Le mal est profond et il vient de loin. C’est pour cela que nous avons créé Synopia en 2012 et publié dès 2014 notre manifeste en faveur du droit des Français à être bien gouvernés intitulé « Reprenons le pouvoir ». Quelle que soit la qualité des projets et des propositions, l’art et la manière de gouverner et de les mettre en œuvre sont tout aussi essentiels. « La guerre est un art simple et tout d’exécution », disait Napoléon.
C’est dans le prolongement de cette dynamique qu’après cinq années d’observation de la vie politique française, nous avons lancé en avril 2017, un appel en faveur d’un « Grenelle de la démocratie », suivi le 2 mai 2017 d’une lettre ouverte à Emmanuel Macron. Deux textes publiés par le journal l’Opinion et dans lesquels nous expliquions que la « probable victoire d’Emmanuel Macron ne suffira pas, à elle seule, à refonder la légitimité foncière du Président, et par conséquent, sa capacité à susciter la confiance, partager une vision, donner du sens à l’action politique, et entraîner le pays sur la voie du renouveau ». Nous en appelions à « refaire la démocratie ». À l’époque, avec cette position, nous étions finalement assez isolés et je me souviens du responsable d’une grande fondation politique de gauche m’expliquer « qu’une inquiétude ne constituait pas un horizon ».
En décembre 2021, persévérants, nous lancions dans une tribune publiée par Marianne un appel pour que soit créé un « Conseil National de la Reconstruction ». Nous expliquions que « la trajectoire que suit notre pays devient préoccupante, les déséquilibres s’accentuent et les fractures se multiplient ». Et d’expliquer que « la fabrication du consentement des Français est trop souvent négligée » et qu’il fallait sans tarder « recrédibiliser et refonder le pacte républicain sur son socle de valeurs (liberté, égalité, fraternité, laïcité) » pour « redonne envie et confiance aux Français et ouvrir une nouvelle page de progrès social et économique ».
L’idée de ce CNR a été repris par l’exécutif et si le « R » est devenu « Refondation », le reste du concept a été vidé de sa substance. Le résultat, nous le voyons aujourd’hui avec le résultat des élections européennes du 9 juin 2024. Il s’agit d’un échec collectif, qui s’est construit mandature après mandature, à force de déni, de moralisation et de fuites en avant.
Pour autant, la séquence électorale qui vient de s’achever aura eu un mérite : depuis deux mois, nous avons assisté à une vraie campagne. Ce qui ne fut pas le cas lors de l’élection présidentielle de 2022, puisque le président sortant avait choisi de s’engager au dernier moment et d’esquiver l’ensemble des confrontations avec ses concurrents avant le premier tour.
Cette fois-ci, la campagne va se poursuivre jusqu’au législatives du 30 juin et du 7 juillet, et l’acte 2 du « dégagisme », sauf imprévu, va continuer, confirmant la profonde crise de confiance envers nos gouvernants qui payent pêlemêle la facture des gilets jaunes, le passage en force de la réforme des retraites (dont nous venons d’apprendre qu’elles vont replonger dans le rouge plus vite que prévu…), les conséquences sur le pouvoir d’achat du conflit en Ukraine et les trop nombreuses absurdités législatives et normatives qui corsètent nos vies et nos métiers, les discours contradictoires, les promesses non tenues, l’exaspération des agriculteurs ou l’oubli des travailleurs de deuxième ligne. « Ceux qui ne sont rien » votent aussi et ils n’hésiteront pas à « traverser la rue » pour sanctionner à nouveau ceux qui ont promis le grand soir du « renouveau démocratique ».
En définitive, les Français attendaient de leur chef d’être écoutés, respectées, protégés et guidés. Pour une grande partie d’entre eux, ils ne supportent plus le grand écart entre la parole politique et les réalités, qu’elles soient vécues ou ressenties. Ils attendent aussi une certaine sobriété dans l’exercice du pouvoir.
Certes, il y a un grand paradoxe car la situation générale de notre pays tend à s’améliorer si on la compare avec le reste du monde, en particulier dans les domaines économiques, de l’emploi et de l’investissement, et ce n’est pas artificiel. Bien sûr, il y a les 3 000 milliards de dette, mais qui songe sérieusement à les rembourser… Le problème vient davantage des intérêts de la dette, une vraie bombe à explosion lente pour les prochaines années.
Pour autant, en dépit de ces masses d’argent considérables englouties dans le fonctionnement de l’État et le budget social de la Nation, les inégalités ne cessent de se creuser et la proportion de ceux d’entre nous qui vivent moins bien année après année progresse inexorablement. Trop de Français ne bouclent plus leur fin de mois et même si le ministre de l’Économie clame que « nous avons vaincu l’inflation », cela ne remplit pas un caddie.
Par ailleurs, face aux mutations de notre société et à son « archipelisation », au développement de certaines idéologies dangereuses et contraires à toutes nos valeurs, beaucoup ne s’y retrouvent plus et expriment leur vive inquiétude, en particulier lorsqu’ils voient la résurgence de l’antisémitisme révélé par la situation à Gaza ou les « débats » délétères à l’Assemblée nationale, la montée du wokisme et d’un fond islamo-gauchiste. A cela s’ajoutent l’insécurité et son cortège de peurs, aussi bien dans les villes, les quartiers et les campagnes.
Comme du lait sur un petit feu, la colère est montée lentement mais sûrement depuis des années et personne n’a voulu la prendre en considération.
Nul ne sait encore ce qui sortira des urnes au terme des prochaines élections législatives, mais il y a fort à parier que le tripartisme de notre vie politique confirmera son installation autour d’un petit centre (le camp présidentiel) et de deux contraires, avec d’un côté le Rassemblement National et de l’autre, un « front » de gauche pour le moins hétérogène. Reste à voir si le vainqueur du scrutin sera en mesure de gouverner vraiment. Rien n’est moins sûr. Il est probable qu’aucune majorité n’émerge et qu’il soit encore plus difficile de former des majorités de coalition, projet par projet.
Dans tous les cas, une pression énorme pèsera sur les épaules des prochains dirigeants de ce pays. Il leur faudra faire ce qu’ils disent et être à la hauteur de leurs paroles. Pour cela, leur façon de gouverner sera déterminante. Il faudra sans doute commencer par bannir le « Je » (« je veux, » etc.) de tous les discours et cesser les incantations. Ce sera difficile, périlleux même, car les caisses de l’État sont vides, les attentes fortes et les défis nombreux. Sacrée équation !
Dans tous les cas, que l’on ne s’y trompe pas, si les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances, si la capacité à mettre en œuvre ce qui est promis et espéré, le prochain « R » risque de ne pas être celui de Refondation ou de Reconstruction, mais celui de Révolution et alors, nous changerons de Régime. Certains l’encouragent déjà !
Alexandre Malafaye
Président de Synopia