Note de Synopia n°3 – février 2018
Par les Jeunes de Synopia
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65 % des mineurs incarcérés retournent en prison dans les cinq années qui suivent leur sortie1. Ce taux de récidive, plus élevé que chez les personnes majeures, prouve à lui seul que le système carcéral, dans son état actuel, n’est pas adapté à la délinquance juvénile : si la punition est un élément important du sens de l’incarcération, son pendant, la prévention de la récidive, semble avoir été négligé.
Envisager sérieusement une politique de réinsertion des jeunes délinquants se heurte à de nombreuses difficultés :
- La première est l’absence d’évaluation des différentes structures d’incarcération des mineurs, de leur impact, et de leur utilité réelle dans la réinsertion.
- La deuxième est liée à la difficulté de la prise en charge des troubles psychologiques et psychiatriques qui touchent une grande partie des jeunes délinquants.
- Enfin, la troisième difficulté est celle posé par la limite de la majorité pénale – à partir de 18 ans (parfois 16 ans), les jeunes sont traités comme des personnes majeures, et ne bénéficient donc plus d’un suivi spécifique, pourtant indispensable.
Si l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante consacre la primauté de l’éducation dans le travail de réinsertion des mineurs, il semble aujourd’hui que ce principe ait été dévoyé. Faute de temps et de moyens, le travail des éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s’est progressivement recentré sur la partie pénale, davantage que sur la partie éducative. Ils disposent ainsi de peu d’outils pour accompagner le jeune dans la continuité de son parcours de réinsertion. Les mesures d’enfermement ont été banalisées, et sont désormais utilisées comme des alternatives lorsque la liberté surveillée et le placement en foyer ou en familles d’accueil n’est plus possible2.
Or, l’incarcération ne permet pas de prévenir la délinquance ou d’empêcher la récidive. La prise en charge des jeunes délinquants est un enjeu global qui doit répondre à la promesse républicaine de n’exclure aucun citoyen, quel que soit son milieu social d’origine, ses capacités, ses choix ou les cahots de son parcours individuel.
Car le profil, ou le « portrait-robot » des jeunes délinquants est souvent le même : il s’agit, pour la plupart, de jeunes issus de milieux défavorisés à la fois économiquement, socialement et culturellement, qui souffrent d’un faible niveau d’instruction, d’une structure familiale dysfonctionnelle, et parfois de troubles du comportement (addictions, troubles psychologiques, traumatismes, etc.).
Les facteurs pouvant conduire à la délinquance sont multiples et nécessitent l’implication conjointe de plusieurs acteurs capables d’assurer ensemble un suivi continu et un accompagnement éducatif et socio- psychologique du jeune concerné. Ces acteurs sont :
- La famille (lorsque cela est possible).
- L’Éducation nationale – les professeurs, les directeurs d’établissements, les éducateurs spécialisés,les conseillers d’orientation, les psychologues, les responsables d’activités sportives et culturelles, etc.
- Le département, à travers le service d’Aide sociale à l’enfance (ASE).
- L’institution judiciaire (police, juges, avocats pour mineurs, etc.).
- La médecine des mineurs (psychologues, psychiatres).
La question de la délinquance juvénile ne peut pas être traitée de manière sectorisée. Comme le préconise le rapport publié en 2018 par la mission d’information sénatoriale sur la réinsertion des mineurs enfermés, il convient de développer une culture partagée entre les différents acteurs qui interviennent auprès des mineurs. Cependant, la répartition des charges et des compétences en matière d’action sociale et de protection de l’enfance rend difficile la création de nouvelles synergies.
Si la nomination en janvier 2019 d’un Secrétaire d’État à la Protection de l’Enfance auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé indique que les pouvoirs publics ont commencé à prendre la mesure du problème, l’étendue des compétences de ce nouveau Secrétariat d’État n’est pas encore clarifiée. En effet, avec la décentralisation, les départements ont récupéré la compétence de l’action sociale, notamment celle de la protection de l’enfance (via l’ASE). Comment alors articuler les trois niveaux de gouvernance que sont les collectivités, le ministère de la Justice et désormais le secrétariat d’État à la Protection de l’Enfance ?
Il est urgent de bâtir une politique cohérente, globale et sur le long terme afin de lutter contre la délinquance juvénile. Pour cela, nous proposons la création d’une task force interministérielle placée sous l’autorité de ce nouveau Secrétariat d’État et qui réunirait des représentants des ministères de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, de la Justice, des Affaires sociales et de la Santé, de la Cohésion des territoires, et du Travail. Cette task force aurait pour mission de superviser et d’harmoniser sur l’ensemble du territoire national les actions des différents acteurs à travers deux axes principaux :
- La prévention de la délinquance.
- La prévention de la récidive par la réinsertion.
1. La prévention
« L’Éducation nationale contribue à la protection de l’enfance aux différents niveaux du système éducatif ». Ce devoir de protection doit commencer par l’identification des facteurs du « décrochage scolaire » qui, dans bien des cas, conduit à la délinquance. L’école est ainsi le lieu privilégié pour repérer les jeunes en difficulté. Pour mener à bien cette mission, le rôle des acteurs de l’Éducation nationale est crucial.
Les équipes pédagogiques gagneraient à être renforcées (davantage de psychologues, de travailleurs sociaux dans les établissements « à risque »), tout en maintenant un lien permanent avec les autres acteurs concernés : les familles, les travailleurs sociaux, le département et l’institution judiciaire.
Afin de maintenir le dialogue entre les différentes parties prenantes et d’assurer une coopération efficace des services, il nous semble nécessaire de renforcer le rôle des Observatoires départementaux de la protection de l’enfance, créés dans chaque département par la loi du 5 mars 2007. Un plan d’action départemental sur 5 ans devrait être décidé et orienté vers la prévention de la délinquance et de la maltraitance des mineurs : il coordonnerait les actions des différents organismes présents dans le département et établirait, lorsque jugé nécessaire, des partenariats entre eux. Ces organismes seraient, par exemple, les unités éducatives en milieu ouvert, les structures d’insertion (accueil de jour où le jeune est pris en charge par une équipe réduite et pluri- disciplinaire), les services de l’État concernés (éducation, santé, etc.), les structures dépendant de l’Aide sociale à l‘enfance, et enfin, dans le cadre de la réinsertion, les chambres de Métiers et de l’Artisanat, les entreprises et les administrations implantées dans le département.
Prévenir la délinquance nécessite que tous les acteurs qui sont au contact direct des jeunes soient correctement formés, d’une part à la détection des premiers signes de décrochage, et, d’autre part, à réagir assez tôt et avec les outils appropriés. Des modules de formations complémentaires pourraient ainsi être proposées aux travail- leurs sociaux et au personnel des établissements scolaires.
2. La réinsertion
Le travail de l’institution judiciaire dans la prévention de la récidive est primordial. Comme les textes le prévoient déjà, l’incarcération ne doit être envisagée qu’en dernier ressort, lorsque toutes les mesures éducatives ont échoué. Plusieurs alternatives sont possibles comme par exemple la généralisation du travail d’intérêt général (TIG), dans une variété de services et de domaines techniques (menuiserie, numérique, photographie, cuisine, service en salle, etc.), et qui seraient associées à des formations diplômantes cofinancées par le département et les administrations ou entreprises locales volontaires. En effet, l’obtention d’un diplôme constitue une première étape vers la réinsertion des jeunes délinquants qui, souvent, ne disposent d’aucun diplôme ou de formation professionnelle.
Lorsque la peine de prison est jugée nécessaire, celle-ci doit avant tout viser la réinsertion et la prévention de la récidive. Pour cela, quelques semaines ou mois avant la sortie, les jeunes délinquants devraient passer dans un « sas » que l’on pourrait appeler un « quartier sortant », dans lequel des travailleurs sociaux, des éducateurs, des associations les accompagneraient dans la préparation de leur sortie. Si ces quartiers sortants existent déjà dans certains établissements pénitentiaires, il convient aujourd’hui de généraliser et d’institutionnaliser cette pratique : aucun mineur ne doit pouvoir quitter la structure dans laquelle il est détenu sans être préalablement passé par ce sas de sortie4. Celui-ci permettrait de réaliser des tâches simples mais nécessaires, comme la mise à jour des papiers d’identité, l’ouverture d’un compte bancaire, les démarches pour bénéficier du RSA, la prise d’un premier rendez-vous avec un conseiller pôle emploi ou une mission locale, la mise en relation avec un centre d’hébergement, la recherche d’un accompagnement psychologique approprié dans la durée, etc.
Il faut également garder à l’esprit qu’une grande partie des délinquants juvéniles souffre de troubles socio- psychologiques plus ou moins graves. L’incarcération doit permettre d’assurer un suivi psychologique adapté et individualisé en continu (c’est-à-dire même après la sortie), ce qui nécessite d’augmenter le nombre de professionnels qui travaillent actuellement dans les centres de détentions pour mineurs. Mais de nouveaux recrutements ne suffiront pas si une culture partagée entre les différents acteurs auprès des mineurs délinquants n’est pas instaurée. Celle-ci nécessite d’approfondir le dialogue et la qualité des informations transmises aux autorités compétentes, notamment la Direction de la Protection judiciaire de la Jeunesse5.
Aujourd’hui encore, les services de l’État peinent à assurer une continuité des parcours d’insertion, comme en témoigne le nombre significatif de « sorties sèches ».
Enfin, le seuil de la majorité à 18 ans a pour conséquence de briser la chaine du suivi : dès qu’il atteint l’âge limite, le jeune délinquant change de structure, et est confronté à de nouveaux acteurs, des inconnus pour lesquels son parcours individuel est étranger. Or, créer un lien de confiance entre les jeunes délinquants et les acteurs en charge de leur réinsertion est un processus long qui, s’il est interrompu, n’aura pas l’effet escompté, c’est-à-dire la prévention de la récidive et la réinsertion durable dans la société. En conséquence, l’État devrait garantir un suivi dans la durée à tous les mineurs délinquants jusqu’à leur réinsertion, même si celle-ci survient après 18 ans. Le passage d’une structure d’enfermement pour mineurs à une structure d’incarcération pour adultes ne doit pas survenir brutalement, et doit se justifier par le niveau de dangerosité de l’individu, et non par son âge.
La prévention de la délinquance juvénile et chaque centime engagé dans la réinsertion sociale de ces enfants de la République contribuent avant tout à la cohésion de notre société, et à l’égalité effective entre tous ses citoyens.
Si injecter davantage de moyens économiques et humains dans la protection des mineurs et la prévention de la délinquance est nécessaire, il s’agit avant tout de développer des synergies et une culture partagée entre tous les acteurs qui sont liés de près ou de loin à la petite, moyenne et grande enfance. Tous les acteurs ont leur rôle à jouer, mais celui de l’Éducation nationale est sans aucun doute le plus important : la prévention ne sera possible qu’une fois rétablis l’égalité des chances et « l’ascenseur social », c’est-à-dire les promesses de l’École de la République. En effet, les déterminismes socio-économiques et territoriaux jouent un rôle prépondérant dans la délinquance des mineurs : en fonction de leur lieu de naissance et de leur situation familiale individuelle, les jeunes n’auront pas les mêmes chances pour mener à bien leur projet de vie personnel.
L’École ne parvient plus, ou plus suffisamment, à compenser les inégalités de départ, notamment en raison de l’absence de mixité sociale dans les établissements.
Ainsi, une réflexion doit être menée sur les politiques des cartes scolaires. Elle devrait associer tous les acteurs, au niveau des territoires et au niveau national. La task force interministérielle dont nous proposons la création pourrait être chargée de piloter une telle concertation sur les conditions de la mixité sociale dans l’École du 21ème siècle.