« L’immigration en Europe : vers de nouvelles solidarités » – Note de Synopia n°2 – Décembre 2018

Note de Synopia n°2 – décembre 2018 L’IMMIGRATION EN EUROPE : VERS DE NOUVELLES SOLIDARITES Téléchargez la note en format pdf via ce lien. A quelques mois des élections européennes, la question de la gestion des flux migratoires ne manquera pas de se poser. Toutefois, il y a fort à parier que les débats autour…

Thème de réflexion :

Note de Synopia n°2 – décembre 2018

L’IMMIGRATION EN EUROPE :

VERS DE NOUVELLES SOLIDARITES

Téléchargez la note en format pdf via ce lien.

A quelques mois des élections européennes, la question de la gestion des flux migratoires ne manquera pas de se poser. Toutefois, il y a fort à parier que les débats autour de cette question cruciale pour l’avenir de l’Europe seront enflammés et risqueront de manquer l’objectif premier : trouver une solution commune et durable au défi des migrations de masse.

Un changement de paradigme s’impose et exige, en premier lieu, de sortir du déni : quelle que soit l’évolution du phénomène migratoire, qui sera

plus ou moins important selon les périodes et les contextes socio-politiques, il ne s’arrêtera pas. L’Europe représentera encore longtemps une terre d’accueil pour des personnes auxquelles leur pays d’origine ne propose aucun avenir et qui n’ont d’autre espoir que de fuir vers des terres supposées meilleures. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le continent africain passera de 1,3 milliards d’habitants à 2 milliards en 2050, et 4 milliards en 2100.

Par ailleurs, la législation qui encadre les mouvements migratoires est née dans une période où l’immigration recouvrait une toute autre réalité. Par exemple, les destinataires premiers du droit d’asile étaient surtout des opposants politiques originaires de pays de l’Est de l’Europe (en majorité des intellectuels comme Chagall, Ionesco, Cioran, Brancusi, Picasso, Kundera, etc.). Aujourd’hui, la nature de l’immigration a changé en profondeur et les législations nationales et européennes sont devenues, pour partie, obsolètes.

Enfin, la création de l’espace Schengen et la disparition progressive des frontières à l’intérieur de l’Union européenne ont renforcé la nécessité de trouver des solutions communes à des problèmes transfrontaliers. Si l’UE est chargée par les traités de la gestion des flux migratoires (par exemple la protection des frontières extérieures ou l’administration des centres de premier accueil), la majeure partie des dispositifs de gestion et d’accueil des migrants reste encore du domaine de compétence des États membres. Or, la question migratoire est une question internationale par nature : elle concerne les pays de départ, les pays de premier accueil, mais aussi les pays de choix des migrants pour leur destination finale. Une solution durable ne peut être trouvée qu’à travers les processus de négociation internationale.

Toutefois, le rejet de la proposition de la Commission européenne des quotas a révélé une fois encore les différences d’appréciation profondes qui existent entre les États européens et les limites de l’approche par consensus. Dans les faits, les différences de situation entre les États européens sont nombreuses.

  • Le premier clivage est démographique : les pays européens dont la démographie décline (comme l’Allemagne et les pays d’Europe du nord) ont eu tendance à anticiper leurs besoins en termes de main d’œuvre, contrairement à d’autres pays dont l’accroissement naturel de la population est suffisant.
  • Le second clivage dépend de la situation de l’emploi : les pays dans lesquels le marché de l’emploi est tendu sont davantage ouverts à l’immigration, tandis que les autres préfèrent favoriser le plein emploi avant de recourir à l’immigration.
  • Le troisième clivage concerne l’origine et la nature de l’immigration : les pays du sud de l’Europe et les anciennes grandes puissances coloniales comme la France, font surtout face à une immigration africaine. L’immigration dans les pays du Nord et de l’Est de l’Europe provient davantage de l’ex-URSS, des ex-démocraties populaires (Roumanie, Yougoslavie, Albanie), et de la Turquie.
  • Le quatrième clivage se situe au niveau des sensibilités nationales : l’Europe constitue une mosaïque d’histoires, de cultures et de représentations nationales souvent différentes, parfois opposées, notamment en ce qui concerne le rapport à l’immigration.
  • Le cinquième clivage concerne les traditions juridiques : chaque État européen possède un corpus législatif et juridique solidement ancré dans les traditions nationales et qu’il est difficile de modifier (bien que la Cour de Justice de l’Union européenne travaille à homogénéiser les législations).

Les clivages énumérés ci-dessus sont surmontables à condition que les États et les institutions européennes acceptent de considérer les migrants comme une ressource humaine qui peut être mobilisée pour créer de la richesse et du développement. L’existence de l’Union européenne et de ses institutions constitue un avantage certain pour trouver des solutions communes, notamment en créant un véritable espace de solidarité en matière de migration et d’asile, réunissant les pays qui se seraient entendus sur une politique d’immigration commune, et dont le socle pourrait être la mise en place d’un programme quadripartite de migration circulaire maitrisée, piloté par l’Union européenne.

1. Un programme quadripartite de migration circulaire maitrisée

Les migrations internationales devraient désormais être pensées sous l’angle de la gestion des ressources humaines et organisées en lien avec le développement des pays d’origine. Cette approche est soutenue par la France, comme le met en avant le Plan d’Action 2018-2022 présenté conjointement par le MAE et l’AFD, lorsqu’il propose d’intégrer la dimension migratoire aux politiques de développement.

Chaque État européen pourrait, en fonction de ses besoins et de ses liens avec les pays de départ, proposer des deals migratoires sous la forme de contrats quadripartites entre le migrant, une entreprise ou une administration du pays d’accueil, les autorités du pays d’accueil et celles du pays d’origine. Ces contrats, qui n’ouvriraient pas le droit au regroupement familial, auraient une durée limitée (d’un à cinq ans) et fonctionneraient sur le modèle de la réciprocité: gagnant-gagnant. Au-delà d’une politique migratoire classique, il faut considérer ce dispositif comme la première pierre d’une politique de la mobilité négociée et maitrisée.

De façon concrète, le programme proposé permettrait au pays d’accueil de donner au migrant une formation et un emploi afin qu’à l’issue de la durée fixée, il retourne dans son pays d’origine avec un savoir-faire. Les pays de départ s’engageraient, quant à eux, à délivrer les documents de voyage nécessaires, à réadmettre le migrant à l’issue de son programme de mobilité-formation, et à faciliter sa réinsertion. Afin de proposer des formations qui répondent aux besoins respectifs des pays d’accueil et d’origine, mais aussi à ceux du migrant,les Chambres de commerce et d’industrie, et les Chambres de Métiers pourraient être mobilisées, ainsi que les organisations patronales, le milieu associatif et les administrations.

Ces deals migratoires présenteraient une réelle opportunité pour l’ensemble des parties prenantes, car il s’agit bien de contribuer au développement des pays d’origine en formant leurs ressortissants, tout en satisfaisant un besoin de main d’œuvre dans le pays d’accueil. Les États européens maîtriseront d’autant mieux les flux s’ils savent exprimer avec précision et à l’avance leurs besoins.

2. Le rôle de l’Union européenne renforcé

Pour être efficaces, les deals migratoires qui lient migrations consenties et développement des pays d’origine, devront s’appuyer sur un espace européen de solidarité en matière d’application des politiques migratoires (notamment les rapprochements transfrontaliers des services compétents) et du droit d’asile. Un tel espace créé à l’intérieur du territoire Schengen se présenterait comme une zone d’immigration contrôlée (ou « maîtrisée »), c’est à dire avec une immigration irrégulière fortement réduite et un octroi de l’asile restreint aux réfugiés politiques et humanitaires.

Depuis le début du 21ème siècle, les Européens ont tenté une approche convergente du droit d’asile avec, en 2003, la création de normes minimales pour l’accueil des réfugiés, en 2008, le premier plan d’action en matière d’asile, puis, en 2013, l’adoption du règlement Dublin III. Cependant, les versions successives du Régime d’Asile Européens Communs (RAEC) s’en tiennent aux aspects pratiques (formalités, droits des réfugiés), et non aux conditions de l’accueil et de l’intégration.

  • De l’obligation à l’incitation

Pour éviter une disparition de l’espace Schengen, plus que jamais menacé, la constitution d’un nouvel ensemble de pays européens solidaires dans l’accueil des migrants et l’application du droit d’asile devrait être mis sur pied. Un premier cercle constitué de l’Allemagne, de la France, de l’Espagne, du Portugal et des pays du Benelux aurait des chances d’aboutir, dans des délais raisonnables, à la création de cette zone européenne d’immigration contrôlée.

Même si les deals migratoires doivent être conclus par chacun des pays membres de l’UE, il devrait revenir à l’Union européenne de répartir les réfugiés entre les États. Si la méthode des quotas a révélé ses limites et provoqué beaucoup de crispations, la Commission européenne gagnerait à proposer une nouvelle méthode de répartition, cette fois basée sur un mode incitatif (aides, contreparties, etc.). Par exemple, il serait possible de conditionner une partie des fonds alloués par le Fonds européen de développement régional (FEDER) à l’accueil et l’intégration des migrants et réfugiés.

  • De l’aide au développement au partenariat économique

L’inefficacité des politiques d’aide au développement en provenance des pays du Nord vers ceux du Sud est souvent pointée du doigt, à juste titre. En effet, dans de nombreux pays en développement, l’absence de structures politiques et associatives au niveau local, ainsi que le niveau élevé de corruption, ne permettent pas aux fonds alloués de réaliser leurs objectifs. Or, pour que les deals migratoires fonctionnent, les pays d’origine doivent être impliqués au même titre que les autres acteurs, si ce n’est plus encore, car le migrant, dans le cadre des programmes mobilité-formation, a vocation à revenir dans son pays. Dès lors, l’Europe doit s’assurer que les compétences acquises par le migrant dans le pays d’accueil trouveront une application concrète et utile dans son pays d’origine.

Parallèlement aux deals migratoires, et pour établir un véritable partenariat économique indispensable à leur mise en œuvre, l’Union européenne pourrait, par exemple, renégocier les accords commerciaux afin de rendre les marchés européens plus accessibles aux produits des pays de l’ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), et sur le principe de la réciprocité, exiger que le développement de ces pays partenaires ouvrent de nouveaux marchés aux produits et services européens. Par ailleurs, un tel partenariat offrirait un cadre contractuel permettant de surmonter les problèmes de corruption de certains États et du détournement des aides au développement qui leur sont allouées.

3. Des mesures d’accompagnement indispensables à la réussite de ces politiques

L’efficacité d’un tel programme de gestion des migrations nécessite que l’UE parvienne à réduire l’immigration irrégulière. Dès lors, il importe de négocier des mesures complémentaires avec les États de départ, qui permettraient la « mise sous contrôle » (au sens du management de process) des mouvements migratoires.

A titre d’exemple, voici quelques mesures envisageables :

  • Renforcer la collaboration entre les services des pays de départ et les services européens visant à démanteler les filières de passeurs, véritables organisations criminelles vivant de la détresse humaine.
  • Conclure avec les pays d’origine des accords de réadmission des ressortissants en situation irrégulière en Europe.
  • Créer une aide de l’UE à l’établissement dans les pays d’origine d’un état-civil moderne et infalsifiable, permettant aux autorités de chaque pays d’identifier de façon rapide l’identité des individus.
  • Proposer une aide de l’UE aux pays africains pour aller vers une réelle maitrise de leur démographie (programme d’éducation des jeunes filles, planning familial, communication adaptée, etc.), condition nécessaire à un développement rapide et soutenable.

De telles propositions visent à engager les premiers pas indispensables vers la construction d’un espace de solidarité entre les pays d’Europe. Fort de règles communes généreuses mais réalistes, dynamisé par une politique de développement, basé sur des partenariats économiques et prenant en compte la dimension humaine, ce nouvel espace européen devrait susciter l’adhésion et constituer le socle d’une Europe nouvelle. Ainsi, une nouvelle approche de la crise migratoire par la ressource humaine, le contrôle des frontières européennes et l’application d’une politique de mobilité-formation, permettraient de transformer une menace en opportunité, et de solidariser les pays européens autour d’un défi commun auquel, tôt au tard, ils devront faire face. Car, comme l’a écrit Leonard de Vinci, « ne pas prévoir, c’est déjà gémir ».

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