Nous commençons à entrevoir les premières conséquences du changement climatique : canicules plus intenses et plus longues, tempêtes plus fortes, érosion des littoraux et recul du trait de côte, inondations plus destructrices, etc.
Ces premiers effets, pour spectaculaires qu’ils soient, ne sont que les prémices de phénomènes bien plus importants, à mesure que le réchauffement s’accroitra, et que les défenses mises en place pour faire face aux intempéries « normales » céderont.
Il y a quelques années, l’immeuble Signal, à Soulac-sur-mer, à la pointe du Médoc, a du être vidé de ses habitants : la dune sur laquelle il était bâti reculait un peu plus chaque année. Cet immeuble est probablement le premier d’une longue série de constructions humaines qui vont devoir être abandonnées, face à un bouleversement complet et irréversible des conditions naturelles.
Pour l’heure, le repli, qui touche quelques constructions ici ou là s’effectue de façon improvisée, comme s’il s’agissait d’événements accidentels et sporadiques. A peine a-t-on discuté, dans le cas de l’immeuble Signal, la question des indemnisations. La perte sèche pour les propriétaires d’appartements devait-elle être financée par les assurances (dont c’est le métier), par la commune (qui a donné le permis de construire), par l’Etat (qui a donné les autorisations en matière d’exposition aux risques), ou bien faut-il que les propriétaires « encaissent » la perte, qui après tout est un aléa naturel imprévisible ?
Or, le phénomène va rapidement devenir massif. Rien que dans l’hexagone, on estime que 5 millions de nos compatriotes vivent, dans les zones littorales, en zones qui deviendront inondables à court terme, à cause de la montée inéluctable du niveau des océans. Et c’est sans compter avec les zones dangereuses le long des cours d’eau, dont les crues seront plus intenses ; ou des zones de montagnes soumises à des glissements de terrain et des éboulements dus au dégel ; ou des zones de plaine argileuse, où les maisons sont fragilisées par les sécheresses plus longues et plus fréquentes ; ou encore avec les zones ultramarines, soumises aux ouragans plus violents.
Très rapidement, vont se poser deux questions :
La première est de s’interroger sur la façon dont il sera possible d’organiser un repli en bon ordre, vers des zones moins exposées. Cette question n’est pas seulement théorique. Déjà, le maire de Lacanau (station balnéaire de la cote atlantique proche de Bordeaux) envisage sérieusement d’évacuer à brève échéance toute la ville, et de la rebâtir plus loin dans les terres… La commune compte 5 000 habitants permanents (auxquels il faut ajouter les résidences secondaires), on imagine la difficulté logistique de l‘entreprise !
Quels seront les débats démocratiques qui prépareront les esprits à ces bouleversements dans les vies de millions de personnes ? Les pouvoirs publics pourront-ils s’en tirer en décrétant que telle zone est « dangereuse », donc inhabitable, et se laver les mains de l’application pratique d’une telle décision ? Sinon, comment reloger les naufragés de l’évacuation ? Et où ? Qui seront les arbitres de ces conflits d’intérêt d’un genre inédit ? Qui décidera, in fine, d’où, quand et comment se feront les mouvements de population et de bâti ?
La deuxième question est celle de la répartition des efforts. Qui paiera pour ces déménagements massifs ? Qui fournira les emprises foncières nécessaires aux relocalisations ?
Au fond, est-il légitime, ou non, que les charges soient réparties entre tous ?
D’un coté, on peut estimer, en bon libéral, que cet aléa climatique touche certains plus que d’autres, mais qu’il s’agit d’un risque de la vie comme un autre, et les victimes doivent se débrouiller avec leur problème. À eux de voir comment relocaliser leur maison ou leur entreprise, avec les règles existantes, et à eux de financer l’évacuation et le déménagement.
À l’inverse, on peut considérer que, comme le changement climatique est attribué aux activités humaines et que nous sommes tous responsables de ces évolutions néfastes, il serait naturel que les charges nées de ces changements soient équitablement et solidairement réparties entre tous.
Parce qu’il est certain que ce « grand dérangement » fera des perdants (beaucoup) mais aussi des gagnants… En effet, le jour même où les techniciens auront établi que telle zone est potentiellement dangereuse, il apparaitra inévitable aux yeux de tous qu’à bref délai les pouvoirs publics en dégraderont la constructibilité. Par voie de conséquence, les biens qui y sont situés perdront instantanément toute leur valeur. À l’inverse, les zones plus sures verront leur valeur grimper en quelques jours.
Ces pertes rapides et ces gains instantanés sont-ils justes ? Est-il dans l’esprit d’une grande nation démocratique et républicaine, dont deux des valeurs cardinales évoquent l’égalité et la fraternité, de permettre que des « profiteurs de cataclysme » (comme on parlait naguère des profiteurs de guerre) s’enrichissent alors que leurs compatriotes ont tout perdu ?
Ces questions sont vertigineuses. Il faudra cependant se les poser, et le plus tôt sera le mieux. Attendre et repousser le débat reviendrait à dire qu’il n’y a pas de sujet. Mais cette fois, personne ne pourra se justifier en disant « on ne savait pas ». En cas d’inaction et de priorités accordées aux enjeux de temps court, les responsables seront un immanquablement coupables.
Car il s’agit en effet ni plus ni moins que d’organiser le repli en bon ordre, dans l’équité, et après un débat démocratique qui permettra d’accepter des décisions difficiles et des arbitrages pénibles.
Sinon, cela fracturera encore davantage la cohésion nationale, ce qui ne ferait qu’ajouter du chaos politique et social au chaos naturel et climatique.
Xavier d’Audregnies
Membre de Synopia