Note n°27 – Nouveau Parlement, nouvelle Commission : statut quo ou changement de cap en Europe ?, par Joséphine Staron

Ces dernières semaines, les principaux postes au sein des institutions européennes ont été attribués : les « top jobs » comme on les appelle, mais aussi les postes clés au sein du Parlement européen. Si nous observons peu de changements sur cette législature, les premières impressions peuvent être trompeuses : l’Union européenne est bel et bien en train de…

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Ces dernières semaines, les principaux postes au sein des institutions européennes ont été attribués : les « top jobs » comme on les appelle, mais aussi les postes clés au sein du Parlement européen. Si nous observons peu de changements sur cette législature, les premières impressions peuvent être trompeuses : l’Union européenne est bel et bien en train de se transformer. 

Les « top jobs »

Fin juin, sans grande surprise, les États membres de l’UE sont tombés d’accord sur la nomination des principaux dirigeants européens : 

  • Ursula von der Leyen pour la Commission européenne (issue du PPE[1])
  • António Costa, pour le Conseil européen (ancien Premier ministre du Portugal, issu du S&D[2])
  • Kaja Kallas, pour les Affaires extérieures (Première ministre d’Estonie, issue de Renew[3]).

Si ces trois noms circulaient depuis longtemps déjà à Bruxelles, les résultats des élections européennes auraient pu contraindre les États à revoir leur copie puisque c’est le groupe de Georgia Meloni, ECR[4], qui est arrivé en troisième position au soir du scrutin, devant Renew. 

Mais cela n’a pas été le cas, au grand dam de la Première ministre italienne qui s’est empressée de fustiger une coalition des libéraux et de la gauche qui ne reflèterait plus la volonté des citoyens européens exprimée dans les urnes le 9 juin dernier. Si le Portugais et l’Estonienne n’ont pas encore été confirmés par le Parlement européen qui doit voter prochainement, l’Allemande Ursula Von der Leyen a été reconduite à son poste de Présidente de la Commission européenne pour cinq années de plus. 

À la veille de ce scrutin, sa réélection était encore loin d’être assurée : en 2019, elle n’avait emporté l’adhésion du Parlement européen qu’avec 9 voix d’avance. Cette année, avec moins de députés Renew et Verts[5], son socle semblait plus fragile encore. Pourtant, Ursula von der Leyen est sortie victorieuse, totalisant 401 voix en sa faveur, soit 41 voix de plus que la majorité absolue. 

Elle a pu compter sur une grande partie des voix de la droite libérale dont elle est issue (PPE), ainsi que des sociaux-démocrates (S&D), des libéraux (Renew) et des écologistes (Verts). Mais le vote étant à bulletin secret, il est difficile de savoir si elle a réussi à rallier quelques députés d’ECR, ni quelle proportion d’eurodéputés de sa coalition n’ont en réalité pas voté pour elle. Toutefois, son programme politique pour son nouveau mandat donne certaines indications quant aux camps qu’elle a souhaité rallier à sa cause. Le choix des Commissaires européens et de leurs portefeuilles – qui devrait intervenir dans les semaines qui viennent – illustrera également un possible infléchissement de sa politique.

Un nouveau Parlement européen

En dépit de certains pronostics, le tout nouveau parti créé par le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, et présidé par le français Jordan Bardella (Rassemblement national), n’est pas parvenu à contrer la réélection d’Ursula von der Leyen. Or, les « Patriotes pour l’Europe », avec 84 eurodéputés, sont désormais la troisième force politique du Parlement européen, devant ECR (+ 6 sièges). Toutefois, nous constatons que le « cordon sanitaire » qui existait déjà autour du groupe Identité & Démocratie dont sont issus une bonne partie des Patriotes, a subsisté et qu’ils n’ont de ce fait obtenu aucun poste clé au Parlement européen. 

En effet, la semaine dernière, le Parlement votait pour son Président, ses Vice-présidents, ses Questeurs et les membres des commissions. Là encore sans grande surprise, l’italienne Roberta Metsola (PPE) a été réélue à la Présidence du Parlement européen. 

Parmi les 14 Vice-Présidents et 5 Questeurs, 15 sont issus de la coalition PPE/S&D/Renew/Verts (5 PPE, 6 S&D, 3 Renew, 1 Vert). Le groupe ECR obtient 3 postes (2 VP et 1 Questeur), et la gauche radicale[6] obtient 1 vice-présidence à travers le français Younous Omarjee (issu des rangs de la France Insoumise). Les Patriotes n’obtiennent là encore aucun poste clé[7]

Enfin, le 23 juillet, chacune des 24 commissions et sous-commissions a choisi son bureau composé d’un président et de quatre vice-présidents, soit 24 présidents et 96 vice-présidents. La France obtient la présidence de la sous-commission des droits de l’homme en la personne de Mounir Satouri (Verts), ainsi que 5 vice-présidences : Christophe Gomart (PPE) à la sous-commission sécurité et défense ; Manon Aubry(Verts) à la commission du commerce international ; Nora Mebarek (S&D) à la commission du développement régional ; 
Eric Sargiacomo (S&D) à la commission de l’agriculture et du développement rural ; et enfin Stéphanie Yon-Courtin (Renew) à la commission de la pêche.

Le PPE a ainsi obtenu la présidence de 8 commissions ; le S&D de 4 ; Renew et les Verts en obtiennent chacun 3. Ceux qui tirent particulièrement leur épingle du jeu sont, d’abord, la gauche radicale (GUE/NGL) qui préside trois commissions majeures : celles des affaires économiques et monétaires, la sous-Commission des questions fiscales, ainsi que la commission de l’emploi et des affaires sociales. Et ECR, le parti de la droite radicale de Georgia Meloni, récolte également 3 présidences de commissions. 

Vers un changement de cap en Europe

Les principales « figures » européennes n’ont pas changé et les « Patriotes » de Viktor Orban et Jordan Bardella restent, pour l’instant, sur la touche, malgré leur nombre important d’eurodéputés.

Mais si le casting est resté plus ou moins le même, le projet, lui, a évolué. En atteste le discours d’Ursula von der Leyen devant le Parlement, avant sa réélection par les eurodéputés dans lequel elle dévoile son programme pour les cinq années à venir[8]. Ce discours est intéressant à plusieurs titres. Déjà, parce qu’il revêt un caractère plus réaliste, plus pragmatique que par le passé : 

« Nous nous trouvons dans une période marquée par l’anxiété et l’incertitude profondes des Européens. Les familles souffrent du coût de la vie et du logement. Les jeunes s’inquiètent pour la planète, pour leur avenir et à l’idée d’une éventuelle guerre. Les entreprises et les agriculteurs se sentent coincés. Tout cela est symptomatique d’un monde dans lequel tout est instrumentalisé et sujet à controverse. Un monde dans lequel les tentatives de division et de polarisation de nos sociétés sont évidentes. Je suis profondément préoccupée par ces tendances. Mais je suis convaincue que l’Europe – une Europe forte – peut relever ce défi. »

Ces propos contrastent avec le discours sur l’état de l’union prononcé devant le Parlement européen en 2019, dans lequel elle dévoilait un projet centré sur les objectifs de décarbonation à travers le Pacte Vert. Pour convaincre les eurodéputés les plus conservateurs du PPE de la soutenir, Ursula van der Leyen a présenté un projet davantage axé sur la compétitivité, la croissance, l’industrie et la défense. Elle l’affirme sans détour : « La prospérité et la compétitivité seront notre première priorité ». 

En ce qui concerne le Pacte Vert, les objectifs fixés demeurent mais la Présidente ajoute qu’ils devront être atteint « de manière pragmatique, en respectant la neutralité technologique et en faisant preuve d’innovation ». 

Beaucoup attendait une prise de conscience des institutions européennes concernant l’environnement économique et géopolitique actuel. C’est semble-t-il chose faite : fini la naïveté et la croyance dans une mondialisation heureuse et une compétition libre et loyale. 

« Les fondements de l’économie mondiale sont en plein changement. Ceux qui restent sans rien faire se retrouveront à la traîne. Ceux qui ne sont pas compétitifs se retrouveront dépendants. La course est lancée et je veux que l’Europe passe à la vitesse supérieure. Pour cela, il faut commencer par simplifier et rendre plus réactif l’environnement des entreprises. Nous devons approfondir notre marché unique à tous les niveaux. Il nous faut réduire les obligations de déclaration, alléger la bureaucratie, mais aussi augmenter la confiance, améliorer le respect des règles et accélérer l’octroi de permis. Et je ferai en sorte que l’on doive rendre des comptes à ce propos. Car on ne mène à bien que ce que l’on mesure. »

La Présidente a également eu un mot pour les PME, après avoir été souvent accusée de ne considérer que les très grandes entreprises, notamment dans le cadre de la règlementation type CSRD et CSDD : 

« Nous savons tous que sans les PME, il n’y aurait pas d’Europe. Elles constituent le cœur de notre économie. Par conséquent, débarrassons-nous de la lourdeur de la microgestion, accordons‑leur plus de confiance et proposons-leur de meilleures incitations. »

En matière de politique étrangère de l’Union, Ursula von der Leyen a répété ce qu’elle avait déjà dit à plusieurs reprises : 

  • Un soutien renouvelé et sans faille à l’Ukraine.
  • Un soutien à l’élargissement vers les Balkans occidentaux.
  • Un soutien d’une solution à deux États dans le cadre du conflit israélo-palestinien.

Le programme annoncé par la Présidente de la Commission est, en somme, celui d’une Europe puissante et souveraine que beaucoup d’Européens appellent de leurs vœux. Elle ouvre même la voie à une modification des Traités, dans le cadre d’un travail conjoint mené par la Commission et le Parlement. 

Avec ce nouveau cap, la Commission s’inscrit pleinement dans la trajectoire ouverte par le Commissaire français Thierry Breton depuis 5 ans. Les propositions présentées dans le discours du 18 juillet devant les eurodéputés sont, pour la plupart, susceptibles de recueillir un large consensus au Parlement européen.

Restera toutefois à convaincre les quelques récalcitrants : d’un côté, ceux qui sont opposés à une augmentation du budget européen et des investissements (les pays du Nord) ; de l’autre, ceux qui sont encore plus opposés à tout accroissement des compétences de la Commission, au détriment des États (au premier rang desquels, la Hongrie de Viktor Orban). 

Les propositions formulées dans le discours du 18 juillet 2024 :

  • Nommer un Vice-Président en charge de la simplification (objectifs : réduire les obligations de déclaration, alléger la bureaucratie, améliorer le respect des règles et accélérer l’octroi de permis).
  • Lancer un nouveau Pacte pour une industrie propre (objectifs : orienter les investissements vers les infrastructures et l’industrie, en particulier les secteurs à forte intensité énergétique ; créer des marchés pilotes dans tous les domaines ; accélérer la planification, les appels d’offres et les autorisations ; réduire les factures énergétiques).
  • Achever l’Union des capitaux et créer une Union européenne de l’épargne et des investissements (objectifs : conserver les capitaux en Europe ; mobiliser plus de financements privés ; mettre en place une politique en matière de concurrence qui aide les entreprises à se développer).
  • Créer un nouveau Fonds européen pour la compétitivité (objectifs : stimuler la compétitivité et l’innovation ; garantir le développement des technologiques stratégiques sur le sol européen).
  • Lancer un nouveau Plan pour l’Agriculture (objectifs : répondre aux attentes du monde agricole, lui apporter un soutien dans la transition écologique et garantir notre souveraineté alimentaire).
  • Renforcer le dialogue social européen (objectifs : élargir le champ des négociations collectives pour mettre réellement en œuvre le socle européen des droits sociaux). 
  • Nommer un Commissaire en charge du logement (objectifs : répondre à la crise du logement qui traverse toute l’Europe via l’augmentation des prix de l’immobilier et des loyers ; débloquer les investissements privés et publics nécessaires ; élaborer un plan européen pour des logements abordables).
  • Construire une Union européenne de la défense (objectifs : créer un marché unique de la défense pour investir dans les capacités de défense haut de gamme et créer des projets européens communs comme le « European Sky Shield Initiative »).
  • Renforcer Europol (objectifs : lutter contre la cybercriminalité et la criminalité organisée en doublant les effectifs d’Europol et en en faisant un service de police véritablement opérationnel).
  • Renforcer Frontex (objectifs : mieux protéger les frontières extérieures de l’UE en triplant le nombre de gardes-frontières et de garde‑côtes européens).
  • Nommer un Commissaire pour la Méditerranée (objectifs : lutter contre l’immigration irrégulière).
  • Lancer une enquête sur les conséquences des médias sociaux sur le bien-être des jeunes (objectifs : protéger les jeunes des effets des médias sociaux, notamment sur la santé mentale). 
  • Créer un Bouclier Européen de la Démocratie (objectifs : lutter contre les manipulations de l’information et les ingérences étrangères en créant une structure qui assurera la liaison et la coordination avec les agences nationales existantes).

***


[1] Parti Populaire européen.

[2] Sociaux-démocrates.

[3] Renew Europe.

[4] Conservateurs et réformistes européens.

[5] Écologistes.

[6] La Gauche (GUE/NGL).

[7]https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/download/advanced/pdf?name=&countryCode=&bodyType=OTH&bodyReferenceNum=6630

[8]https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/STATEMENT_24_3871

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