Journal des Futurs #125 – Tout seul on va plus vite, mais tout seul on va moins loin…

Emmanuel Macron aime se laisser comparer à Jupiter et ce n’est pas le moindre paradoxe de sa doctrine politique. En effet, tous les hellénistes rappelleront à ce président cultivé que le coup de génie de Zeus, qui lui a permis de rester dans la mémoire collective, a été de parvenir à la paix entre des Dieux éternellement en conflit avant l’exercice de son magister (guerre des Titans). Pour y parvenir, il appliqua un principe largement admis dans les régimes démocratiques : le partage des pouvoirs, la concertation. Zeus-Jupiter a réuni l’assentiment de ses coreligionnaires, en affirmant que chaque Dieu aurait son terrain de jeu dans lequel le premier de leur pair éviterait d’interférer. Vous conviendrez que s’arrête ici la comparaison entre notre solitaire Président de la République et le premier des Dieux de l’Olympe, inventeur d’une forme politique de coalition.

En ce qui concerne cette dissolution qui sidère les opinions publiques, avec plus ou moins d’âpreté selon qu’elle met à portée de main les cénacles du pouvoir ou les lourdeurs administratives promises aux licenciés du 9 juin et du 7 juillet (si l’on considère que le premier ministre remettra la démission de son gouvernement dès l’annonce des résultats), je vais tenter d’expliquer la logique solitaire d’Emmanuel Macron, qui de mon point de vue n’est absolument pas improvisée, nonobstant ses conséquences extrêmement chaotiques dans l’espace politique. 

Un indice esquissé dès 2018

Brigitte Macron, à l’aube de la prise de pouvoir de son époux, répondait ainsi à la question d’un journaliste (Le Monde 12 novembre 2021) cherchant à savoir si la politique était un projet de vie : « Je pensais que je vivrais avec un écrivain ou un pianiste, j’étais persuadée qu’Emmanuel aurait un métier dans la culture, c’est la vie à laquelle je m’étais préparée ». Et le journaliste de conclure : « c’est la vie qu’elle imagine après l’Elysée. » Il n’aurait donc aucun état d’âme à laisser s’exprimer cette tentation de Venise, immortalisée par Alain Juppé dans un ouvrage, et qui sommeille en chacun de nous. Macron n’est pas fait du métal qu’on renforce au fil de l’expérience acquise mandat après mandat. C’est un financier ! Il achète des positions. Ça monte, il valorise, ça descend, il vend. Il n’a aucun des attributs des leaders paternalistes prêts à se faire tuer pour leurs équipes. Seul, il s’est lancé en 2016 ; c’est seul qu’il finira si le contexte le force à décider de sa fin de vie politique. L’attachement qu’il met à ne pas construire son parti politique renforce ce sentiment de ne pas être intéressé par le désir de fonder une famille politique.

Poursuivons : 

« Qu’ils viennent me chercher », une formule jumelle de « La République c’est moi ». Il y a indéniablement une intempestivité mélenchonienne qui sommeille chez Emmanuel Macron. Il dévoila cette forme de violence irréfléchie lorsqu’éclata l’affaire Benalla. Il fit tomber un large bout du masque et révéla surtout, ne compter que sur son propre brio pour trouver des solutions. Puis, les Français confirmèrent ce sentiment. Ils s’aperçurent que le Président n’aimait rien tant que trouver ses propres réponses aux embuches se plaçant en travers de sa route. Grand débat, Quoi qu’il en coûte saison 1 (Crise Covid) et saison 2 (Crise énergétique), Conseil National de la Refondation, Convention citoyenne à moitié consommée, Rencontres au format Saint-Denis, Hit & run – comme disent les boxeurs – lors de son déplacement éclair en Nouvelle-Calédonie (50 heures d’avion AR ; 17 heures sur place). Qui joue avec le feu périra par le feu. Celui qui gouverne en solitaire n’a d’autres options que la solitude comme compagne. Et la dissolution est un acte solitaire dont l’article 12 de la constitution décrit toute la majesté exclusivement présidentielle. Le Roi n’est pas nu, il se veut seul !

Et qui s’est imposée le 19 juin 2022

Mon entraineur de Volley-ball avait cette formule à la construction logique particulière, quoique tellement pragmatique. Lorsque nous contestions une décision d’arbitrage, il lançait à son audience « Merci ! je sais lire les images ». Il n’a pas fallu un diplôme de politiste à M. Macron pour recevoir « loud & clear » la leçon des législatives marquant le début de son second mandat. Son pouvoir allait s’user vite. Pire, son image se faner, lui laissant percevoir en 2027, le cauchemar et l’affront de devoir accueillir sur le perron de l’Elysée un successeur hors de l’arc républicain. Que faire alors pour éviter l’image scélérate dans les manuels d’histoire. Si le Président n’est pas de la génération « réseaux sociaux », il a étudié Baudrillard. Il sait que nos sociétés vivent dans une hyperréalité théorisée par le philosophe, dont seules les images médiatiques forment le socle de la vérité reproduite et apprise. Pour ce faire, soyons présidentiel, et servons-nous du premier ministre et du gouvernement dans son ensemble comme couverture. Simple. Il suffit de dissoudre, pour que l’image de la passation de pouvoir aux côtés d’un ministre à la couleur extrême brune ou extrême rouge marque d’une cicatrice infamante, le CV d’un Attal, Le Maire, Lecornu, Darmanin, Dupont-Moretti… mais en aucun cas, celui du Président Macron. Pour une fois, ce Président pipelette sait se placer en retrait. Ainsi Emmanuel Macron invente une nouvelle manière de se servir de ses collaborateurs du gouvernement, comme des fusibles, et surtout des fusibles iconiques. 

Le pari présidentiel réside dans la prophétie politique suivante : Matignon est une malédiction qui rarement conduit celui ou celle qui chevauche la fonction, de surcroît lorsqu’il s’agit d’une période de cohabitation, jusqu’à la fonction suprême du pouvoir. Un gouvernement brun ou rouge endurera durant 3 ans, de 2024 à 2027, les coups de boutoir d’un contexte économique et de finances publiques blessés, et les crocs en jambe du résident de l’Elysée recroquevillé sur ses prérogatives présidentielles. Le Président saura se faire l’archer habile de formules poisons à l’endroit du gouvernement, et pratiquera l’humiliation protocolaire à la moindre occasion. Pour cela, le dictionnaire de la cohabitation entre le Président Mitterrand et son Premier ministre Chirac est un véritable guide de formation.

Ainsi, jamais le Président ne portera la tâche honteuse et visible, enfin l’espère-t-il, d’avoir promis aux Français qu’ils n’auraient plus de raison de voter pour les extrêmes. Baudrillard nous avait prévenu du danger de vivre dans l’hyperréalité des images. L’histoire enseignée à l’école montrera les images des passations de pouvoir entre ministres macronistes et les possibles vainqueurs des élections du 30 juin et 7 juillet, mais oubliera les manœuvres politiciennes nauséabondes quoique malignes esquissées en coulisses par le Président, que vous qualifierez de stratège selon que vous l’aimez, ou alors de machiavélien.

2027 sans moi : la double peine !

La certitude de cette démonstration nous est confirmée par la Constitution. Un Président de la République, ne saurait se représenter après deux mandats consécutifs. Suivant la logique de montrer qu’il ne croit en personne, sauf à sa seule capacité de faire bien les choses, vous saisissez que le Président, ne pouvant faire campagne, sait depuis juin 2022 que l’année 2027 portera le deuil du macronisme. Or, si on ne peut affirmer son souhait de n’accoucher d’aucun héritier, la tentation est forte de poser la question. Peut-on faire d’un simple concept du « En même temps » les premiers traits d’une doctrine politique ? Aussi, cet acte de dissolution, qui n’a rien d’un coup de tête, mais renforce selon moi, une fois de plus, l’idée d’un pouvoir exercé de manière égoïste, lui offre le pouvoir de choisir quel visage aura la grande faucheuse chargée d’emmener et sans doute, dès juillet 2024, son pouvoir jupitérien sur les eaux lentes et sombres de l’Achéron ouvrant les portes du territoire des idéologies défuntes. En dissolvant, le Président organise seul sa fin de vie politique. Loin de lui l’idée de subir trois longues années de soins palliatifs durant lesquelles il verra s’affadir la geste présidentielle et se racornir son autorité. Il garde en mémoire les fins de règnes de certains de ses prédécesseurs. Qui en profitera, nous verrons !

Jacky ISABELLO
Fondateur du Cabinet Parlez-moi d’Impact
Membre du Conseil d’orientation de Synopia

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