Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2022 viennent de tomber et ils consacrent la prééminence du vote utile et le maintien de l’abstention à un niveau très élevé, et donc très préoccupant.
A travers leurs votes, les Français ont signifié la fin du deuxième acte du dégagisme amorcé voilà 5 ans et il ne faut pas s’y tromper, le séisme politique de cette année est bien supérieur en intensité et en conséquences à celui de 2017. La France est désormais composée de trois blocs politiques difficilement réconciliables. Une gauche dure, un centre aux contours imprécis et une droite radicale.
Il est certain que les résultats obtenus par les Républicains et les Socialistes vont poser de graves problèmes à ces deux formations qui occupaient les places centrales du jeu politique depuis la création de la Ve République.
Les Socialistes et les Républicains se retrouvent très loin derrière la nouvelle composition tripolaire du pays :
- Bloc Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud : 25,7 %
- Emmanuel Macron : 27,6 %
- Bloc Marine Le Pen, Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan : 32,6 %
On peut se demander ce qu’il serait advenu d’Emmanuel Macron s’il n’avait pas endossé, du fait de la situation en Ukraine, le costume de chef de guerre voilà six semaines.
Mais il ne faut pas non plus négliger le résultat de Jean Lassalle (3,2 %) qui obtient deux fois plus de voix qu’Anne Hidalgo (1,7 %).
De la même façon, le score de Jean-Luc Mélenchon dans un nombre important de grandes villes de France (30 % à Paris, 31 % à Lyon, 31 % à Marseille, 35 % à Strasbourg, 29 % à Bordeaux, 43 % à Lille, 33 % à Nantes), reflète sans doute une autre facette des fractures qui traversent notre pays : la France des champs ne va pas bien, et celle des villes non plus.
Une chose est certaine, la France des gilets jaunes, celle qui descend dans la rue ou qui fait grève pour manifester son mécontentement, voire sa colère, n’a pas disparu !
Certains se réveillent surpris, d’autres abasourdis. Mais il n’était pas très difficile d’anticiper de tels résultats en ce qui concerne la gauche dure et la droite radicale. Les difficultés de la France réelle sont considérables. Se chauffer est devenu un luxe, tout comme prendre sa voiture. Il est clair que nombre de nos compatriotes n’ont pas les moyens de vivre correctement et cela dure depuis trop longtemps. Cette négligence se paye aujourd’hui, dans les urnes. Pourtant, tous les indicateurs étaient là, il suffisait de les regarder. Dans une France défiante et mécontente, il n’est plus possible de gouverner comme avant. « Gouverner autrement » ne saurait rester à l’état de slogan.
Bien sûr, si Marine Le Pen l’emporte, ce sera une victoire pour elle et pour son camp. En revanche, si Emmanuel Macron gagne le droit d’effectuer un second quinquennat, ce ne sera pas une vraie victoire. Il sera même possible de considérer que, d’une façon, il s’agit d’une « défaite » pour lui, pour la façon dont il a gouverné, par-delà son bilan, et pour la France fracturée et hostile qu’il aura devant lui. Le temps de la marche triomphale au Louvre le soir du deuxième tour de la présidentielle de 2017, sur la musique de « l’Ode à la joie » de Beethoven, sera loin…
Deux grands défis attendent maintenant le prochain Président de la République française.
Le premier est lié à la « fabrication » d’une majorité pour gouverner. Et là, les mécanismes institutionnels de la Ve République vont poser un sérieux problème : ils n’ont pas été conçus pour gérer un « ménage à trois » ni pour favoriser une autre formation que celle du vainqueur de l’élection présidentielle. Une fois de plus, la représentation nationale qui va sortir des urnes en juin 2022, risque de réserver une part congrue à des formations politiques qui, pourtant, représentent une grande majorité de nos compatriotes.
Les Français l’accepteront-ils ? Mieux vaudrait anticiper cette question !
Le second point concerne la façon de gouverner et il est de fait lié au premier. La question centrale du prochain quinquennat sera bien davantage portée sur le « comment faire » que le « quoi faire ».
Le consentement est la clé de voûte du bon fonctionnement de la démocratie dans la durée. Il est le principe qui permet à chacun de participer librement à la vie de la Cité. Il raccroche le citoyen à l’intérêt général et l’y associe. Il repose sur la confiance accordée à celui qui édicte des règles, qui les met en œuvre et contrôle leur juste application. Il est aussi adossé à l’exemplarité des décideurs et à une pratique maîtrisée et sans cesse entretenue de l’autorité.
Lorsqu’un citoyen consent à une réforme, à une loi ou à une disposition d’ordre public, cela ne veut pas dire qu’il est en plein accord ou satisfait de la mesure, mais cela signifie qu’il est prêt à l’accepter en confiance, voire à la supporter même si elle ne lui convient pas ou peu.
Par exemple, bien qu’il préfère rouler à sa vitesse et en toute impunité, l’automobiliste consent à respecter le code de la route. Chacun comprend le sens du code de la route et son utilité. Grâce à lui, nous nous déplaçons collectivement avec un maximum de sécurité. La contrepartie de cette sécurité, ce sont les règles, les limitations et les sanctions.
Le consentement à l’impôt était du même ordre. Payer un impôt n’est pas réjouissant mais le contribuable sait que son argent est utile à la société. Cependant, la mise en œuvre du prélèvement à la source a cassé ce principe puisque le consentement est forcé.
Le verbe consentir a pour opposé subir. Or, de nos jours, les Français ont le sentiment, souvent bien réel, de subir des changements dont ils ne comprennent ni le sens, ni l’équité, ni l’intérêt. Par-delà les questions corporatistes, cette réalité est à l’origine de nombreux mouvements sociaux, et en l’état de crispation et de défiance du pays et des pressions sur le pouvoir d’achat, il faut craindre un accroissement des tensions et des mobilisations sociales dans les mois à venir, ce qui viendra compliquer l’engagement des grandes réformes dont notre pays a besoin.
De façon générale, le contenu de ces réformes est connu. L’enjeu n’est plus là. Il n’est pas de savoir ce qu’il faut faire mais comment le faire. Et la légitimité des urnes ne suffira plus. Si le scrutin populaire donne aux élus des prérogatives, des droits et des devoirs, il ne leur confère pas un blanc-seing pour agir ni pour réformer contre l’intérêt réel ou perçu des Français.
Pour réussir, ceux qui ouvriront les chantiers des prochaines grandes réformes devront rechercher le consentement des Français. Le résultat de ces réformes devra être acceptable et accepté. Il s’agit là d’un changement de méthode en profondeur qu’il convient d’accomplir. Cela impose de repenser la façon de gouverner, de décider, d’écouter, de parler et de légiférer. L’enjeu institutionnel est aussi important qu’il l’était en 1957-58 et les Français aspirent à cette transformation des pratiques de gouvernance. Il ne faut pas s’y tromper : si rien de concret n’est accompli dans ce sens, l’absence d’évolution se terminera par une révolution. Car personne ne bâtit une nation en divisant son peuple.
Le cas de la réforme des retraites sera emblématique. Pour avoir une chance de la réussir, mieux vaudrait annoncer que la réforme aura lieu sans définir à l’avance le résultat à atteindre (âge de départ, etc.). Les Français seront sensibles à une approche nouvelle, qui vise à sauver leur système de retraite tout en les associant à l’élaboration de la réforme. Les corps intermédiaires peuvent aider à réussir cette co-construction, ainsi que des assemblées consultatives constituées de citoyens tirés au sort chargées d’apporter un avis objectif sur les paramètres de la réforme et sa portée.
C’est de cette façon que le pouvoir politique parviendra à retisser le lien de confiance avec les Français, à dépasser les oppositions et à agir en faveur de l’intérêt général et du temps long.
Alexandre Malafaye
Président de Synopia