La plupart des commentateurs politiques voient dans les élections régionales (au passage, notons que les élections départementales sont largement oubliées…), un tour de chauffe avant les élections majeures, présidentielle et législative, de 2022. En quelque sorte, le seul intérêt des élections régionales serait d’indiquer la tendance, d’éliminer certains pré-candidats, d’en conforter d’autres, et de peser l’équilibre des forces entre les différents partis. La négociation pré-électorale pour 2022 serait ainsi conditionnée par le résultat de juin 2021.
Pourtant, derrière cette façade, qui permet aux politiciens de faire de la politique et aux commentateurs de commenter, chacun faisant « sa petite soupe au coin de son petit feu », cette élection donnera des enseignements dans deux autres domaines qui sont beaucoup plus structurants pour l’avenir.
Le premier enseignement concernera le pouvoir de décision au plan local. Sitôt passée la soirée électorale, et la poussière des chiffres bruts retombés, il s’agira de les décortiquer, en se demandant où se situe désormais le pouvoir local. Qui sera, pour les prochaines années, celui qui imposera ses choix en matière de politiques publiques locales ?
Il convient à cet égard de se rappeler que, contrairement à ce que notre culture politique, imprégnée de féodalisme et de hiérarchie nous fait intuitivement penser, ce ne sont pas les Régions qui détiennent automatiquement le pouvoir dans les provinces françaises. En effet, aux termes de la loi de 1982, il n’existe pas de hiérarchie entre les collectivités territoriales (régions, départements et communes), et chacune est d’ailleurs très jalouse de ses prérogatives et de son indépendance pour effectuer ses choix.
Par ailleurs, le poids respectif des collectivités n’est pas en faveur des Régions. Par exemple, le budget 2021 de la région Nouvelle-Aquitaine s’élève à 3,2 milliards. Par comparaison, celui de la Gironde représente 2 milliards, celui de Bordeaux 500 millions et celui de la Communauté Bordelaise 2 milliards. Et la Région Aquitaine compte 12 départements et 7 agglomérations de plus de 100 000 habitants…
Ceci revient à dire que, en termes de services délivrés aux habitants, la Région pèse en réalité assez peu, et que le président de la Région doit composer en permanence avec les autres poids lourds locaux que sont les maires des grandes villes et les présidents des départements. Cette logique de négociation a d’ailleurs été à l’œuvre avant même les élections, les grands barons locaux ayant savamment placé leurs pions dans les exécutifs régionaux, et verrouillé les élections, par le biais de l’établissement des listes départementales (le mode de scrutin pour les régionales est un scrutin proportionnel par circonscription départementale). L’exemple le plus évident de ces tractations préélectorales est celui de la région Provence, région dans laquelle chacun des patrons locaux de la droite provençale (C.Estrosi, E.Ciotti, M.Vassal, H.Falco, etc.) a imposé ses principaux desiderata de liste ou de programme, au candidat à l’élection régionale (R.Muselier).
En quelque sorte, la vérité de l’élection régionale sera à rechercher dans l’équilibre des pouvoirs au niveau local. Qui sera en mesure de proposer une politique pour la Région, et de la mener à bien ? Dit autrement, qui apparaitra comme l’homme fort localement ? Sera-ce X.Bertrand ou M.Aubry ? R.Muselier, T.Mariani, H. Falco ou C.Estrosi ? V.Pécresse ou A.Hidalgo ?
Le deuxième enseignement que fournira le scrutin de juin 2021 portera sur l’avenir de la constitution de la Vème République. Il est fort probable que le panorama politique au soir du deuxième tour présentera un aspect éclaté, entre de nombreux partis. Aucun ne dépassera 20 % des suffrages exprimés, et tous partageront la même imprécision programmatique, le creux idéologique, et une image floue aux yeux des électeurs.
En projetant ces résultats sur le scrutin de 2022, la probabilité est forte de voir un Président nouvellement élu qui ne disposera pas de majorité à l’Assemblée. Il aurait, au contraire, face à lui un grand nombre de petits groupes parlementaires, et devra donc composer un gouvernement sur la base d’une coalition. Ce sera une situation à l’allemande, ou à l’italienne, voire même à l’israélienne.
Dans ces pays, les traditions politiques dictent le modus operandi. En Allemagne, c’est généralement une coalition qui prend le pouvoir sur la base d’un programme négocié pied à pied, que le gouvernement a charge de dérouler méticuleusement sans place pour l’improvisation. En Italie, c’est le partenaire le plus important de la coalition qui prend les rênes. Généralement, il mécontente vite son partenaire-junior, et la coalition vole en éclats ; de guerre lasse, un technicien finit par prendre le pouvoir. En Israël, c’est le parti le plus extrémiste qui impose ses diktats pour prix de son soutien.
Aucun de ces modèles n’est, en définitive, vraiment satisfaisant.
En France, nous n’avons pas (ou plus ?) la culture du compromis et de la négociation politique. Ce sont donc très rapidement les institutions elles-mêmes qui vont être mises en question. La fin de la Vème République pourrait peut-être arriver plus vite qu’on ne le croit, poussée par une situation inédite, et par l’incapacité de la classe politique à tracer des perspectives d’avenir crédibles et claires, qui seraient sources d’un choix démocratique.
Après tout, c’est ainsi qu’ont sombré la IIIème et la IVème, l’une étant incapable de choisir « entre l’honneur et la guerre », l’autre étant incapable de choisir entre l’Empire et l’Europe. Il arrive que l’histoire bégaie.
Xavier d’Audregnies
Membre de Synopia