Politique européenne de l’énergie, article Les Echos du 2 mai 2014

Par Eric Le Boucher, éditorialiste aux « Echos »

L’Europe aura bientôt perdu son autonomie dans l’énergie. La politique énergétique du Vieux Continent en est en grande partie responsable.

La politique énergétique européenne n’est pas responsable de tout ce qui brûle la tête de Vladimir Poutine, ni de tout ce qui entrave le développement du groupe français. Mais elle en a une grande part. Le tsar russe comme le repreneur probable d’Alstom, l’américain General Electric, profitent de l’incohérence et de la désunion. Alstom est dépecé, mais, si le cours actuel se poursuit, le même sort menace tous les autres industriels de l’énergie en Europe, et la mort atteindra aussi quelques-uns des opérateurs géants comme GDF Suez, E.On, RWE ou EDF. L’Europe a perdu son autonomie dans l’industrie des télécoms, naguère un point fort. Il en sera de même demain dans l’énergie. Hypocrisies écologistes, idéologie consumériste, égoïsmes nationaux, tout concourt à accélérer la spirale du vide.

Nous sommes chez Père Ubu, comme le démontre implacablement Claude Mandil, ancien directeur de l’énergie en France et directeur de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) (*). Prenez un jour normal en Europe, dimanche 1er janvier 2012, par exemple. La consommation d’énergie est faible en ce jour de repos. Et il y a du vent qui fait tourner les éoliennes. Lundi matin, la vie des usines reprend et, manque de chance, le vent est complètement tombé. Il faut vite pousser les centrales à charbon et relancer des centrales au gaz, les plus souples. Mais, à midi, ça lui chante, le vent malicieux revient. On coupe les centrales au gaz, mais celles au charbon ne s’éteignent pas comme on ferme un robinet, elles prennent un peu de temps. Conséquence, l’Europe produit ce jour-là trop d’électricité, le prix sur les marchés spot devient négatif. Les opérateurs enregistrent une journée de perte.

Que ne ferment-ils ces centrales au charbon, qui sont en plus hyperpolluantes ? Que nenni. Car les Etats-Unis, qui produisent des gaz de schiste à profusion, exportent en Europe leur charbon excédentaire à vil prix. Résultat : les opérateurs ferment plutôt les centrales au gaz, qui sont deux fois moins polluantes et nocives pour le climat, mais qui sont devenues trop chères. Les Allemands, qui arrêtent leur nucléaire et poussent les énergies renouvelables, en ont fermé 28, dont de très modernes et très propres. Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, a déprécié de 15 milliards d’euros la valeur de ses centrales thermiques. Alstom ne verra pas de sitôt le marché européen refleurir.

Que ne débranche-t-on pas les éoliennes lors des surproductions ? Impossible ; les gouvernements ont accordé à leurs propriétaires des garanties de reprise dans les réseaux. Comme le vent va et vient et que le soleil va jouer la nuit de l’autre côté de la terre, les opérateurs doivent maintenir une double capacité, de renouvelables et de centrales classiques, désormais de plus en plus au charbon, comme on l’a dit. Le choix des renouvelables s’est transformé en plus de charbon : la volonté de dépolluer a conduit à son exact inverse.

Ce n’est pas fini. Car, pour inciter à investir dans les centrales renouvelables, les gouvernements ont accordé aussi à leurs fournisseurs des prix garantis d’achat. Jusqu’à 400 euros le mégawattheure, en France, coût financé par une taxe (CSPE) sur les factures des consommateurs. Nous étions en 2007, lors du Grenelle de l’environnement, et on parlait, à l’époque, du climat et de la pénurie planétaire à venir d’hydrocarbures. Aujourd’hui, ces vues sont oubliées : le climat, personne n’en parle plus et le pétrole est revenu comme à profusion. A consommation constante, l’AIE estime à 178 ans les réserves de pétrole, à 233 ans celles de gaz et à trente siècles celles de charbon… Conséquence : le prix de l’électricité est tombé à 50 euros le mégawattheure. Les renouvelables causent la ruine. Certains pays comme l’Espagne reviennent sur les garanties données, les investisseurs dans les renouvelables sont alors eux-mêmes floués, des milliers d’emplois supprimés.

L’Europe, pleine de morale écologiste, voulait montrer l’exemple climatique. Elle a décidé du « 3 fois 20 » à l’horizon 2020, réduction de 20 % des gaz à effet de serre, production de 20 % par les renouvelables et réduction de 20 % des consommations. Le bilan est un terrible désastre, « un triple échec », relève Gérard Mestrallet : sur la compétitivité des opérateurs, la sécurité d’approvisionnement et le climat. Les émissions de CO2 par les opérateurs électriques réaugmentent. Les prix ont l’inédit et funeste paradoxe de baisser chez les producteurs et de monter chez les consommateurs à cause des taxes ! Le tout aboutissant à un manque d’investissement, qui fragilise la production future et le transport.

Ajoutons que les Chinois ont capté l’essentiel de l’industrie des panneaux solaires : les emplois verts espérés sont asiatiques. Et que l’interdiction faite dans beaucoup de pays européens d’exploiter le gaz de schiste crée un gap de prix (trois fois inférieur outre-Atlantique) qui met en péril toute l’industrie pétrochimique européenne au profit de sa concurrente américaine.

« Ce constat affligeant n’est pas encore admis par les autorités politiques », note Claude Mandil. L’Ukraine et Alstom vont-ils leur ouvrir les yeux ? Non pour renoncer à la transition énergétique, mais pour que l’Europe soit en avance dans le bon sens, un modèle et non ce qu’elle est devenue, un caricatural contre-modèle. L’Allemagne, dans l’énergie, s’est fourvoyée, elle devrait en cette matière humblement l’admettre et accepter des politiques coopératives. La France doit se réjouir d’avoir dans les schistes de son sous-sol 50 % de sa consommation de gaz pour trente ans. La transition européenne vers des renouvelables inefficaces et hors de prix doit ralentir et devenir moins idéologique.

Eric Le Boucher

(*) Une politique européenne de l’énergie. Constats et propositions. Claude Mandil et alii. www.synopia.fr

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