossible à surmonter, et que l’acquisition d’une nouvelle nationalité est une formalité (dès lors que le pays d’accueil le souhaite), le paysage s’en trouve complètement changé par rapport à celui des décennies précédentes. D’un coté, du point de vue du jeune diplômé, le monde s’étend, verdoyant, à ses pieds, et il n’a que l’embarras du choix pour choisir une terre où s’établir ; de l’autre coté, du point de vue des gouvernements, il faut tout faire pour conserver ses propres jeunes et pour aller en chercher d’autres ailleurs : il est donc plus que probable que cette recherche des « meilleurs jeunes » devienne une des missions importantes de l’Etat dans les années à venir. C’est un nouveau métier pour l’Etat, voilà donc une première conséquence des migrations internationales.
Une deuxième conséquence sera de changer le regard sur les dépenses publiques. En effet, depuis quelques décennies, le chœur des économistes traditionnels vilipende les prélèvements obligatoires, arguant, à juste titre d’ailleurs, que si une entreprise peut décider de son implantation entre plusieurs pays différents, le choix se portera vers le pays qui présente le taux de prélèvements le plus faible. En revanche, lorsqu’on s’adresse à des personnes de chair et d’os, le raisonnement s’inverse : l’avantage comparatif va au pays qui possède le meilleur système de santé publique, la meilleure sécurité publique, le meilleur système d’éducation publique, le meilleur réseau routier ou ferroviaire, etc. Dit autrement, si la compétition n’est plus d’attirer les entreprises, mais d’attirer les jeunes talents, une bonne et fiable administration devient un atout majeur, supérieur même à une fiscalité compétitive.
A cet égard, le gouvernement français serait bien avisé d’aller expliquer le système français dans les universités américaines. Une claire compréhension du système français, et de ses avantages pour le citoyen, plaiderait à coup sûr, avec les autres arguments en faveur de la France (la pluralité des opinions, le souffle de liberté, l’ouverture d’esprit, l’aménité et la variété des paysages, le patrimoine bâti, la culture omniprésente, la gastronomie, la proximité géographique d’autres cultures, le système de santé, les infrastructures de transport, etc.) pour inciter nombre de jeunes étudiants ou de jeunes actifs à traverser l’Atlantique dans le sens non-conventionnel.
La troisième conséquence est dans la politique économique à mener. Si les Etats sont en compétition pour les jeunes diplômés, et qu’ils y consacrent des ressources importantes, il est naturel qu’ils souhaitent que les jeunes ainsi recrutés (ou conservés) soient employés au bénéfice de la nation qui a investi pour les attirer ou les retenir. La conséquence rationnelle, pour un Etat conséquent, serait de conditionner vraiment et durablement aide publique et création d’emploi sur le sol national, en commençant par privilégier les PME ou jeunes les pousses plutôt, c’est à dire faire l’inverse de ce qui se pratique aujourd’hui.
Ce serait l’amorce d’un cercle vertueux : utiliser des ressources publiques pour conserver ou faire venir des talents, notamment en recherchant l’excellence dans l’enseignement supérieur, aider massivement ces jeunes talents à lancer leurs entreprises, lesquelles créent de nouvelles richesses, ce qui permet d’enrichir l’Etat, et donc de maintenir un niveau élevé de formation et de recherche universitaire, et ainsi de suite.
Xavier d’Audregnies