Quand on regarde les grandes crises politiques passées, on se demande toujours pourquoi il a été aussi difficile de les résoudre, tant la solution apparait évidente, avec le recul historique.
Une des raisons tient probablement à la difficulté quasi insurmontable qu’ont les contemporains des crises à apporter des solutions innovantes à une question inédite, solutions qui reviendraient à remettre en cause toutes leurs grilles d’analyse, leurs convictions, et leurs discours. Ils sont en quelque sorte prisonniers de leurs paroles passées.
Pour prendre un exemple, la crise du milieu des années 1950, qui emporta la IVe République, tenait à deux problèmes à résoudre, sur lesquels les gouvernements successifs butaient. Il fallait d’une part « résoudre la question algérienne » et d’autre part donner plus d’efficacité aux institutions, donc changer de constitution. Or les deux ailes de la classe politique étaient prisonnières, chacune à leur façon, de leurs traditions, et elles étaient incapables de se dédire. Pour faire court, la droite était « Algérie française » et favorable à un régime capable de ramener l’ordre ; la gauche était plutôt favorable à « l’autodétermination », et tenait viscéralement au régime parlementaire. Le Général de Gaulle, sans a priori, et sans passé politique, alla vers l’indépendance de l’Algérie (la solution vers laquelle penchait la gauche, et que combattait la droite), et rédigea une constitution donnant le primat à l’exécutif et à son chef (principes que la droite voyait d’un bon œil, et que la gauche vomissait, y voyant les ferments d’une dictature).
Nous sommes aujourd’hui dans une situation similaire. Les deux grands problèmes qui inquiètent les Français, tous les sondages le disent, c’est leur « confort » ou niveau de vie (pouvoir d’achat, logement, sécurité, perspectives d’avenir) qu’ils voient se dégrader ; et c’est l’immigration, car ils souhaitent que les flux d’arrivée soient freinés et que l’assimilation des immigrés déjà présents soit mieux réalisée.
Or, la droite serait favorable à une politique qui maitrise davantage l’immigration et qui favorise l’intégration. Elle est en revanche très réticente à une redistribution plus forte des revenus de la richesse nationale.
A l’inverse, la gauche serait volontiers favorable à une politique de redistribution, qui fait partie de son corpus intellectuel (à condition, il ne faut pas exagérer, qu’on ne prenne pas un centime à la culture, ni aux professions du spectacle et de la presse…). En revanche, elle rejette avec la dernière énergie l’idée même de mettre sous contrôle l’immigration, idée considérée comme raciste et xénophobe par nature.
Ainsi, aussi bien la droite que la gauche sont incapables de répondre aux attentes de l’électorat.
Les Français ont cru trouver la martingale en élisant, il y a sept ans, un homme neuf, sans tradition et sans blocage intellectuel, qui promettait de faire la « révolution » (titre de son livre), de gouverner « autrement », et de porter « en même temps » les promesses de la droite et celles de la gauche. Las ! Au lieu de faire « et, et », les gouvernements de ce jeune président ont fait « ni, ni ». Ni redistribution, ni maîtrise de l’immigration.
Il ne faut pas dès lors s’étonner de l’effondrement des partis de droite et de gauche traditionnels (LR et PS), et, simultanément, du parti (LREM) qui prétendait en assurer le dépassement en changeant tout : la façon d’analyser les problèmes, les solutions préconisées, le personnel politique, et même la pratique de la vie publique. En fait, ce parti n’a pas changé grand-chose, si ce n’est les titulaires des sièges électifs.
Surtout, les deux principales questions sont restées pendantes. Il eût fallu s’y attaquer lors du premier quinquennat, alors que le nouveau pouvoir disposait d’une majorité importante. Dès 2022, il était trop tard. Pour gouverner, il lui aurait fallu s’allier soit avec la droite « raisonnable », soit avec la gauche « raisonnable ». Et donc se condamner à résoudre un des deux problèmes, et à oublier l’autre. En réalité, le choix de ne formaliser aucune alliance et de naviguer à vue n’a permis d’en résoudre aucun des deux.
Nous payons aujourd’hui le prix de cette pusillanimité et de cette procrastination. Et nous n’avons pas d’homme providentiel en vue. Il ne nous reste que des beaux parleurs qui, tel le joueur de flûte des légendes germaniques, attireront ceux qui les suivront et risquent bien de les conduire vers l’abîme.
Xavier d’Audregnies
Membre de Synopia