La relance de l’économie mondiale post-coronavirus passera plus que jamais par un vrai volontarisme politique, doublé d’une réelle ambition économique.
De ce point de vue, tous les regards se sont portés ces dernières semaines sur le plan « Build Back Better » (« Reconstruire mieux »), présenté par Joe Biden, qui prévoit d’investir 2 000 milliards de dollars dans les infrastructures vieillissantes du pays. Ce plan américain couvre, non seulement, des investissements qui auront des effets immédiats, mais aussi ceux qui prépareront les États-Unis aux défis des décennies à venir. L’accent y est mis notamment sur les transitions énergétique et numérique, la résilience des réseaux et des infrastructures, et plus globalement, la lutte contre le changement climatique.
Le plan Biden prévoit ainsi un effort d’investissement en faveur des infrastructures qui peut être estimé à environ 727 Md€, dont 148 Md€ pour contribuer à l’essor des véhicules électriques, via notamment le déploiement de 500 000 bornes de recharge d’ici 2030 ; et 85 Md€ qui seront dédiés au développement d’un « réseau électrique puissant et résilient » et de capacités de stockage et de production d’une électricité propre.
Le nouveau Président Américain prévoit que chaque dollar dépensé pour reconstruire les infrastructures sera centré sur la prévention, la réduction et la résistance de celles-ci face aux aléas climatiques, d’où la notion de « build back better » (reconstruire mieux) qui caractérise son plan. Plus de 42 Md€ seront ainsi consacrés à renforcer la résilience des infrastructures.
En Europe, le 11 février dernier, le Conseil a adopté le règlement établissant la « facilité pour la reprise et la résilience » (FRR), doté de 672,5 milliards d’euros. Le FRR constitue ainsi le pilier le plus important du plan de relance de l’UE intitulé « Next Generation EU » et qui s’appuie sur une enveloppe de 750 milliards d’euros – enveloppe sur laquelle les dirigeants européens se sont mis d’accord en juillet 2020. Les États membres avaient jusqu’au 30 avril 2021 pour présenter leurs plans nationaux pour la reprise et la résilience, définissant leurs programmes de réforme et d’investissement jusqu’en 2026.
Mais, dans ce contexte, au-delà de l’enveloppe budgétaire innovante ainsi dégagée, et des tabous financiers levés à cette occasion, les européens restent malheureusement en attente de projets concrets, susceptibles d’incarner l’alliance entre un New deal et un Green Deal, et de sublimer ainsi la redistribution d’enveloppes financières aux États membres par de vrais projets structurants.
En effet, la relance européenne ne peut pas être uniquement envisagée via un soutien financier aux États membres – d’autant que ce soutien est relativement faible si on le compare au soutien américain. Elle ne peut donc pas se contenter de cet effort qu’il faut, par ailleurs, saluer. Mais elle doit se traduire par des politiques européennes sectorielles concrètes, visant à soutenir des filières stratégiques dans le cadre de la compétition mondiale.
De ce point de vue, le rapport de Michel Derdevet « Les réseaux d’électricité, vecteurs du nouveau modèle européen décarboné », que Synopia a eu l’honneur de publier il y a un an jour pour jour, et qui fut préfacé par Claude Mandil et Dominique Ristori, reste d’une ardente actualité. Tous les observateurs appellent désormais de leurs voeux une politique industrielle forte, recentrée, participant de l’autonomie stratégique de l’Union.
Quels meilleurs vecteurs que les réseaux d’électricité pour l’incarner ? Ces réseaux participeront, en effet, d’ici 2050 à la transformation majeure de l’économie électrique de l’Union en une économie pleinement décarbonée.
Les six propositions du rapport Derdevet devraient continuer à guider et à inspirer nos dirigeants, car il faut plus que jamais :
1°/ optimiser l’intégration durable des énergies renouvelables aux réseaux ;
2°/ finaliser les « autoroutes vertes » européennes (et ainsi le développement transnational des véhicules propres) ;
3°/ protéger les citoyens européens par un nouveau règlement général de protection des données énergétiques ;
4°/ « européaniser » la vigilance en matière de cybersécurité ;
5°/ structurer une filière industrielle européenne des smart grids ;
6°/ et jeter les bases d’un « Airbus européen du stockage stationnaire ».
Plutôt qu’exacerber les oppositions entre États sur les choix en matière d’énergie primaire (nucléaire/Enr), les Européens devraient d’urgence réfléchir ensemble aux enjeux communs portés par les réseaux énergétiques, et structurer à la fois des actions dimensionnées en matière de R&D, faisant converger leurs acteurs industriels pour avoir la taille critique face à la Chine et aux États-Unis. A défaut, nous serons, demain, relégué à l’« arrière-cour » dans un domaine industriel majeur, qui a longtemps enorgueillit nos pays par ses avancées et sa fiabilité.
Par Alexandre Malafaye
Président de Synopia