« Nord Stream 2 et l’Europe : Le gaz russe menace-t-il la cohésion européenne ? », par Jérome Ferrier

L’opposition entre l’Union européenne et la Russie sur le doublement du gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne à travers la mer Baltique est en train de se durcir entre d’un côté la société d’état Gazprom qui cherche à conforter ses exportations de gaz vers l’Europe en contournant l’Ukraine et la Biélorussie, et de l’autre une Europe divisée sur le choix de la stratégie à adopter alors même que les USA cherchent à promouvoir leurs exportations de Gaz Naturel Liquéfié (GNL)

1/ Analyse de la position russe

La Russie cherche à augmenter ses exportations gazières vers l’Europe.

Elles se sont élevées en 2017 à 160 Gm3 représentant 1/4 de sa production.

Durant plus de trente ans, le gaz russe a approvisionné l’Europe en transitant par l’Ukraine et à un degré moindre par la Biélorussie. L’indépendance de ces deux pays a amené la Russie dans les années 90 à rechercher d’autres routes, notamment maritimes, pour accroître la sécurisation et la diversification de ces livraisons.

La première s’est concrétisée par la réalisation de Nord Stream (NS1) en mer Baltique. La réalisation de NS1 reliant Vyborg au nord de Saint Petersbourg à Greifswald au nord-est de l’Allemagne avec quatre partenaires étrangers, les allemands E-ON (devenue Uniper) et Wintershall (filiale de BASF), la hollandaise Gasunie et le français GDFSuez (devenue Engie), a été inaugurée en 2012. Alors que la capacité de NS1 (55Gm3/an) n’est pas encore saturée, Gazprom a lancé dès 2016 Nord Stream 2 (NS2), un gazoduc d’une capacité identique à NS1, avec cinq partenaires : le français Engie, l’anglo-néerlandais Shell, l’autrichien OMV, et les allemands Uniper et Wintershall.

La seconde initiative qui n’a pas abouti consistait à poser un gazoduc en Mer Noire, projet lancé en 2006 et dénommé initialement South Stream, qui devait atteindre la Bulgarie avec une capacité annuelle de 63 Gm3et porté par Gazprom et trois partenaires, l’italien ENI, le français EDF et l’allemand Wintershall. Compte tenu des événements survenus en 2014, le projet fut abandonné devant l’impossibilité de trouver un accord sur les conditions du transit de cet approvisionnement dans les pays de l’UE.

2/ Les pays de l’UE sont divisés sur la position à adopter

D’un côté les pays plutôt en faveur de la construction du NS2 ; on y trouve l’Allemagne engagée depuis longtemps dans un partenariat énergétique avec la Russie et dont les importations annuelles russes représentent déjà 54Gm3sur un total consommé de 92Gm3, ainsi que l’Autriche et les Pays-Bas.

De l’autre les opposants à commencer par la Pologne et les pays d’Europe centrale notamment la Hongrie et la Slovaquie qui dépendent à 100 % du gaz russe et n’ont aucun accès à la mer pour des importations directes de GNL, contrairement à la Pologne.

Enfin deux pays qui ont une position plus neutre l’Italie et la France pour des raisons différentes. La France est moins dépendante en gaz russe que ses alliés européens, le gaz russe ne représentant que 20 % des importations françaises, la moyenne européenne étant à 40 %. L’Italie est davantage dépendante du gaz russe (37 %) que la France mais souhaiterait diversifier ses sources d’importations de gaz en provenance d’Asie centrale.

3/ L’Union européenne doit-elle s’opposer à la construction du gazoduc sous-marin Nord Stream 2 et en a-t-elle les moyens ?

L’UE considère que NS2 n’est pas nécessaire aujourd’hui à la satisfaction des besoins européens pour les prochaines années, et qu’il constitue une menace sérieuse à la réduction progressive des transits à travers l’Ukraine. En effet, si les russes parvenaient à cesser tout transit via l’Ukraine, ceci constituerait une baisse significative des ressources gazières ukrainiennes et un risque pour l’Europe d’avoir à se substituer à la Russie pour approvisionner l’Ukraine dans un souci de solidarité notamment en hiver, ce qui fut le cas en 2017.

Une bonne politique énergétique consiste à bâtir des relations contractuelles de long terme et diversifier les sources et les conditions d’approvisionnement.

Ces relations existent depuis plus de quarante ans entre la Russie et les pays européens, mais elles ne doivent être ni exclusives ni excessivement majoritaires. Les importations progressives de GNL doivent contribuer à ce rééquilibrage, mais d’autres approvisionnements par gazoducs doivent être recherchés. Les réserves gazières d’Asie centrale notamment en Iran et au Turkménistan, voire à un degré moindre en Azerbaïdjan, devraient inciter l’UE à réactiver l’option de transit à travers la Turquie (TANAP) par une approche plus commerciale que politique. Enfin, les espoirs que soulèvent les réserves gazières mises en évidence en Méditerranée orientale notamment en Egypte, en Israël, à Chypre et demain au Liban pourraient constituer une solution complémentaire.

Soyons lucides. Le gaz russe reste une composante essentielle de la matrice énergétique européenne. Les relations de confiance construites depuis plus de trente ans entre l’exportateur russe et les acteurs européens historiques, dont Gaz de France fut longtemps l’un des piliers, ne devraient pas être déstabilisées par l’agitation politique actuelle. Affrontons avec sérénité les défis qui se dessinent en s’appuyant sur la diversité des acteurs notamment Novatek acteur privé russe de plus en plus présent sur la scène internationale gazière.

Par Jérome Ferrier, Président d’honneur de l’Union internationale du gaz, Membre du Conseil d’orientation de Synopia.

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