« Je ne veux plus que l’on me plaigne… » par l’amiral (2S) François Dupont

Il y a quelques jours, dans un dîner en ville…

Le civil : « alors mon pauvre ami votre budget va encore être amputé ? »

Le militaire : « eh oui, une fois encore et je ne sais pas comment nous allons faire ! »

Un autre militaire : « parce que c’est sûr, maintenant, nous sommes à l’os ! »

Une femme de militaire : « et le moral dans les armées n’est pas bon, un ami de ma fille qui est lieutenant au 53 ème hussard lui disait il y a peu… »

Un autre civil : « et cette mission en Centrafrique est-elle bien légitime ? N’est-elle pas dangereuse ? »

Eh bien je ne suis pas d’accord ! Et je me suis enflammé entre deux cacahuètes, surprenant sans doute ces civils qui pensaient me (nous) faire plaisir !

Je ne suis pas d’accord car je ne veux pas que l’on me plaigne. Au fond j’ai choisi un métier, celui de la mer, une mer qui n’entendra jamais mes plaintes autant que la guerre n’entendra jamais les plaintes du soldat. Et la mer attend de moi que je me batte non pas en exigeant chaque jour un vent de force 1 (légère brise) et une mer de force 2 (quelques rides ressemblant à des écailles de poisson, mais sans aucune écume…) mais en sachant prendre la mesure de l’environnement afin de manœuvrer au plus fin. Or, qui prend le temps de se plaindre néglige celui de la manœuvre, pire, peut être tenté de s’enfermer dans la seule logique de moyens : je n’ai pas ce que je demande, je ne bouge plus. Curieuse cette attitude lorsque l’on sait que le soldat français est l’un des plus pragmatiques et des plus inventifs qui soit sur le terrain ! Une fois en état-major, aurait-on perdu cette capacité d’inventer ?  Pour ne prendre que deux exemples, pourquoi n’envisager rien d’autre que la possession patrimoniale ? Pourquoi ne pas prolonger cette formidable manœuvre ressources humaines qui nous a permis, dans la fin des années 90 de penser différemment pour pallier la suppression des dizaines de milliers de postes tenus par les appelés ?

Je ne suis pas d’accord non plus lorsqu’on me dit que « mes campagnes » au Mali, en Afghanistan ou en Centrafrique, au mieux durent trop longtemps au pire sont illégitimes ou inefficaces. Au XXIème siècle les opérations ne sont plus, ni en Champagne ni sur le Rhin, elles sont loin de chez nous. En Afrique, en Asie, au Moyen-Orient où se jouent, à court terme, au travers de la stabilité des Etats, la sauvegarde de vies humaines et à long terme notre propre stabilité.  Et, notre histoire autant que la qualité de nos armées, toutes armes confondues, nous permettent de nous risquer sur ces théâtres. Y compris et même surtout d’ailleurs quand la situation est politiquement complexe sur le terrain. Mais, nous les militaires savons bien que tout cela prend du temps, que nous ne pouvons faire qu’une partie du chemin et que la sortie du conflit est toujours de nature politico-économique.

Et ces opérations sont dangereuses. Eh oui ! Mais c’est notre métier. A un journaliste de Rolland Garros qui lui demandait s’il n’avait pas été gêné au cours de son match perdu par un vent un peu fort (sans doute de force 3 … petite brise), Federer répondit que son métier était précisément de jouer au tennis, pas de jouer au tennis par vent de force 0 (calme) !

Et je ne veux pas non plus que l’on me demande tous les jours si j’ai bon moral car c’est le meilleur moyen de penser finalement que je n’ai pas bon moral et que c’est normal parce que les moyens consacrés aux armées ne sont plus ce qu’ils étaient. Car c’est mal me considérer que d’oublier que je suis d’abord un citoyen et qu’à ce titre je sais aussi que l’Education nationale, que la Santé, que la Justice ont besoin de moyens. Et que ces ministères seraient bien heureux d’avoir comme celui de la Défense des livres blancs et des lois de programmation.

Pour paraphraser Kennedy, aujourd’hui pour le militaire autant que pour le magistrat ou le professeur la question n’est pas tant : « qu’est-ce que l’Etat peut faire pour moi ? » que : « qu’est-ce que, au poste que l’Etat m’a confié, je peux faire pour cet Etat malade d’avoir trop à supporter ? » Et à l’âge que j’ai, mes convives des dîners en ville sont justement ceux qui peuvent répondre à cette exigence avec un poids certain.Il n’est bien évidemment pas question de nier ici les tensions des armées françaises, notamment sur le plan budgétaire. A ce sujet, l’union sacrée des chefs d’état-major qui ont tout récemment menacé de démissionner collectivement si la loi de programmation militaire n’était pas respectée par l’exécutif mérite d’être saluée. Mais les résultats de cette action ne seront à la hauteur des enjeux que si chaque échelon de la hiérarchie se sent aussi concerné par ces difficultés et agit en conséquence pour que l’effet de chaque euro gagné soit décuplé.

Le marin qui voit se lever le soleil sur une mer presqu’apaisée après avoir souffert d’un vent force 7 (grand vent frais) pendant toute la nuit sait combien ce moment est unique. Il n’a rien pu faire pour calmer le vent mais il a su tenir son bateau à la vague.

pdf-iconJe ne veux plus que l’on me plaigne…

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