Le livre de Jared Diamond Collapse (« Effondrement » dans sa traduction française) cherche à comprendre pourquoi des civilisations, certaines brillantes, ont disparues, en se demandant si la nôtre est menacée. Aussi, les pages d’Effondrement qui résonnent le plus avec les inquiétudes d’aujourd’hui sont celles qui traitent des civilisations où la destruction de l’environnement a beaucoup compté : celle de l’île de Pâques, des îles d’Henderson et de Pitcairn, celle des Amérindiens Anasazi du sud-ouest des Etats-Unis, des Vikings du Grand Nord.
L’exemple de la colonisation viking du Groenland est très convaincant : « Le pouvoir de la société viking du Groenland était concentré au sommet de la pyramide entre les mains des chefs et du clergé. Ces derniers étaient propriétaires de la plus grande partie des terres, possédaient les bateaux et avaient la mainmise sur le commerce avec l’Europe. Dans ce commerce, ils firent le choix d’importer essentiellement des marchandises qui leur conféraient du prestige ou les consolidaient (…). Ils utilisèrent les rares navires pour partir à la chasse dans le Nordesta afin d’acquérir des produits de luxe (comme l’ivoire et les peaux d’ours polaire) qu’ils pouvaient exporter en échange de ces importations d’article de valeur, le vin notamment , indispensable pour dire la messe(…) De nombreuses innovations furent suggérées qui auraient pu améliorer les conditions matérielles de Vikings : importer plus de fer et moins d’article de luxe ; utiliser les navires pour se rendre dans le Markland, afin de s’y procurer du bois et du fer ; fabriquer de nouveaux modèles de navires imités des embarcations Inuits (…). Mais ces innovations étaient susceptibles de menacer le pouvoir, le prestige (…) des chefs. (…) La structure sociale du Groenland créa donc un conflit entre les intérêts à court terme des détenteurs du pouvoir et les intérêts à long terme de l’ensemble de la société. Les chefs vikings finirent par voir disparaître tous leurs partisans. Le dernier privilège qu’ils purent s’attribuer fut celui d’être les derniers à mourir de faim. »
Et également l’empire des Mayas. Diamond montre comment ces derniers ont coupé les arbres jusqu’au sommet des collines afin de fabriquer du plâtre, tout en pratiquant la culture intensive du maïs. Il nous raconte la suite : « Cette déforestation a libéré les terres acides qui ont ensuite contaminé les vallées fertiles, tout en affectant le régime des pluies. Finalement, entre 790 et 910, la civilisation maya du Guatemala, qui connaissait l’écriture, l’irrigation, l’astronomie, construisait des villes pavées et des temples monumentaux, avec sa capitale, Tikal, de 60 000 habitants, disparaît. Ce sont 5 millions d’habitants affamés qui quittent les plaines du Sud, abandonnant cités, villages et maisons. Ils fuient vers le Yucatan, ou s’entre-tuent sur place. »
Diamond a dégagé de ses études des « collapsus » (du latin lapsus, « la chute ») « cinq facteurs décisifs », qu’il dit retrouver dans chaque effondrement, et parle d’un « processus d’autodestruction la plupart du temps inconscient ».
Quels sont ces facteurs ?
Un : les hommes infligent des dommages irréparables à leur environnement, épuisant des ressources essentielles à leur survie.
Deux : un changement climatique perturbe l’équilibre écologique, qu’il soit d’origine naturelle ou issu des suites des activités humaines (sécheresse, désertification).
Trois : la pression militaire et économique de voisins hostiles s’accentue du fait de l’affaiblissement du pays.
Quatre : l’alliance diplomatique et commerciale avec des alliés pourvoyant des biens nécessaires et un soutien militaire se désagrège.
Cinq : les gouvernements et les élites n’ont pas les moyens intellectuels d’expertiser l’effondrement en cours, ou bien l’aggravent par des comportements de caste, continuant à protéger leurs privilèges à court terme.
Jared Diamond a appliqué cette grille à notre époque. « On retrouve les cinq facteurs dans les désastres du Rwanda, de l’Afgnanistan, en Somalie, en Afrique subsaharienne, dans les îles Salomon et en Haïti. » Il repère encore le « facteur un » (dommages majeurs causés à l’environnement) associé au « facteur deux » (réchauffement climatique d’origine humaine) en Chine, en Russie et en Australie.
La chute et la disparition des civilisations sont donc causées par une concomitance de facteurs exogènes, et de facteurs endogènes, ces derniers étant liés à la gouvernance et aux croyances des peuples concernés. La leçon implicite est que si on ne peut guère agir sur les facteurs exogènes, il est de notre responsabilité de nous interroger sur les facteurs endogènes, et de notre choix d’agir pour les changer. C’est pourquoi Diamond sous-titre son ouvrage : « Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie »….
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Notes et avis de lecture du livre de Jared Diamond, Collapse – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris, Gallimard, Collection « NRF Essais » – 2006.