A la veille du second tour des élections municipales, Julie de Pimodan, CEO de Fluicity et Présidente de ACTE* (Association Civic Tech Europe) rappelle l’importance de moderniser la démocratie locale et insiste sur le rôle de l’état pour généraliser l’adoption de nouveaux moyens de participation.
De Nuit debout aux Gilets Jaunes, des marches pour le climat au mouvement BlackLivesMatter, les récentes mobilisations des citoyens français ont témoigné de leur volonté d’être entendus et de leur capacité d’agir.
De nombreuse initiatives participatives ont vu le jour depuis plusieurs semaines, pour imaginer ensemble – citoyens, entreprises et institutions — le monde d’après. Ces initiatives sont nécessaires si l’on souhaite mobiliser l’intelligence collective face aux crises économique, sociale, écologique et démocratique qui sont les nôtres. Toutes nous lient. Et toutes sont liées.
En imaginant le monde d’après, nous avons surtout l’opportunité d’imaginer le système démocratique d’après ; celui qui saura engager les citoyens dans la prise de décision, réduire la défiance envers les élus, permettre une écoute respectueuse des opinions, favoriser la co-construction. C’est tout l’enjeu des “civic tech” depuis plusieurs années.
Alors qu’en 2014 la civic tech était encore un secteur naissant, réservé aux territoires en pointe de l’innovation, de très nombreuses expérimentations ont été menées depuis, prouvant l’efficacité de ces acteurs pour augmenter le niveau de participation et responsabiliser les élus face aux besoins et aux attentes des habitants. Budgets participatifs, plateformes de consultations, technologies d’intelligence collective : aujourd’hui, la question n’est plus de savoir s’il faut consulter les citoyens et co-construire avec eux, mais comment le faire de manière efficace dans tous les territoires. Le confinement a prouvé aux décideurs le besoin de réinventer la manière dont ils interagissent avec les citoyens.
Malgré ce besoin grandissant, les villes n’avancent pas toutes à armes égales. Un fossé se creuse entre les grandes et les petites, parfois moins préparées financièrement et moins équipées pour innover en matière démocratique. 69 % des régions et 81 % des métropoles sont dotées d’outils numériques de participation citoyenne contre 29 % seulement de grandes villes (+ de 100 000 habitants) et 4 % de petites et moyennes villes (5 000 à 100 000 habitants) selon la Banque des Territoires. Un écart expliqué par la méconnaissance de ces nouvelles méthodes et par l’absence de budgets dédiés. Au lendemain de la crise du Covid et du confinement, peut-on souhaiter que la participation citoyenne reste l’apanage des grandes métropoles ?
Certains dispositifs ont déjà été mis en place par l’État pour aider les municipalités à maîtriser cette révolution des usages. L’Agence Nationale de la Cohésion des territoires a lancé son “pass numérique”, la Banque des Territoires publie des guides sur la démocratie numérique, la Direction interministérielle de la transformation publique vient de lancer un centre dédié à la participation citoyenne. Ces initiatives sont positives, mais les collectivités ont-elles vraiment l’opportunité de s’en saisir ? Nous sommes encore loin de la prise de contrôle du local et des Maires sur lequel s’est engagé le Président de la République. Également loin de la prise en compte des contraintes du terrain et des difficultés financières que rencontrent nos élus locaux.
“L’organisation de l’État et de notre action doit profondément changer. Tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris.” déclarait le président le 14 juin dernier, appelant à “libérer la créativité et l’énergie du terrain.” Pour aboutir, cette prise de conscience de l’État doit être accompagnée de moyens concrets qui permettront la modernisation de l’action publique.
Nous y voyons trois aspects :
- mettre en place des incitations financières permettant aux collectivités de s’équiper d’outils numériques de consultation et de participation citoyenne et d’expérimenter ;
- utiliser les appels à projets, comme par exemple les grands projets d’aménagement du territoire, pour généraliser l’adoption des consultations numériques à l’échelle locale ;
- réadapter les dispositifs légaux pour favoriser l’adoption des civic tech. Certaines lois encadrent déjà des processus de participation, notamment la consultation ou le référendum local. Mais les contraintes inhérentes à leur bon usage et la complexité des règles les rendent tout simplement inopérantes.
Depuis 2014, les civic tech étudient, conçoivent, expérimentent. Leurs connaissances méthodologiques et leur position non partisane en font des interlocuteurs privilégiés pour élus locaux. L’Association Civic tech Europe (ACTE) appelle l’État à mettre en œuvre une stratégie ambitieuse pour faciliter l’appropriation des civic tech partout dans les territoires. Car les démocraties représentatives vont devoir donner à leurs citoyens plus de moyens de participer au débat démocratique. Nous pensons que c’est une question de survie.
Julie de Pimodan
Co-founder et CEO de Fluicity
Membre de Synopia
* ACTE est une association de Civic Tech européennes qui représente l’ensemble des technologies favorisant l’engagement citoyen et la participation démocratique grâce aux nouvelles technologies. Fondée par des représentants de civic tech de plusieurs États membres dont Make.org, Novoville, Quorum, Civocracy et Fluicity, elle est le premier interlocuteur des institutions européennes sur la question des civic tech.