Journal des Futurs #15 – « L’occupation rationnelle de l’espace : une conséquence inattendue du Covid-19 »

La crise sanitaire que le monde vient de vivre a mis en lumière nombre de dysfonctionnements des sociétés modernes. La plupart de ces problèmes étaient bien connus des spécialistes, mais le grand public, les médias et le monde politique en avaient sous-évalué l’importance. Parmi ces questions, figure celle de l’aménagement de l’espace, c’est-à-dire la façon dont les activités humaines se localisent sur un territoire donné.

Notamment, l’arbitrage entre les grandes et les petites villes où le territoire rural a retrouvé une nouvelle actualité. Nombre de « confinés », ont pu expérimenter en vraie grandeur le télétravail depuis une maison à la campagne. Et s’apercevoir que cela pouvait être efficace. Il en a résulté une prise de conscience soudaine et partagée qu’il était possible de modifier l’organisation du travail et de sortir du « métro-boulot-dodo » propre aux grandes métropoles. Et ce, sans que l’efficacité des organisations des entreprises – du moins celles du secteur tertiaire – en soit affectée. 

Cette prise de conscience des possibilités du télétravail s’est accompagnée de réflexions sur les transports, qui ouvrent des horizons prometteurs. Les unes portent sur la possibilité de diminuer la quantité totale de transport nécessaire (diminution des déplacements quotidiens domicile-travail), et les autres portent sur la possibilité de mieux répartir cette quantité dans la journée, en étalant les heures de pointe (qui sont celles qui conditionnent le format des infrastructures de transport).  

En allant au bout de la réflexion, la crise sanitaire et le confinement auront été l’occasion de s’interroger sur l’organisation du travail que requerrait le télétravail s’il venait à être utilisé plus systématiquement, et sur la configuration de l’habitat qui permettrait de télétravailler dans de bonnes conditions. Une entreprise responsable et prévoyante ne peut se désintéresser de ces deux aspects qui conditionneront sa performance globale, et donc sa rentabilité. Le transport domicile-travail, et le logement des collaborateurs ne pourront probablement plus être considérés comme des externalités du monde de la production du secteur tertiaire.  

Par ailleurs, la crainte des épidémies avait conduit les urbanistes du début du XXe siècle à prôner le desserrement du tissu urbain et l’aération des villes par des espaces verts (un humoriste de l’époque proposa même de « bâtir les villes à la campagne, car l’air y est plus pur »). Ces conceptions hygiénistes ont, plus tard, été oubliées grâce aux performances de la médecine et de la pharmacopée. Mais le coronavirus nous a fait comprendre que l’adaptabilité des virus et autres micro-organismes est telle que la science aura toujours un temps de retard sur les maladies. Il en ressort l’idée forte que les grandes concentrations urbaines font courir un risque trop important aux hommes qui y vivent. Cette préoccupation nouvelle confirme une tendance latente à renverser la préférence généralisée depuis plus d’un siècle en faveur des grandes villes.

En effet, l’avantage incontestable dont disposaient les grandes villes jusqu’à présent s’estompe. Une grande ville, c’était à la fois un grand bassin de main d’œuvre, un grand réservoir de compétences pointues, un grand bassin de consommation, et un large choix de services et d’activités culturelles et de loisirs. Le modèle de la grande ville était donc plébiscité par les entreprises, comme par les salariés. Depuis la dématérialisation de nombre de procédures et de services (dont le téléachat, le télétravail, la téléculture, la télérencontre sont quelques manifestations), ces atouts ne sont plus aussi déterminants. En revanche, les défauts des grandes villes s’accentuent : pénibilité des transports urbains, difficultés à joindre des lieux de loisirs « sauvages » (mer, montagne, campagne), coûts liés à l’environnement, cherté des logements et des surfaces professionnelles.

À l’inverse, les villes petites et moyennes (70 000 à 200 000 habitants) vont probablement être plébiscitées par les entreprises pour des raisons de coût, et par les particuliers pour des raisons d’aménité. L’avenir semble être ouvert aux petites villes où les logements et les espaces professionnels sont moins chers, où il est possible de circuler et d’accomplir les actes de la vie courante à pied, en transport doux, ou en transports collectifs, où il est possible de disposer des principaux services indispensables à la vie courante (lycées, hôpital, police, banques, poste, tribunal, cinémas, etc.), et d’où il est possible de sortir rapidement pour retrouver un lien avec la nature. 

Cette bascule entre grande ville et petite ville constitue un renversement complet de perspective, et semble correspondre à un mouvement de fond, voulu aussi bien par la population que par les entreprises. 

Ces deux prises de conscience – la moindre nécessité du « présentiel » et la nécessité d’une plus grande « distanciation » et d’une meilleure aération de l’espace vécu – rebattent ainsi les cartes du débat sur l’aménagement de l’espace, en ce début de troisième millénaire. À n’en pas douter, ce « new deal » devra être pris en compte dans les politiques publiques d’organisation de l’espace.

Bien entendu, l’aménagement de l’espace ne peut être dé-corrélé d’autres politiques publiques dont il participe : l’égalité des chances, l’égal accès à l’éducation et à la formation, la santé publique, la performance économique de « l’entreprise France », la fiscalité nationale et territoriale, en sont les principaux. 

Il s’agit donc bien de gouvernance, au sens le plus entier du mot.

Xavier Marchal, Romain Labiaule et Xavier Dupont.
Membres de Synopia

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