L’une des premières priorités qu’a évoquée le nouveau premier Ministre dans son discours de politique générale a été la nécessité de renforcer l’unité nationale : « Un projet de loi sur la lutte contre les séparatismes sera présenté en conseil des ministres à la rentrée pour éviter que certains groupes ne se referment autour d’appartenances ethniques ou religieuses. ».
Judicieux diagnostic et mâles paroles ! Mais que pourra dire cette loi ? Que la République est au-dessus de toutes les autres affiliations ou qu’il est interdit de préférer la loi d’un dieu quelconque à celle de la République ? Tous les textes les plus solennels le disent déjà, de la Déclaration des Droits de l’Homme à la Constitution, en passant par les principes généraux du droit et la jurisprudence des cours les plus éminentes.
La question n’est pas de voter des textes. En fait, il en va de l’amour de la République et de ses idéaux comme de l’amour tout court. Comment peut-on prétendre obliger quelqu’un à en aimer un autre ? On ne peut pas exiger d’être aimé ! Ce serait à la fois inutile, dérisoire et un peu ridicule. La seule chose que l’on peut faire, c’est de donner à l’autre des raisons de nous prendre en considération et éventuellement de s’y montrer sensible, en montrant avec sincérité et empathie les traits de sa personnalité qui font qu’elle pourrait être digne d’amour.
Il en va de même pour renforcer la cohésion nationale. Il faut donner aux enfants égarés de la République des raisons de retrouver l’amour de la France, de son peuple et de ses lois. Et il faut bien reconnaitre que ces raisons se sont évanouies depuis des décennies. La vérité, c’est que les principes les plus sacrés, proclamés à longueur de discours et inscrits aux frontons des mairies et des monuments aux morts, ne sont tout simplement plus appliqués, et de longue date.
Il est en effet indéniable que les valeurs de liberté, de justice, d’égalité, de dignité ont reculé depuis 50 ans en Europe (les années 1960, c’étaient les Trente Glorieuses en Europe, et c’était aussi le temps des décolonisations). Comment ne pas voir qu’il y a plus de pauvres aujourd’hui qu’alors, malgré une richesse qui a plus que doublé ? Que les inégalités de revenus se sont creusées ; que le chômage de masse est considéré comme une donnée intangible (« on a tout essayé ») ; que l’exercice du droit de vote est devenu largement vide de sens, tant les politiques menées sont semblables ; que la confiance en la justice s’amenuise ; que la corruption gagne du terrain ; que le piston et le népotisme sont usuels ; etc.
Il faut se poser la question de la façon dont les notions cardinales de la République se vivent lorsqu’on est au bas de l’échelle sociale.
La liberté ? Certes, on peut encore aller et venir, mais sans argent, le champ des possibles est restreint. On peut bien sûr avoir des opinions et les exprimer, mais sans auditoire, c’est un peu inutile, et rageant à la longue.
L’égalité ? Depuis 1989 et le naufrage de l’idéologie qui, vaille que vaille, portait une espérance d’égalité entre les hommes, les dernières barrières ont sauté. Ainsi, non seulement les inégalités ont crû comme jamais au cours des 30 dernières années, mais les idées en vogue légitiment les inégalités et ridiculisent les perdants : « si à cinquante ans, on n’a pas une Rolex, c’est qu’on a raté sa vie » dit un porte-voix de l’oligarchie…
La fraternité ? Lorsque les plus médiatiques des membres de la caste dirigeante se laissent aller à avouer que « ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible », les cochons de payants ne peuvent guère croire en la sincérité de leurs sentiments à leur égard, et encore moins en leur amitié et en une communauté de destin.
Si les Européens ne croient plus eux-mêmes à leurs valeurs « à la maison », ils les appliquent encore moins à l’extérieur. Témoin la dégradation des termes de l’échange entre pays développés et pays pauvres, nom moderne de l’exploitation ; témoin la préférence systématiquement donnée à des régimes dictatoriaux considérés comme amis ; témoins les traitements à peine humains réservés aux migrants poussés par la misère ; témoin l’exportation de nos pollutions… C’est pour cela que les autres peuples commencent à ne plus accorder de crédit aux valeurs européennes, et que la voix de l’Europe porte moins ! Comment croire aux droits de l’Homme, à la justice, à la fraternité quand ces valeurs n’inspirent plus l’action publique ni en Europe même, ni dans les menées de l’Europe sur les autres continents ?
Il ne faut dès lors pas s’étonner si les citoyens nouveaux, ceux d’ici ou d’ailleurs, cherchent des rêves de rechange. C’est en donnant à s’aimer que la République ramènera à elle ses enfants perdus. En tenant ses promesses. Et en appliquant ses valeurs, les valeurs issues des Lumières, qui constituent probablement le système de valeurs le plus émancipateur du monde. Et pour cela, il n’est pas nécessaire de promulguer une nouvelle loi, fut-elle rédigée avec toute la solennité nécessaire.
Et il ne faut pas croire que ce sera par des allocations sociales supplémentaires ou par un laxisme accru que la République se fera aimer. Ce qui la fera aimer et désirer, ce sera l’égalité des chances, le traitement égalitaire des citoyens, la certitude que ce seront les plus méritants qui réussiront, et que chacun trouvera sa place selon ses aptitudes et ses mérites.
Il s’agit en somme de réaliser la promesse de la Déclaration : « Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Promesse renouvelée par le Comité National de la Résistance qui s’engageait à donner « la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports populaires » .
Ni plus, ni moins.
Xavier d’Audregnies
Membre de Synopia