Depuis une génération, la France a choisi de ne pas réduire, ou très peu, la portée de ses « ambitions stratégiques ». Mais dans le même temps, ses dirigeants politiques ont amputé sévèrement, et de façon inconsidérée, le volume des capacités de sa puissance militaire. Il y a là un paradoxe qui vient de nous exploser à la figure et qui révèle le vide sidéral de la pensée stratégique de nombreux responsables politiques, de droite comme de gauche.
Accordant une attention croissante à la satisfaction de besoins économiques et sociaux perçus comme prioritaires, nos gouvernants se sont bercés d’une illusion mutualiste à l’échelle européenne et ont crû pouvoir relâcher l’effort national à consentir en matière de défense et de sécurité. La France s’est progressivement affaiblie, et dans le même temps, pour de multiples raisons, sa cohésion nationale s’est délitée ; elle est donc devenue une proie.
La lucidité aurait dû imposer d’écarter tout angélisme, ou tout déni des réalités dérangeantes, et de prendre en compte la nature même des relations internationales, fondée sur les rapports de forces et d’intérêts. Faut-il aussi savoir choisir son camp sans cultiver une dangereuse ambiguïté, ce qui implique en premier lieu de ne pas se tromper d’ennemi, et de ne pas oublier non plus que toute guerre finit par être une lutte pour un territoire. Pour avoir écarté de l’équation stratégique ces exigences réalistes, la France paye aujourd’hui le prix de son égarement avec le sang de son peuple. De fait, l’état des forces conventionnelles françaises interdit à notre pays toute intervention terrestre pour assurer la destruction effective de son ennemi déclaré, par l’action combinée de ses trois armées. Une telle action serait pourtant indispensable pour y parvenir dans le cadre d’une large coalition internationale.
A moyen terme, il lui faut donc repenser la nature, le volume, et la composition de ses forces armées en partant de l’ennemi réel – et non plus supposé – auquel il se trouve à présent confronté, pour une décennie au moins, et du rôle mondial qu’il entend encore exercer sur le plan militaire. Mais à court terme, la France doit d’abord se ressaisir en stoppant la spirale déflationniste de ses capacités actuelles, qui aura dangereusement exposé la vie de ses citoyens.
Dans ces conditions, l’urgence n’est pas à imaginer telle ou telle solution nouvelle – du type : garde nationale – dont la pertinence reste à établir, pas plus qu’à légiférer laborieusement sur certains thèmes récurrents depuis la mise en extinction du service national. Il serait inutile et contre-productif de diluer ainsi les missions institutionnelles des Armées et de la Gendarmerie, et de disperser corrélativement les ressources nécessaires pour assurer une protection efficace de la population française.
Il importe d’abord de refonder l’esprit de défense et de résistance de nos compatriotes par tous les moyens utiles, tels que la réserve opérationnelle dont il faut accélérer la montée en puissance et la mise en œuvre. Pour retrouver davantage de cohésion nationale, le développement du service civique peut aussi participer au processus d’une meilleure implication citoyenne au service de notre pays.
Dans le même temps, il convient de donner à nos Armées les moyens de déployer l’ensemble de leurs capacités de défense de notre territoire, sans pour autant confondre leurs missions avec celles de la police. Ceci implique de réviser au plus vite le cadre juridique et réglementaire permanent qui limite leur action, de préciser leur rôle de protection des personnes et des installations, de procéder à la remontée en puissance de leurs effectifs et de leurs équipements, et d’assurer une plus grande autonomie d’action des responsables militaires qui sont chargés de conduire les opérations.
Pour être efficace, l’ensemble de ce dispositif militaire renforcé, et les nouvelles règles de fonctionnement qui l’accompagneront, devront s’inscrire dans le temps long – car personne ne peut prédire la durée de cette ère d’instabilité et de menaces multiformes –, et être pensés de façon à ne pas risquer d’affaiblir les capacités d’intervention extérieure de nos Armées, ni de les voir aspirées dans des tâches de sécurité ou de maintien de l’ordre.
C’est à ces conditions que la France parviendra à relever sa garde. A elle de le décider.