Le besoin impérieux d’une « bonne gouvernance » sature l’air du temps ; il s’exprime partout : lors des élections, dans des manifestations massives de rue, autrefois impensables, sur des enjeux sociétaux, au sein des entreprises où la loyauté comme l’espérance sombrent continument.
Le malaise ressenti par une grande partie de nos concitoyens, toutes tendances politiques confondues, n’est plus diffus. Il renvoie à une angoisse lourde et concrète : la conviction que leurs « représentants » n’en sont pas, qu’ils ne les écoutent plus, vivent en vase clos, coupés des réalités du monde et gérant pour leur compte un pays ou des structures de pouvoir dans un parfait mépris des devoirs de leur charge comme de leurs mandants. Ces gouvernants nient un réel qui les désavoue et refusent d’entendre la clameur qui monte, celle d’un peuple dont on veut faire le bonheur malgré lui, et qui s’enfonce jour après jour dans une crise essentiellement morale, une dépression profonde des forces vives du pays.
L’Europhilie béate de principe, la germanomanie compulsive qui nous conduit par exemple, pour « faire plus Länder », à redécouper absurdement nos territoires en niant histoire et mémoire ; le mépris des identités, des frontières, de l’amour du pays ; le dénigrement du travail, de l’argent, des valeurs politiques et sociales traditionnelles ; le dégoût prétendument progressiste mais surtout dogmatique et ethnocentrique de la technocratie au pouvoir pour les réalités qui structurent le monde et que nul eldorado fantasmé de « village global » bienheureux et prospère ne saurait nous faire oublier : tous ces leurres nourrissent une exaspération grandissante qui n’est pas « de classe » mais traverse toutes les couches sociales et mine dangereusement la cohésion nationale. De guerre lasse, cette révolte du bon sens finit par s’exprimer dans une adhésion dépitée aux discours extrêmes. C’est un désaveu cinglant et un appel déchirant de nos concitoyens au sursaut et à une réforme tous azimuts de la gouvernance de notre pays que ceux qui prétendent à l’honneur de gouverner la France doivent désormais entendre.
Mais de quoi consisterait une « bonne gouvernance » ? Selon nous, elle se résume en fait à une injection massive et tous azimuts de sens, de cohérence et de valeurs.
A l’échelle d’une entreprise, elle devrait permettre l’efficience collective optimale et un degré satisfaisant d’épanouissement individuel de ses membres, salariés de tous niveaux, patrons et actionnaires. Fuyant tout à la fois angélisme et cynisme, cet alliage performant peut exister si les dirigeants savent traduire un corpus de valeurs vivantes dans un projet entrepreneurial enthousiasmant. Pour entrainer l’adhésion, ce projet doit être « rentable » pour chacun à son niveau, limiter son sentiment d’objectivation et le rendre agent de « valeur ajoutée humaine », même (et surtout) dans un monde mercantile. Oxymore parfait diront les esprits chagrins. Certes, mais là se trouve pourtant la source de la loyauté et du dévouement à l’entreprise conçue comme acteur durable et responsable du développement collectif.
Pour un parti, c’est la résonnance entre le vécu concret des citoyens et la capacité de la structure politique à le traduire en orientations et propositions de modification du réel qui est source de toute légitimité, sans s’enliser dans la défense de corporatismes indécents. L’état du paysage politique français montre que nous en sommes malheureusement très loin et que le déni de démocratie n’est pas une méthode de gouvernement.
Pour l’Etat, la recherche de cet écho est plus vitale encore. L’exigence en est aussi évidente que difficile à satisfaire, tant il faut redonner corps à la démocratie, restaurer la confiance des citoyens envers leurs représentants et savoir incarner collectivement et quotidiennement la densité des aspirations de chacun en termes de valeurs collectives et individuelles. Il faut structurer et convaincre d’un projet ambitieux lucide, honnête, cohérent et réalisable, qui libère les énergies et rende supportable à chacun, quelle que soit sa position, la réalité du rapport de force global auquel il ne peut se soustraire. De la réussite d’une telle alchimie dépendra l’adhésion populaire à un projet politique et la résilience du peuple aux aléas du pilotage du paquebot national dans un océan infesté d’ennemis-partenaires prompts à l’embuscade. On peut sereinement essuyer des grains et remonter des vents contraires si l’on a un cap et qu’on le tient.
A l’échelle de l’Europe enfin, l’interminable et stérile balancement entre les logiques inconciliables de l’inter-gouvernementalité et du pouvoir supranational de la Commission a enfermé l’Union européenne dans une procrastination paralysante, ruiné sa légitimité populaire et défié la souveraineté des Etats membres. Or c’est précisément le besoin de souveraineté des Etats européens, petits ou grands, qui s’exprime tous azimuts et irrite les « grandes consciences » qui persistent à confondre progrès et indifférenciation, liberté et uniformité. C’est ce besoin que nos gouvernants doivent assumer, en refusant la dilution programmée de l’essence même des nations. Il faut pour cela résister à la fascination de la pensée comptable de court terme qui broie les réalités humaines au nom d’une rationalité budgétaire à très courte vue et cesser de confondre nationalisme et patriotisme. La démolition euphorique des derniers remparts de la souveraineté des Etats et la dévalorisation de l’amour des citoyens pour leurs vieux pays irréductibles les uns aux autres ne feront pas l’Europe. Elles la condamnent.
Dans cette entreprise d’abaissement et de dilution identitaire dont l’Europe sortira exsangue politiquement, la France n’est pas en reste. Et il n’est malheureusement de meilleure preuve de cette inconscience que l’impéritie nationale en matière de Défense. La menace politique permanente sur notre budget militaire en peau de chagrin, que le récent et salutaire sursaut de nos chefs militaires n’a fait qu’éloigner provisoirement, le mirage d’une « sanctuarisation » d’affichage d’un budget de la défense déjà notoirement insuffisant pour répondre au spectre actuel des menaces et des enjeux et des ambitions pourtant listées dans le dernier Livre blanc démontrent une inconséquence qui frise l’irresponsabilité.
20 ans de reformatage à la hache d’un outil militaire et industriel dont le monde entier nous envie pourtant encore l’efficience, au nom des « dividendes de la paix » puis de la contrainte financière n’ont d’ailleurs en rien servi à alléger notre dette nationale dont les seuls intérêts annuels, rappelons-le, représentent le double du budget annuel de la défense (passé de 5,44 % du PIB en 1961 à en 1,5% aujourd’hui et bientôt 1,3%). En revanche, ces sacrifices si (trop ?) docilement assumés par les Armées les précipitent aujourd’hui dans une diabolique quadrature du cercle. Des contrats opérationnels diminués de moitié par rapport au Livre blanc de 2008, des « recettes exceptionnelles » indispensables mais introuvables, des matériels en limite de vie et d’entretien, l’entrainement et la formation de nos troupes mis en péril à moyen terme, le dessaisissement silencieux des chefs d’armées pour ce qui concerne les ressources humaines, les matériels, les finances avec en filigrane le risque d’une perte progressive de leur autorité sur leurs troupes, la fragilisation des moteurs de commandement et de la cohésion interne de nos armées : notre outil de défense est en mauvais état. Poussées à faire toujours plus avec moins, à devoir choisir entre effectifs et matériels, nos forces s’exposent à voir leur crédibilité opérationnelle, donc leur légitimité politique ultime mises en causes, à la merci d’une crise un peu forte ou d’un sous-dimensionnement manifeste sur un théâtre donné comme en témoigne la délicate posture de Sangaris en Centrafrique. On aurait beau jeu alors de dire que « la France n’a plus les moyens de ses ambitions » et qu’elle doit renoncer à toute influence sérieuse sur les affaires du monde. Funeste « prophétie auto-réalisatrice » alors pourtant que jamais nos concitoyens n’ont eu plus besoin de forces armées compétentes et efficaces.
La liste est donc longue des abandons et des aveuglements malgré l’évidence d’une montée des périls et d’un réarmement mondial. Bref, sans même parler de vision ou d’horizon stratégique, on cherche une simple cohérence dans ce grand écart intenable entre les ambitions affichées et les moyens consentis. Quand on prétend en même temps contenir les djihadistes du Sahel, donner des leçons à la Russie, à la Syrie, à l’Iran, sans nuance ni modération, on a besoin d’avoir de sérieuses cartes militaires en main. On gagnerait infiniment plus, sur bien des théâtres de crise ou de conflit, à un rôle d’intermédiaire et de facilitateur qu’à un alignement hasardeux sur les positions américaines, surtout quand l’Amérique elle-même devient prudente et subtile. Mais même cette approche requiert de réels moyens de dissuasion, d’intimidation et d’action pour assoir notre influence légitime, nécessaire et opportune. Le politique a la responsabilité de répondre au premier devoir de l’Etat que constitue la défense interne et externe de ses citoyens.