La réélection de Donald Trump marque un tournant majeur, non seulement pour les Américains, mais aussi pour les Européens.
Une onde de choc en Europe
Bien que cette victoire de Donald Trump ait été anticipée (contrairement à 2016), l’annonce a tout de même provoqué une onde de choc dans les capitales européennes. À Bruxelles, les questions fusent : quel impact cette victoire aura-t-elle sur les relations transatlantiques ? La Commission européenne, consciente des enjeux, avait d’ailleurs anticipé les scénarios d’une victoire de l’un ou l’autre candidat, analysant les répercussions possibles, notamment sur les plans économique et commercial. Une « task force » avait été mobilisée depuis plusieurs semaines pour s’y préparer.
Car Donald Trump, connu pour son imprévisibilité, inquiète particulièrement en Europe. Dès 2016, son célèbre slogan « America First » avait marqué un virage protectionniste, et provoqué de vives tensions sur les droits de douane ou le financement de l’OTAN. Ainsi, lorsque le démocrate Joe Biden avait été élu en 2020, beaucoup en Europe avaient espéré un retour à une relation plus stable et coopérative.
Une relation transatlantique à l’épreuve de la « réindustrialisation verte » américaine
Cependant, dès 2022, la relation transatlantique a été marquée par des tensions économiques inattendues, notamment à cause de l’Inflation Reduction Act (IRA) mis en œuvre par l’administration Biden. Conçu pour stimuler la production industrielle et la transition énergétique aux États-Unis, l’IRA prévoit des subventions massives et des incitations fiscales pour les entreprises américaines produisant sur le sol national, en particulier dans les domaines des énergies renouvelables, des véhicules électriques et des technologies vertes. Cette législation a profondément secoué les industriels européens, notamment ceux des secteurs de l’automobile et des énergies renouvelables, qui ont vu une part de leur compétitivité menacée par cette politique protectionniste.
Pour les industriels européens, l’IRA représente une concurrence déloyale. En attirant les entreprises du secteur des technologies vertes avec des incitations financières généreuses, les États-Unis offrent un avantage compétitif difficile à égaler. Cette situation a déjà conduit plusieurs entreprises européennes à reconsidérer leurs projets d’investissement, certaines envisageant de délocaliser une partie de leur production aux États-Unis pour bénéficier de ces subventions. Les secteurs des véhicules électriques et des batteries, en particulier, sont menacés en Europe, et le Continent peine à maintenir une compétitivité puisqu’il est pris en étau entre deux puissances protectionnistes majeures : les États-Unis et la Chine.
L’IRA a donc relancé le débat sur l’autonomie stratégique de l’Europe, une question devenue centrale depuis la première élection de Donald Trump en 2016. Si l’Europe aspire à réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis dans le domaine de la défense et de la sécurité, elle se trouve désormais contrainte d’envisager des politiques similaires de soutien à son industrie, notamment son industrie verte. Mais avec quels moyens ?
Une Europe face à elle-même
Aujourd’hui, la réélection de Donald Trump force l’Europe à réévaluer ses priorités. Il devient crucial de savoir si le continent est prêt à se doter des moyens nécessaires pour renforcer son autonomie, non seulement militaire, mais aussi politique, économique, et commerciale. Le rapport de l’ancien Président de la Banque Centrale européenne, Mario Draghi, propose des pistes pour avancer vers cette autonomie. Il estime ainsi à 750 milliards d’euros minimum par an le coût des investissements nécessaires (ce qui équivaut au budget du plan de relance européen adopté en 2020 pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire). Pour atteindre ces sommes conséquentes, le rapport Draghi incite les États membres à achever enfin l’Union bancaire et des marchés de capitaux, ainsi qu’à recourir davantage au capital privé. Mais rien de tout cela ne sera suffisant dans un temps court sans avoir recours à un nouvel emprunt commun – proposition qui cristallise les tensions entre les capitales européennes.
Force est de constater que le consensus reste difficile à atteindre entre les 27 États membres. La situation politique de la France (en état de cohabitation) et de l’Allemagne (dont la coalition gouvernementale est en passe de céder), n’est pas de nature à favoriser des prises de décisions importantes, historiques, à la hauteur des défis. Pourtant, l’urgence de la situation ne devrait plus laisser de place à l’indécision. La réélection du candidat Républicain devrait être le signal d’alarme nécessaire pour que l’Europe prenne son destin en main.
Joséphine Staron
Directrice des études et des relations internationales de Synopia