Tiraillé entre la peur de la mort et le principe de précaution, confrontés à l’imprévision et au manque de capacité hospitalière, nos gouvernants ont dû se résoudre au confinement total du pays, avec toutes ses conséquences au niveau économique et social. La crise sanitaire a déchiré le rideau de nos illusions face au reste de l’Europe. Après avoir voulu en être le leader naturel, nous en sommes devenus un des mauvais élèves. De surcroit, les oppositions et les incompréhensions des spécialistes sur fond d’influence des laboratoires pharmaceutiques ont durablement abimé l’image de la médecine et de la Santé dans notre pays.
La crise du Covid-19 a démontré que notre modèle de Santé était devenu totalement inadapté à la réalité d’aujourd’hui par suite d’une série de dérives dans le temps qu’il convient d’analyser. Comment « le meilleur système de santé du monde », selon nos ministres successifs, a-t-il pu en arriver là ?
Selon les chiffres de l’OCDE, 35 % de nos emplois hospitaliers ne sont ni médicaux ni paramédicaux, contre 24 % en Allemagne soit un différentiel de 126.000 personnes. Par ailleurs, 21 % des fonctionnaires travaillent dans la Santé publique contre 5% en Allemagne qui a beaucoup joué la carte du privé. Enfin, le plus important groupe hospitalier public d’Europe est l’APHP avec ses 100.000 employés pour 7 milliards d’€ de chiffre d’affaires. Ajoutons que pour 1 000 habitants la France a 10 infirmières et 3,3 médecins, contre 13,1 et 4,1 en Allemagne et moitié moins de lits de soins intensifs.
Comme le disait récemment Christophe Lecourtier, patron de Business France, les crises sont des accélérateurs de tendances : l’enjeu est d’être du côté des gagnants. Avec un budget par habitant assez proche mais beaucoup moins d’administration, la plupart des pays d’Europe ont traversé la crise sans confinement total, en ayant un nombre de morts très bas, allant jusqu’à 4 fois moins pour l’Allemagne par rapport à nous.
La dérive vient de loin et de multiples raisons se sont croisées pour en arriver là. Les grèves des urgentistes qui dénonçaient le manque de moyens dans les hôpitaux publics ont caché la dérive du nombre croissant de patients qui, pour diverses raisons plus ou moins avouables, ne voulaient pas passer par un médecin généraliste. Les grèves des infirmières du secteur public, mal payées et se plaignant de leur charge de travail, ont caché la mise en œuvre d’un plan drastique de réduction des lits et du personnel soignant pour comprimer les coûts. Pendant ce temps, le remboursement total des médicaments a permis aux laboratoires pharmaceutiques de négocier leurs marges avec les mutuelles et la Sécurité sociale et à certains spécialistes d’encourager le malade à la surconsommation bien qu’il y ait eu des efforts de contrôle.
On n’a pas suffisamment réagi quand la Direction générale de la Santé avec ses agences régionales pléthoriques a lancé un plan d’économies pluriannuel dans lequel il fallait rogner sur toute la partie médicale sans pouvoir toucher aux fonctionnaires de l’administration. Dans le même temps, sous la pression de Bercy cherchant d’autres économies, on a cru bien faire en supprimant les stocks stratégiques de produits de première necéssité en cas de pandémie, comme les masques barrières et les gels, et en n’investissant pas dans les tests. En résumé, en voulant faire de la santé une activité économique comme une autre, avec des objectifs de marge et de réduction de coûts, on a oublié l’humain et la spécificité des problèmes de santé. Pire, devant l’ampleur du nombre de malades, certains hôpitaux débordés n’ont pas hésité à sélectionner les malades les moins âgés pour bénéficier des traitements de réanimation tandis que de grands professeurs recommandaient aux plus de 60 ans de rester confiné jusqu’à la fin d’année avec toutes les conséquences que l’on imagine. Si l’on ajoute les querelles d’experts sur l’efficacité d’un médicament à 5 euros utilisé depuis 70 ans contre le paludisme par rapport à ceux coûtant 100 fois plus chers fabriqués par d’autres grands laboratoires, une évidence s’impose : tout est à revoir.
Une bonne gouvernance se conçoit, se planifie, se réalise, et s’améliore à partir d’une vision et d’objectifs clairs dans la durée. Elle suppose une capacité d’anticipation, une bonne connaissance de l’outil et de son environnement, des formations adaptées et une capacité d’adaptation et de remise en cause au vu des résultats.
Comme ont commencé à le faire certains médias et les organisations internationales, il faut regarder comment est organisé la Santé dans tous les grands pays qui ont passé la crise mieux que nous. En comparant les points forts des autres et nos faiblesses, on pourra imaginer un système plus efficace en se basant sur des réussites réelles et non sur des réflexions de technocrates ignorant des réalités du terrain. C’est ce qu’on appelle faire de l’intelligence économique. Loin des grands pontifes et des experts, qui nous ont doctement conduit sur la voie de l’échec avec ses conséquences humaines, soyons pragmatiques et réalistes. Fuyons les lobbies en tous genres qui voudront nous imposer un nouveau système leur permettant de gagner plus sur le dos de l’État et des malades. Apprenons aussi à anticiper, car notre machine bureaucratique, au-delà des explications mensongères, a mis deux mois à réagir sur les masques et les tests après avoir reçu les premières informations de l’OMS et des chinois sur la pandémie.
L’analyse du passé récent pose le problème des personnalités sélectionnées pour réaliser le Ségur de la Santé. Si on prend ceux qui étaient au pilotage durant la crise ou leurs doubles de tous bords, on court à l’échec. Rien ne bougera sérieusement car ils ont fait la preuve de leur incapacité à se remettre en cause. C’est d’autant plus important que la mise en œuvre de ce changement impératif se fera dans un environnement économique et social très difficile. Pourtant, c’est une nécessité absolue car la France ne survivra pas à un deuxième confinement. Suite à la première crise, nous nous retrouvons avec un déficit double de celui de l’Allemagne qui devient la première puissance européenne, et nous sommes obligés d’emprunter la totalité de notre plan de relance quand elle lance une relance d’un montant triple du nôtre dont la majorité est payée pas ses réserves.
Notre pays sait rebondir et l’a toujours fait dans l’histoire, mais aujourd’hui comme hier, il ne pourra recréer un système de Santé conforme à l’espérance générale que si nous avons une vision claire du futur, des objectifs précis avec des étapes et une volonté dans la durée.
Alain Juillet, membre de Synopia