Note n°26 – « Les droites au Parlement européen : Le pari réussi de Viktor Orban », par Joséphine Staron

Les résultats des élections européennes ont été largement occultées par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et les regards se sont surtout concentrés sur la situation politique française. Or, depuis le 9 juin dernier, beaucoup de choses ont bougé du côté de Bruxelles.  Dans notre analyse publiée le 13 juin[1], nous faisions le constat…

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Les résultats des élections européennes ont été largement occultées par l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et les regards se sont surtout concentrés sur la situation politique française. Or, depuis le 9 juin dernier, beaucoup de choses ont bougé du côté de Bruxelles. 

Dans notre analyse publiée le 13 juin[1], nous faisions le constat que les équilibres politiques n’avaient pas été bouleversés au Parlement européen. Les Verts et Renew avaient perdu des députés, au profit notamment du groupe de droite radicale ECR mené par l’italienne Giorgia Meloni, mais le Parti populaire européen et les sociaux-démocrates demeuraient les deux forces principales pour cette nouvelle législature. Autre constat que nous formulions : 
le renforcement du groupe Identité et Démocratie avec l’arrivée de 30 députés du Rassemblement national n’était pas de nature à changer la donne puisque ce groupe était toujours sous le coup d’un « cordon sanitaire » étanche au sein du Parlement. 

Si ces constats restent inchangés, depuis un mois, les rapports de force ont évolué, notamment et principalement sous l’impulsion du Premier ministre hongrois, Viktor Orban. Quelques jours après avoir pris la Présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, le 7 juillet, M. Orban a annoncé la création d’une nouvelle formation politique au sein du Parlement : « Patriotes pour l’Europe ». 

« Patriotes pour l’Europe » : troisième force politique du Parlement européen

Avec 84 eurodéputés, ce nouveau parti constitue désormais la troisième force politique du Parlement, derrière le PPE et les S&D, et devant ECR à qui il vient de ravir la place. 

Sa création a provoqué un véritable séisme à Bruxelles et dans les chancelleries européennes, bien qu’elle ait été peu relayée dans les médias nationaux. Composés des partis de droites parmi les plus radicaux d’Europe, « Patriotes pour l’Europe » sera désormais une force incontournable au Parlement européen. Cette formation politique a d’abord rallié quatre partis : le Rassemblement national, le Fidesz hongrois, le FPÖ autrichien, et l’ANO Tchèque qui siégeait auparavant chez Renew. Quelques jours après son lancement, de nombreux autres partis politiques ont rejoint l’aventure, comme la Lega de Matteo Salvini, le parti Vox en Espagne qui a quitté les rangs d’ECR, ou encore le PVV hollandais de Geert Wilders. 

Seule l’AFD allemande manque à l’appel puisque ses 14 eurodéputés ont décidé de créer leur propre parti, « L’Europe des nations souveraines », composé à ce jour de 25 députés, dont la française Sarah Knafo de Reconquête. Contrairement au groupe de Viktor Orban, celui-ci n’est pas encore de nature à peser sur les décisions du Parlement européen. Étant donné sa composition, on peut même supposer que le « cordon sanitaire » qui s’appliquait jadis au groupe ID, s’appliquera demain au groupe des nations souveraines. 

Quoi qu’il en soit, la « photo » du Parlement européen aujourd’hui est bien différente de celle d’il y a encore quelques semaines, au soir des résultats des élections, et plus différente encore de celle de la législature précédente dans laquelle Renew détenait la troisième place. 

Un nouveau parti politique : la stratégie d’influence de Viktor Orban

Si la création du groupe « Patriotes pour l’Europe » est une surprise pour beaucoup, elle s’inscrit parfaitement dans la stratégie d’influence du Premier ministre hongrois qui ne cache pas ses ambitions. 

En effet, plusieurs mois avant le scrutin européen du 9 juin, il appelait de ses vœux un rapprochement entre les groupes ECR et ID, sous-entendu entre Giorgia Meloni et Marine Le Pen. Or, la Première ministre italienne n’avait aucun intérêt à s’allier au RN français, et ce pour trois raisons : la première, parce qu’elle défend une ligne atlantiste et pro-Ukraine à l’inverse de Marine Le Pen ; la seconde, parce qu’elle aurait été mise en minorité si une fusion des groupes avaient eu lieu – la présidence serait revenue au RN en raison de son contingent d’eurodéputés ; et enfin, troisième raison, depuis son entrée en fonction Giorgia Meloni n’a de cesse de se rapprocher du PPE, donc du centre droit européen et de ne plus être perçue comme une personnalité de la droite radicale en Europe. 

En faisant cette proposition, Viktor Orban savait pertinemment qu’elle serait rejetée par le gouvernement italien. Or, depuis leur éviction du PPE, les députés du Fidesz hongrois figuraient parmi les non-inscrits et n’avaient aucune chance de peser suffisamment au Parlement. La création des « Patriotes pour l’Europe » répond ainsi à un besoin d’influence au sein du Parlement européen et afin d’assoir le leadership de la Hongrie sur la droite souverainiste et illibérale européenne. Cette stratégie d’influence au sein des institutions européennes est d’autant plus renforcée que la Hongrie préside depuis le 1er juillet le Conseil de l’Union européenne, pour une durée de 6 mois. Si Viktor Orban n’a pas le pouvoir de bouleverser le calendrier législatif de l’UE, il peut néanmoins se servir de cette exposition comme d’un levier d’influence en Europe. 

Ses premiers déplacements depuis sa prise de poste en attestent. Dès le 2 juillet, il se rend en Ukraine et rencontre Volodymyr Zelensky. Quelques jours plus tard, il rencontre Vladimir Poutine à Moscou, envoyant ainsi le signal aux Européens et au monde qu’il veut se positionner en négociateur de paix. Après l’Ukraine et la Russie, c’est à Pékin que se rend le Premier ministre hongrois où il rencontre le Président Xi-Jinping. Deux mois auparavant, le Président chinois était à Budapest pour discuter des milliards investis par la Chine en Hongrie, dans le cadre des nouvelles routes de la soie. 

Le voyage de Viktor Orban à Pékin atteste donc d’un resserrement des liens commerciaux avec la Chine, à l’heure où l’Union européenne cherche à rééquilibrer ses relations commerciales avec Pékin.

Enfin, à l’issue du Sommet de l’Otan à Washington, le Premier ministre hongrois a terminé son tour des présidents en rencontrant l’ancien et peut-être futur dirigeant américain, Donald Trump, dans sa résidence de Floride.

À travers son leader, la Hongrie veut se positionner comme un acteur clé, incontournable, dans la conduite des affaires internationales de l’Europe, qu’elles soient politiques, commerciales ou en matière de sécurité et de défense. S’il est encore trop tôt pour savoir s’il réussira à imposer certaines de ses vues à ses partenaires européens, Viktor Orban avance ses pions et mise sur la « droitisation » du Continent.

« Patriotes pour l’Europe » : quelle vision ?

Le manifeste du parti « Patriotes pour l’Europe » est relativement court. Il reprend certains éléments du discours populiste classique : critique des institutions européennes éloignées des citoyens, dénonciation des lobbys et groupes de pression qui « dictent » les lois en Europe, révélation d’un plan secret des institutions européennes pour créer un état central, etc. Mais outre ces quelques points de pure rhétorique, le manifeste met en avant les priorités de Viktor Orban et témoigne d’une vision claire de l’Europe. 

Les partis qui ont rejoint cette formation politique s’accordent sur plusieurs points : conserver le droit de veto des États au sein du Conseil ; refuser tout nouveau transfert de compétences des États vers l’UE ; exclure la mise en œuvre d’une politique étrangère commune ; ne plus soutenir l’Ukraine militairement ; défendre une immigration beaucoup plus contrôlée ; promouvoir les valeurs de la famille « traditionnelle » et l’héritage « gréco romain et judéo-chrétien ». En sommes, « Patriotes pour l’Europe »promeut une définition restrictive du concept d’Europe des Nations, en faisant la part belle à l’intergouvernemental au détriment du communautaire. 

Enfin, les Patriotes ne cachent pas leur proximité avec la Russie. La Hongrie s’est toujours abstenue de voter les sanctions et l’aide financière ou militaire à l’Ukraine. Le FPÖ autrichien, pour en citer un autre, a vivement dénoncé les sanctions européennes à l’encontre de Moscou. Seul le RN français, à travers la voix de Jordan Bardella, a pour l’instant tenu un discours de soutien à l’Ukraine, dans un objectif de normalisation sur le plan national. En rejoignant les Patriotes, le RN court donc le risque de s’afficher et de défendre un programme commun avec des partis politiques européens ouvertement pro-russes.

Un contexte sécuritaire sous tension

La montée en puissance de la Hongrie de Viktor Orban ne soulèverait pas d’inquiétude majeure si les deux grandes puissances européennes n’étaient pas affaiblies. 

La France bien sur qui entre dans une période d’incertitude et d’instabilité politique, mais aussi l’Allemagne puisque la coalition du Chancelier Olaf Scholz a été largement battue aux élections européennes et que l’AFD (l’extrême droite) pourrait s’imposer dans plusieurs Länder de l’Est aux élections régionales de septembre. Le couple franco-allemand est donc pour l’instant en difficulté et peu en mesure d’impulser de véritables changements en Europe, alors que c’est en ce moment même que se discute le programme de la Commission des 5 prochaines années et la répartition des différents portefeuilles.    

Il n’aura échappé à personne que le contexte sécuritaire est aujourd’hui sous tension. La Russie progresse en Ukraine et le Sommet de l’OTAN qui vient de s’achever ne permet pas d’entrevoir une issue rapide, favorable aux Ukrainiens, en dépit de l’aide financière et militaire renouvelée. Tous sont suspendus aux résultats des élections américaines de novembre. Les Européens craignent, entre autres, que les États-Unis reprennent leur trajectoire stratégique vers l’Indopacifique, au détriment de l’Europe de l’Est. La présence du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie et de la Nouvelle Zélande au Sommet de l’OTAN témoigne de l’imminence de ce virage stratégique. 

Enfin, la Chine a, une nouvelle fois, réalisé une démonstration de force en organisant des exercices militaires conjoints en Biélorussie, en marge de la réunion de l’Alliance Atlantique. En mars dernier, elle avait également organisé des exercices militaires dans le Golfe d’Oman avec la Russie et… l’Iran. Provocation ou mise en garde ? Le rapprochement Sino-Russe n’est en tous les cas plus une simple hypothèse.   

Dans ce contexte sous haute tension, il y a néanmoins quelques bonnes nouvelles. La première d’entre elles, c’est la réussite du lancement de la fusée Ariane 6 (après plusieurs années de retard). L’Europe retrouve le chemin de la puissance spatiale et il faut s’en réjouir ! Autre avancée : les Allemands, en dépit de leur grande dépendance commerciale vis-à-vis de la Chine, ont décidé le 11 juillet d’interdire les composants chinois de l’ensemble de son réseau mobile pour des raisons de sécurité. Enfin, en matière de défense et de protection des frontières à l’Est, les pays de l’OTAN se sont accordés sur plusieurs points essentiels : une nouvelle stratégie commune d’industrie de défense, ainsi qu’un nouveau modèle de force qui prévoit de mobiliser 300 000 soldats en 30 jours. La Pologne a également prévu d’augmenter ses effectifs militaires à sa frontière pour passer de 6 000 soldats à 17 000. Enfin, l’Allemagne devrait envoyer en Lituanie en 2025 une brigade de 4 500 hommes. 

Les Européens ont pris conscience qu’ils étaient entrés dans une nouvelle ère de conflictualité. Mais le nerf de la guerre reste les finances. Or, aujourd’hui, de nombreux pays européens dont la France sont sous le coup d’une procédure de déficit budgétaire excessif lancée par la Commission. Si aucune sanction n’est prévue et qu’il n’y aura pas de conséquences à court terme, cela envoie néanmoins le message que les économies européennes ne sont pas encore suffisamment résilientes pour faire face aux défis qui arrivent : réindustrialisation, augmentation des capacités de production, notamment dans le domaine de la défense, investissements massifs dans la transition écologique, etc. 

Définir une stratégie globale de puissance et de protection constitue un impératif historique pour les Européens. Gageons qu’ils y parviennent rapidement car le monde ne nous attendra pas.


[1] Note n°25, Décryptage des élections européennes 2024, par Joséphine Staron, publiée le 13 juin 2024.

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