La France souffre d’un mal invasif à triple détente : renoncement à soi-même, syndrome de la courte vue et fuite en avant dans des expédients qui entretiennent le mal.
L’urgence budgétaire et la crise économique ont bon dos. Elles servent d’alibi au déploiement tous azimuts d’une pensée comptable et technocratique indigente, qui arase les énergies et les ambitions en croyant sauver les meubles… alors qu’elle les brade !
Ces dérives peuvent encore être parées et les bases de notre cohésion nationale rétablies si l’on remet la carte à l’endroit et si l’on ose de nouveau penser stratégiquement.
Redonner du souffle et du cœur, un espoir aussi, pour chacun et pour tous, « d’en sortir par le haut » et de prendre notre place dans un monde en phase accélérée de reconfiguration stratégique. Sur la photo, au deuxième rang peut-être, mais au centre.
De bien grands mots, dira-t-on, pour une petite chose : la France d’aujourd’hui, qui parle d’elle-même comme d’une « puissance moyenne » en essuyant distraitement une larme de fatalisme ! Nos concurrents et partenaires se réjouissent déjà de notre défaitisme que l’on croit compenser par quelques sautes d’orgueil tonitruantes auxquelles on reconnait généralement…les impuissants. Il faut quitter cette errance délétère, arrêter de se payer de mots et reconstruire le chemin de l’influence avec réalisme et détermination.
Car l’influence n’est pas un gros mot….et l’influence française n’est pas une chimère.
C’est une réalité ancienne, inscrite dans l’histoire nationale depuis l’œuvre intellectuel et politique des Lumières, qui a posé les bases d’un rayonnement multiséculaire de l’Occident et dont l’Esprit français est l’un des piliers. Au fil des siècles, elle s’est enracinée dans l’histoire de l’humanité, marquée par l’apport considérable du génie français à l’histoire scientifique, industrielle, philosophique, et conceptuelle du monde, incarnée au 19ème siècle dans une épopée coloniale dont nous n’avons pas qu’à rougir, déployée au 20ème dans un rayonnement global incontestable et incontesté.
Pourtant, aujourd’hui, l’influence de la France parait en berne, beauté passée et déprimée, jouant sans conviction de ses derniers feux qui ne font plus rêver ses citoyens, encore moins le reste du monde.
Les raisons de ce déclin sont à la fois objectives et immatérielles. Elles ne sont certainement pas irrattrapables. Il faut « revenir aux fondamentaux », au risque de choquer quelques « grandes âmes » qui voient le monde en rose et croient qu’il suffit d’aimer son prochain pour être écouté ou suivi.
Or, pour cueillir les fruits d’un rayonnement économique, culturel ou normatif, un Etat doit avant tout convaincre qu’il est un ensemble structuré et résilient qui fait sens. Pour cela, il ne peut réduire sa politique étrangère à une politique de bons sentiments agrémentée de quelques coups de menton inconséquents.
Car l’influence d’un pays est intimement liée à la volonté de puissance perçue de son Etat, et par suite, à sa capacité de projeter sa force militaire en cas de besoin. L’histoire politique du monde est avant tout militaire. La guerre a façonné les équilibres du monde, les a faits et défaits. L’histoire militaire est partie intégrante de l’identité de tous les grands pays et ils ne peuvent y renoncer sans renoncer à eux-mêmes. Les puissances émergentes ou re-émergentes elles-mêmes, considèrent la force militaire comme l’un des vecteurs indispensables d’une « puissance à spectre complet » et s’emploient sans états d’âme à développer leur outil militaire. Seuls quelques Etats, tels l’Allemagne ou le Japon, en sont encore « empêchés » politiquement ou ont d’autres atouts majeurs, comme le Qatar ou la Norvège. Ce n’est pas notre cas. La France, pour ne parler que de nous, est un pays de grande tradition militaire et ce n’est pas un handicap ! Or, en vertu d’une contrainte budgétaire incontestable, mais dont le secteur de la défense devrait être protégé au nom même du principe de réalité, nous dévalons avec inconscience la pente du sacrifice consenti d’un atout résiduel majeur de notre puissance et de notre influence. Au gré des « Livres blancs » et des « Lois de programmation militaire », nous hypothéquons la cohérence et la survie même de notre outil militaire, encore remarquable, mais déjà en limite de soutenabilité. Nous compromettons l’avenir de notre industrie de défense, pivot de notre indépendance stratégique, garante de notre avance industrielle, manifeste d’excellence nationale et vecteur évident de rayonnement politique et économique, avec toutes les conséquences dramatiques qui en découlent, notamment sur le plan de l’emploi et de la croissance.
Comment ne pas voir que, dans notre jeu stratégique affaibli, cet atout cardinal nous permet de manifester concrètement notre volonté politique aux quatre coins du monde et de défendre un rang désormais ouvertement contesté ?
Pourquoi y renoncer ? Par quel mystère juge-t-on pertinent, dans un monde dangereux qui réarme massivement, de se priver d’un instrument de souveraineté essentiel, que nos concitoyens au demeurant, valorisent dans tous les sondages ?
Pacifisme d’élites intellectuelles et politiques révélateur d’un inquiétant déni de la réalité stratégique mondiale ? Mort de l’Etat, et du sens de l’Etat, comme du souci du bien public et de l’intérêt national dans leurs cœurs désorientés, qui s’en laissent déposséder par l’économisme ambiant et la tyrannie du court-termisme ? Et cela, sans qu’aucun de ceux qui pilotent ce déclin fatal n’aient à en subir les affres.
Pourtant, il saute aux yeux que la sécurité de nos concitoyens, sur le sol national comme partout dans le monde, repose d’abord sur la capacité de la France à participer à la gestion, éventuellement militaire, des crises au loin, sur la crédibilité concrète d’une menace de recours à la force qu’elle peut brandir, sur la démonstration sans équivoque qu’elle veut, même et surtout en période économique difficile, se donner les moyens humains, matériels et donc financiers, de continuer à manifester sa présence partout dans le monde pour protéger ses intérêts, ses ressortissants et/ou sa vision du monde.
Seule une stratégie globale de puissance peut permettre cela. Derrière ce « gros mot » se cache l’activation méthodique et planifiée d’un faisceau de « lignes d’opérations » (militaire, diplomatique, médiatique, culturelle, normative, économique, financière, scientifique, éducative, industrielle, etc…), au service d’un « effet final recherché », défini comme une capacité à peser sur le cours des choses et à faire avancer, tels les deux chevaux d’un attelage puissant, nos valeurs et nos intérêts, qui peuvent se trouver dans un rapport d’identité …ou d’opposition sans qu’il soit besoin de battre sa coulpe pour autant.
Cela doit se faire sans tabous ni états d’âme, de manière assumée et proactive, car l’influence est une force vertueuse pour la France. Il faut donc drastiquement changer d’état d’esprit, refuser le faux procès en arrogance qui nous est fait par de plus arrogants que nous pour nous neutraliser, et reconstruire notre « estime de soi » collective.
Dans cette remobilisation impérieuse des énergies nationales, on peut faire confiance à notre jeunesse. Elle ne se raconte pas d’histoires et voit le monde tel qu’il (ne) va (pas). De récents sondages montrent qu’elle croit encore possible un rayonnement français et fait tout naturellement le lien entre puissance militaire et influence politique. Le bon sens n’a pas d’âge.
Au-delà de la jeunesse, c’est en cultivant et en consolidant le sentiment d’appartenance à une communauté nationale attractive, mis à mal par l’ultra individualisme et le matérialisme invasif des dernières décennies, que l’on peut espérer développer de nouveau la fierté d’être français. Si le monde extérieur venait à percevoir les Français comme un peuple équilibré et confiant en l’avenir, ce serait sans doute le meilleur des signes d’une influence retrouvée !
Confiance, respect, recherche d’équité, lucidité, honnêteté intellectuelle, courage : voici les leitmotivs qui doivent inspirer une nouvelle approche politique des problématiques de tous ordres dans notre société, à rebours du dogme égalitariste pseudo républicain qui prévaut actuellement et le dispute au cynisme le plus froid en entrainant un brouillage des messages politiques et une démotivation massive. Il faut oser parler clair, miser sur l’intelligence et le courage de nos concitoyens, et leur proposer autre chose qu’un ravaudage informe de notre réalité sociale qui ne fait ni sens, ni lien, ni perspective.
Cet effort ne peut enfin, évidemment, être crédible sans une réforme profonde de la gouvernance dans notre pays. Cette réforme doit permettre de restaurer un sens des responsabilités, une pensée du temps long et inciter le politique à s’affranchir des oukases d’un sensationnalisme médiatique à courte vue pour raccrocher le sens de l’intérêt de l’Etat et du collectif. Cette indépendance de raisonnement seule le rendra de nouveau convaincant. Impopularité à court terme peut-être, reconnaissance populaire à coup sûr dans le temps. Une prise de risque bien modeste, somme toute, comparée à celle d’une perte rédhibitoire de légitimité. Certains gouvernants de pays comparables au nôtre ont essayé cette potion exigeante…et en recueillent aujourd’hui les fruits.
Novembre 2013