Journal des Futurs #58 – Dialogue Sahel-Europe : les possibilités de coopération pour faire face à nos menaces communes – Retour sur le Forum des 15, 22, 24 mars 2021

Le premier Forum de dialogue Sahel-Europe, organisé par le Centre de sécurité internationale de l’Institut de politique internationale de l’Université Francisco de Vitoria, en partenariat avec Synopia, s’est tenu les 15, 22 et 24 mars 2021 en ligne.

Dans cet espace de dialogue entre intervenants du Sahel, du Maghreb et de l’Europe, les risques et défis partagés en matière de sécurité ont été analysés, et des solutions à nos défis communs ont été proposées. La crise politique au Mali, les élections tendues en novembre 2020 au Burkina Faso et en décembre et février au Niger, lient la crise sécuritaire aux défis de la gouvernabilité dans ces États, où la présence de milices d’autodéfense ethnocommunautaires et de groupes djihadistes rend le développement économique et social difficile. À ces défis s’ajoute celui de la pandémie, qui a gravement affecté les économies de la région, augmentant l’extrême pauvreté, la malnutrition et les phénomènes migratoires.

La dernière crise migratoire de 2015 a notamment laissé l’Europe dans un état du choc. La pression migratoire a causé d’importants problèmes internes à l’Union européenne et a été l’une des principales raisons du Brexit. Même pendant la crise économique de 2008, les actions des gouvernements européens ne furent pas aussi éparses et divergentes. Depuis lors, la politique migratoire est devenue l’un des débats les plus complexes au niveau régional, avec des conséquences économiques, sociales et sécuritaires au niveau national, notamment pour les nations qui reçoivent le plus de migrations. La gestion des migrations a également constitué un dilemme majeur en raison du comportement de certains États à l’égard des migrants et des violations des droits de l’homme.

Bien que la pression migratoire de 2015 se soit relâchée, notamment sur le front oriental, l’Europe est sur le point de faire face à une crise migratoire sans précédent, à un moment où nous sommes peut-être plus faibles que jamais. Pendant la crise de 2015, les pays européens, avec des degrés divers de résilience, ont réussi à maîtriser leurs économies et leurs sociétés. Malgré cela, on observe une hausse des mouvements populistes et de la criminalité dans la plupart des pays européens.

La croissance démographique galopante en Afrique est une réalité à laquelle l’Europe devra faire face dans un avenir très proche. Avec une croissance substantielle de la population démographique dans les pays du G5 Sahel, qui va passer de 83,7 millions à 196 millions en 2050, l’insécurité de l’emploi et le manque de ressources, exacerbés par le changement climatique, entraîneront des flux migratoires massifs vers l’Europe. Et, vraisemblablement, nous ne sommes pas préparés. En raison de la crise du coronavirus, nous avons à nouveau assisté à une importante vague d’immigration irrégulière vers les îles Canaries (plus de 11 400 immigrants de janvier à octobre 2020), malgré la fermeture des frontières. Les îles n’avaient pas connu de crise migratoire similaire depuis la crise de Cayucos en 2006.

La mauvaise gestion de l’immigration dans les pays d’accueil a été l’un des principaux problèmes de sécurité pour l’Europe, avec des nœuds de criminalité, de crime organisé, de marginalisation et de radicalisation. Dans un environnement aussi changeant, le Sahel étant la frontière avancée de l’Europe, ce forum de dialogue sur la sécurité s’est penché sur les menaces communes et les possibilités de coopération entre l’Europe et le Sahel, soulignant également l’importance de la collaboration avec le Maghreb, une région pont entre les deux zones.

Composé de six conférences sur trois jours, le Forum de dialogue a réuni plus de 320 personnes de 20 pays différents, avec une traduction simultanée en français et en espagnol et une moyenne de 120 participants par conférence. Les thèmes abordés ont dépassé le schéma classique de la sécurité traditionnelle (missions militaires, armement), pour approfondir les causes de l’insécurité et de l’instabilité dans la région du Sahel.

Dans la première conférence, intitulée « Le Sahel, centre de gravité stratégique de l’Afrique : les défis de la sécurité », le colonel Pedro Sánchez Herráez, analyste à l’Institut espagnol d’études stratégiques, et le Dr Bakary Sambé, directeur de l’Institut de Tombouctou au Sénégal, ont replacé la crise sécuritaire au Sahel dans son contexte, en se concentrant sur la région du Sahel occidental, et ont examiné les principales causes d’instabilité. Cette première conférence était animée par l’ambassadeur José Hornero, ambassadeur d’Espagne au Mali et au Burkina Faso. Après la conférence, l’expert invité Emmanuel Dupuy, Président de l’Institut pour la Prospérité et la Sécurité en Europe (IPSE) a analysé l’évolution des principales missions de coopération européenne en matière de sécurité au Sahel.

La deuxième conférence a porté sur le facteur démographique et ses implications pour la sécurité de l’Afrique et de l’Europe. David Skuli, ancien directeur central de la police aux frontières en France et analyste au Centre pour la sécurité internationale, et Boubacar Haidara, enseignant-chercheur à l’université de Ségou, au Mali, ont approfondi les facteurs démographiques qui contribuent à l’instabilité du Sahel, en plus des menaces pour la sécurité européenne liées à l’immigration. Le Sahel a l’un des taux de natalité les plus élevés au monde, ce qui influence la répartition des ressources rares et la multiplication des conflits intercommunautaires. Parmi les questions abordées figure notamment le problème de l’urbanisation incontrôlée, qui entraîne un taux de pauvreté plus élevé et une augmentation de la criminalité dans les centres urbains tels que Bamako, Ouagadougou et Niamey. L’une des raisons pour lesquelles les jeunes se déplacent vers les villes est le manque de possibilités d’emploi dans les régions plus rurales. Bien que certains de ces jeunes décident de se rendre dans d’autres pays de la région ou même en Europe, la grande majorité d’entre eux se déplacent à l’intérieur du pays, dans les régions les plus peuplées, où ils pensent trouver plus facilement du travail.

L’expert invité, le Dr Abdallahi Awah, professeur à l’Université de Nouakchott et ancien conseiller technique du ministère mauritanien de l’emploi, a analysé les opportunités qu’une croissance démographique comme celle du Sahel représente pour la création de valeur et la dynamique économique. Alors que de nombreux pays de l’Union européenne sont confrontés au vieillissement de leur population, le Sahel possède la population la plus jeune du monde et des ressources naturelles abondantes. Le facteur démographique génère une relation d’interdépendance entre l’Europe et l’Afrique qui rend indispensable une coopération et un dialogue permanents entre les deux rives de la Méditerranée.

Le deuxième jour du Forum Sahel Europe, deux conférences ont été organisées sur le changement climatique et la radicalisation djihadiste, deux des facteurs qui affectent le plus la crise sécuritaire au Sahel. Dans la troisième conférence du Forum, intitulée « le changement climatique et ses effets sur la sécurité du Sahel », María Dolores Algora, docteur en histoire contemporaine et analyste de l’Institut du Centre de sécurité internationale IPI-UFV et Abakar Mahamat Zougoulou, directeur scientifique et technique de l’Agence panafricaine de la Grande Muraille verte, ont analysé les menaces que le changement climatique fait peser sur la sécurité du Sahel et les initiatives locales qui ont lieu pour atténuer les effets de la désertification, comme le projet de la Grande Muraille verte.

Quatre experts invités du Niger, du Tchad et d’Espagne ont également participé à la conférence. Maman Zacaka, consultante de la CCNUCC sur le changement climatique, Joël Yodoyma, fondateur et directeur de l’ONG Espace Vert Sahel (SVE) au Tchad, Oriol Puig, chercheur au CIDOB et Issa Garba, coordinateur et fondateur du Nigerian Youth Network on Climate Change, ont souligné l’importance de promouvoir les initiatives de la société civile pour freiner, et si possible stopper, les mettre fin aux conséquences du changement climatique, notamment celles liées à la désertification, à l’insécurité alimentaire et aux phénomènes migratoires. Ils ont également souligné la nécessité pour la communauté internationale d’accorder la priorité à ce problème et de renforcer les capacités des organisations locales travaillant sur cette question.
Dans la troisième conférence, intitulée « Radicalisation djihadiste et autres facteurs de déstabilisation au Sahel », Beatriz de León Cobo, chercheuse spécialisée dans la radicalisation violente au Sahel et analyste au Centre de sécurité internationale de l’IPI- UFV, et Mohamed El Moctar Ag Mohamedoun, expert en conflits intercommunautaires et commissaire à la Commission Vérité, Justice et Réconciliation du Mali, se sont penchés sur les causes de l’expansion djihadiste au Sahel et sur les facteurs qui ont conduit des communautés, qui n’avaient jusqu’à récemment aucun lien avec le djihadisme, à se radicaliser. En plus d’expliquer l’apparition, l’évolution et l’expansion du phénomène djihadiste au Sahel, du nord du Mali au centre du pays, à l’ouest du Niger et au nord du Burkina Faso, les intervenants ont dressé une cartographie des autres acteurs de la violence dans la région, tels que les réseaux de criminalité organisée ou les milices d’autodéfense ethnocommunautaires, qui, sous prétexte de défendre la population civile de leur communauté, ont commis des massacres contre d’autres groupes.

Trois experts invités ont participé à cette conférence : Beatriz Mesa, enseignante-chercheuse à l’Université internationale de Rabat et journaliste correspondante au Sahel/Maghreb ; Patricia Rodríguez, spécialiste de la protection de l’enfance et directrice de Child Heroes, qui a particulièrement approfondi le problème des enfants et des adolescents recrutés par les groupes djihadistes, auparavant vendus à de fausses écoles coraniques ; et Marta Summers, coordinatrice de l’Observatoire de l’activité djihadiste au Maghreb et au Sahel occidental, qui a expliqué le processus d’expansion des groupes djihadistes en Afrique occidentale.

Le dernier jour de la première édition du Forum de Dialogue Sahel-Europe, deux conférences ont eu lieu, sur l’interaction entre le Maghreb, le Sahel et l’Europe et la stratégie de l’Union européenne au Sahel. Lors de la première conférence, animée par Ignacio Cosidó, directeur du Centre de sécurité internationale de l’IPI-UFV, sur l’interaction entre les trois régions, l’ambassadeur Julio Herráiz, ambassadeur d’Espagne en mission spéciale pour le Sahel, et María Sánchez Gil-Cepeda, directrice de programme du service de lutte contre le terrorisme des instruments de politique étrangère de la Commission européenne, ont discuté du rôle de l’Union européenne au Sahel et des différents instruments diplomatiques, économiques et de coopération en matière de sécurité et de développement qui ont été mis en place pour la stabilisation du Sahel.  Parmi les experts invités, Nizar Derdabi, ex-gendarme de la Gendarmerie royale marocaine, a mis l’accent sur les initiatives de coopération bilatérale entre pays, notamment celles entre le Maroc et le Mali et l’Espagne, en particulier en matière de trafic de drogue et d’immigration irrégulière. Malgré cela, les initiatives triangulaires (Maghreb, Sahel, Europe) sont pratiquement inexistantes. Un autre intervenant expert présent à cette table ronde était Javier Albaladejo, commissaire principal de police et conseiller du ministère de l’Intérieur à la représentation permanente de l’Espagne auprès de l’Union européenne, qui a expliqué les différentes initiatives de coopération à un niveau plus opérationnel entre les régions. Enfin, Javier Fernández Arribas, journaliste et directeur de Atalayar, entre dos orillas, l’un des principaux partenaires médiatiques de cet événement, a souligné l’importance et la responsabilité des médias dans la mise en avant de la région du Sahel.

La conférence de clôture de cet événement s’est déroulée en présence du général Francisco José Dacoba, directeur de l’Institut espagnol d’études stratégiques, et de Florentino Portero, directeur du Master en action politique et de l’Institut de politique internationale de l’Université Francisco de Vitoria. Dans cette présentation de clôture intitulée « Une stratégie renouvelée de l’UE pour le Sahel », l’un des points principaux était la nécessité de renforcer le concept de Maghreb/Sahel comme une seule région, au lieu du concept MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Le terrorisme, les réseaux de criminalité organisée et la migration irrégulière vers l’UE utilisent tous les frontières poreuses entre le Sahel et le Maghreb pour atteindre l’Europe. Les stratégies de l’Union européenne doivent renforcer ce concept et donner la priorité à la coopération triangulaire chaque fois que cela est possible et jugé efficace. Cette conférence a également mis en évidence le rôle des centres de recherche universitaires, tels que le Centre de sécurité internationale de l’IPI-UFV, pour générer un dialogue entre différents secteurs (administration publique, diplomatie, recherche, initiatives de la société civile).

En bref, durant ces trois jours, nous avons eu le plaisir de recevoir près de 30 intervenants du Mali, du Niger, de la Mauritanie, du Sénégal, du Tchad, du Maroc, de l’Espagne et de la France, qui nous ont permis d’approfondir les défis sécuritaires, le facteur démographique et le changement climatique, et ses conséquences sur la stabilité du Sahel, la radicalisation djihadiste et l’interaction entre le Sahel, le Maghreb et l’Europe. Ce forum international a permis d’établir un véritable dialogue entre l’Afrique et l’Europe et ce, grâce aux intervenants, aux experts invités, à l’équipe d’organisation, aux modérateurs et aux participants qui nous ont suivis pendant près de 8 heures de débat.  Cette initiative a été possible grâce à la collaboration des partenaires qui ont collaboré à la promotion et à l’organisation de l’événement : l’Institut espagnol d’études stratégiques ; Casa África ; Synopia, le laboratoire des gouvernances ; OISCOT, Institut pour la sécurité et la culture ; Atalayar, entre dos orillas ; Seguridad y Defensa ; et au Secrétariat général de la politique de défense (SEGENPOL) du ministère espagnol de la défense. 

Beatriz de Léon Cobo
Coordinatrice du groupe d’experts du Forum de dialogue Sahel-Europe et analyste au Centre de sécurité internationale de l’International Policy Institute, et membre de Synopia Jeunes.

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