Journal des Futurs #18 : Revenir au peuple

Ainsi, la crise sanitaire est passée. Les services médicaux et hospitaliers ont fait un travail remarquable, palliant par leur dévouement et leur abnégation l’impréparation initiale. Au bilan, il n’y a à déplorer « que » 30 000 décès, en quasi-totalité des personnes très âgées ou déjà atteintes d’une maladie chronique. L’appareil sanitaire a tenu bon, malgré une tension extrême par endroits. La gestion de la crise sanitaire par les pouvoirs publics a, de ce point de vue, été correcte. Dans l’état des connaissances et des moyens disponibles, il eût été difficile de faire mieux. Fin de l’épisode et retour à la vie normale.

Donc, on reprendrait les choses où on les avait laissées ? Tout recommencerait comme avant ? Et on tiendrait pour une parenthèse l’arrêt de la vie économique et sociale pendant trois mois, ainsi que les dégâts collatéraux énormes que subissent nombre de nos concitoyens : chômage, faillites, misère parfois ? Et on ferait comme si rien ne s’était passé ?

Pourtant, l’exécutif a pris pendant cette période des décisions extraordinaires et inouïes : arrêter le pays, suspendre les libertés individuelles, assigner les citoyens à résidence. Et contrairement à sa réputation, le peuple français s’est montré discipliné et civique. Il n’y a pas eu un mot pour critiquer les décisions des autorités, et pas un citoyen n’a bravé les interdits.

Pourtant, l’exécutif a engagé les finances du pays de façon extraordinaire et inouïe : la dette contractée à l’occasion de cet épisode s’élèvera officiellement à 500 milliards, et probablement plus lorsque tous les comptes seront effectués. Ces sommes, supérieures au budget annuel de l’État, sont dépensées en toute hâte et de façon discrétionnaire par le gouvernement : 8 milliards pour l’automobile, 15 milliards pour l’aéronautique, 5 milliards pour Renault, plan tourisme, plan PME, et ainsi de suite.   

En démocratie, normalement, les décisions graves, notamment celles qui conditionnent la vie du pays, et celles qui suspendent les libertés, doivent faire l’objet d’un débat et être votées par le Parlement, au moins a posteriori compte-tenu de l’urgence. En démocratie, normalement, c’est le Parlement qui vote les recettes et les dépenses publiques.

Tout cela provient de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. En son article 4, qui parle des libertés individuelles et des droits des citoyens, la déclaration prévoit que les seules bornes à fixer à ces droits et libertés « ne peuvent être déterminées que par la loi », c’est à dire par le Parlement. L’article 14 prévoit de son côté que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. ».

Certes, le Parlement a voté les textes conférant la légalité formelle aux décisions du gouvernement. Pour autant, on sent bien qu’il y a manqué un débat approfondi sur l’opportunité de décisions aussi importantes et aux conséquences aussi graves.

Alors, comme toujours en France, on en vient à se poser la question : « Qu’aurait fait de Gaulle en pareille situation ? ». Il y a fort à parier que selon sa formule, il aurait décidé de « revenir au peuple ». C’est d’ailleurs ce qu’il a fait à chaque fois que des décisions importantes pour le pays ont dû être prises, que ce soit en 1958 (la constitution), en 1962 (l’avenir de l’Algérie, l’élection du président au suffrage universel) ou en 1968 (sortir de la crise de Mai 68).

A vrai dire, il n’y a pas trente-six façons, dans le cadre des institutions actuelles, de sortir d’une crise grave de façon démocratique, c’est à dire en donnant la parole au peuple. Il y en a trois : la dissolution de l’assemblée, le référendum, et la démission du président (quitte à se représenter dans la foulée).

De Gaulle a utilisé les deux premières. En 1958 et en 1962, il a provoqué un référendum sur les options qu’il croyait bonnes, afin de leur donner une forte légitimité. En Mai 68, il utilisa les deux instruments tour à tour : la dissolution pour donner la parole à la majorité silencieuse sur son action et conforter son pouvoir ; le référendum pour donner sa lecture des évènements (le besoin de « participation » des Français aux décisions qui les concernent) et demander au peuple un mandat pour aller dans ce sens. S’il n’a jamais utilisé la démission suivie d’une nouvelle candidature, ses mémorialistes rapportent qu’il en a envisagé l’hypothèse au plus fort de la crise de Mai 68.

Bien sûr, à chaque fois, le Général s’adressait solennellement « au pays » pour expliquer sa lecture de la situation, et pour proposer l’option qu’il privilégiait pour l’avenir, sur laquelle il demandait très explicitement une approbation, et le plus souvent un appui (« Français, aidez-moi » en 1962 ; « j’ai besoin que le peuple français dise qu’il le veut », en 1968).

Aujourd’hui, alors que la France traverse la plus importante crise depuis celle de Mai 68 – et même depuis la Seconde guerre mondiale – le Président est face à l’histoire. A l’évidence, un simple remaniement ministériel n’est pas à la hauteur de la situation. Donc Emmanuel Macron va-t-il employer un de ces trois moyens constitutionnels, et lequel ? Et quel sera son discours, sa vision des évènements et ses propositions pour l’avenir ?

Il existe des dizaines de citations pour expliquer que c’est lors de situations difficiles que se révèlent les hommes d’État. La sagesse populaire dit plus simplement « C’est au pied du mur qu’on voit le maçon !».

Alexandre Malafaye
Président de Synopia

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